Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur les échanges entre sénateurs et magistrats, notamment sur les dossiers juridiques en cours d'examen, la réforme de la carte judiciaire, la dépénalisation du droit des affaires et la déjudiciarisation du divorce, au Sénat le 5 juin 2008.

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Circonstance : Ouverture des 6èmes rencontres sénatoriales de la Justice, au Sénat le 5 juin 2008

Texte intégral

Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Procureurs généraux,
Mesdames et Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir une sixième fois au Palais du Luxembourg pour ces rencontres sénatoriales de la Justice que j'ai proposées en 2003 et dont le succès - je m'en réjouis - ne se dément pas.
J'ai en effet souhaité que le Sénat s'ouvre davantage sur le monde professionnel. Les stages des sénatrices et sénateurs en juridiction, comme en entreprise et auprès des forces armées, ont - je crois - heureusement contribué à cette politique.
Vous savez que ces rencontres constituent d'abord des démarches individuelles, celles des sénateurs et sénatrices qui effectuent des stages tout au long de l'année au sein des juridictions judiciaires. Je profite de cette journée pour remercier, une nouvelle fois, très sincèrement et au nom de l'ensemble de mes collègues, les chefs de cour, de juridiction, magistrats et fonctionnaires qui les ont si bien accueillis.
Mais ces rencontres sénatoriales de la justice s'incarnent également dans notre journée de dialogue annuel dont je ne doute pas que l'édition 2008 soit aussi productive que les précédentes en un temps de fortes évolutions dans l'organisation de la justice.
A mes yeux, pour bien légiférer, le Parlement doit effectuer trois missions préalables : évaluer, réfléchir, débattre. Je me suis appliqué à développer, autant que possible, ces trois vocations au Sénat. Ces rencontres sénatoriales de la justice m'en donnent à nouveau l'occasion. Elles constituent en effet, à la fois une occasion de bilan et d'évaluation, un moment de réflexion et de prospective, et une rencontre favorisant le débat.
Le temps d'un premier bilan et de l'évaluation des rencontres sénatoriales me semble en effet venu. C'est pourquoi j'ai souhaité, à travers une enquête auprès des sénateurs qui ont effectué des stages et des chefs de cour qui les ont accueillis, restituer leurs expériences. Vous en retrouverez les principaux enseignements dans un recueil qui figure dans le dossier de la présente journée.
Le premier de ces enseignements réside dans une meilleure connaissance réciproque entre ceux qui votent les lois et ceux qui les appliquent. On a coutume de dire que les sénateurs rencontrent régulièrement les magistrats lors des audiences solennelles. Mais les stages en juridiction et les journées d'études comme celles-ci nous permettent de dépasser l'échange informel pour instaurer un dialogue approfondi. Nos collègues connaissent ainsi mieux les difficultés rencontrées dans l'application des lois. Ils se rendent compte des conditions d'organisation et de fonctionnement de la justice avec les moyens dont elle dispose et l'idéal qui l'anime.
J'ai été également frappé par le sentiment des magistrats d'être ainsi mieux reconnus par le Parlement. Cette reconnaissance tranche avec une image parfois brouillée, voire l'incompréhension que leur renvoie parfois - me semble-t-il - le monde extérieur. Un magistrat évoque même dans cette enquête, je le cite : « l'intérêt pour la justice de sortir de son isolement pour atténuer le sentiment d'être mal aimé ».
Les magistrats ont aussi indiqué souvent mieux comprendre les conditions d''élaboration de la loi et l'état d'esprit de ceux qui en débattent avant de la voter. Mais au-delà du principe même, fondamental à mes yeux, de cette écoute réciproque, nos collègues ont mis l'accent sur plusieurs problématiques dans le fonctionnement judiciaire actuel.
Ils ont d'abord constaté les moyens limités de la justice, même partiellement compensés par le dévouement de ses agents, le manque du personnel de greffe et les difficultés d'appliquer les décisions de justice, particulièrement en matière d'exécution des peines. Ils estiment le plus souvent qu'au-delà des 72 000 agents et des 6,5 milliards annuels alloués à la justice, un renforcement et une rationalisation des moyens humains et matériels apparaissent nécessaires. Les sénateurs ont eu et auront l'occasion d'en débattre lors de la mise en place de la LOLF et des débats annuels sur la loi de finances.
Le recrutement et la formation des magistrats ont également attiré l'attention des sénatrices et des sénateurs pendant ces années marquées notamment par l'affaire d'Outreau. L'exceptionnelle motivation des magistrats est constamment soulignée. L'état d'esprit du magistrat, disent nombre de nos collègues, importe plus que son âge. La technicité croissante du droit appelle également une adaptation de la formation des magistrats. Il en a d'ailleurs été largement débattu lors de notre journée d'études de l'an dernier.
Enfin l'inflation législative et la complexité des normes ont été, bien sûr, un sujet fréquent de discussion lors de ces stages. La question n'est pas nouvelle. Montaigne notait déjà, je le rappelle : « nous avons en France plus de lois que l'ensemble du monde entier ». Mais tous, sénateurs et magistrats, ont reconnu le besoin de moins légiférer, et insisté sur la nécessité de prendre plus de distance par rapport à l'actualité.
La richesse de ces stages, dont je viens de donner quelques illustrations, plaide incontestablement pour leur poursuite. L'implication des magistrats et des parlementaires, j'en suis sûr, ne se démentira pas. La qualité législative s'en trouvera soutenue et renforcée.
Notre journée marque également l'intérêt d'un temps de réflexion sur un sujet, la justice, qui touche de nombreux ressorts du fonctionnement de notre société. Cette réflexion ne doit jamais perdre de vue le rôle symbolique de la justice. Une justice respectée, une justice crainte, une justice équilibrée et non contestée participe à l'évidence de ce qui constitue l'un des fondements essentiels de notre société. Nous déplorons que sa majesté et son fonctionnement soient écornés, voire contestés dans leur principe même.
Nous constatons tous qu'elle est sollicitée pour régler toutes sortes de problèmes de la société, bien au-delà de litiges techniques ou de la commission des crimes. Certains déplorent parfois qu'elle se comporte davantage en administration sociale ou de réinsertion, qu'en autorité régalienne exerçant sa mission avec grandeur. Il me semble que nos réflexions d'aujourd'hui ne doivent pas perdre de vue cet aspect de la justice.
En application concrète de ce principe, trois grandes questions d'actualité seront abordées, avec le souci constant de se projeter dans l'avenir, pour anticiper l'application des réformes en la matière. Je ne doute pas que nous dépasserons les réactions trop liées à l'actualité immédiate, éventuellement corporatistes ou simplement les prises de position partisanes. Le Sénat est - vous le savez - un lieu de réflexion sereine, approfondie et ouverte.
Ces rencontres doivent être une occasion de débats riches et constructifs pour le législateur. Nous aborderons ainsi aujourd'hui des thèmes, objets à la fois de réflexion dans l'ensemble de la société et de débats législatifs. Nos rencontres doivent en effet servir aux problématiques du moment sans subir la dictature du court terme. C'est pourquoi j'ai souhaité que ces problématiques soient traitées avec le recul nécessaire. Ainsi, je n'ai pas voulu aborder le débat sur la carte judiciaire à la lettre, et ponctuellement, avec ses aspects parfois douloureux pour certains d'entre vous. Je ne les mésestime évidemment pas, mais j'ai préféré que nous débattions d'un nouvel espace judiciaire qui replace le projet d'une nouvelle carte judiciaire dans le double objectif d'une mise en oeuvre plus efficace des moyens de la justice, et d'une réponse encore mieux adaptée aux besoins de nos concitoyens. Il s'agit donc au-delà de l'implantation locale des tribunaux, de la question des moyens affectés à la justice et de l'ampleur des fonctions qu'elle doit exercer.
De la même façon, la dépénalisation du droit des affaires doit être abordée, à mon sens, à travers les dispositions très concrètes comme les durées de prescription c'est vrai, mais elle ne doit pas perdre de vue le rôle régulateur du droit dans la création de richesse économique.
C'est pourquoi il nous a paru utile de convier pour lancer les discussions, non seulement des hommes de droit, magistrats et avocats, mais également des personnalités du monde de l'entreprise.
S'agissant enfin de la déjudiciarisation du divorce, une dimension sociologique voire psychologique de cet acte si important de remise en cause de la cellule familiale, doit rentrer en ligne de compte. Le débat de fond n'est aujourd'hui pas clos. Le Parlement n'est pas encore saisi ; une commission extra parlementaire poursuit ses travaux. Mais j'ai pensé intéressant que le Sénat puisse aujourd'hui anticiper son éventuelle saisine.
Le Parlement ne saurait en effet n'être qu'un simple instrument de fabrication des lois et éventuellement de contrôle de leur application. Il doit aussi jouer son rôle de veille politique à l'écoute de la société, de toutes ses composantes, des ses forces et de ses inquiétudes. C'est donc dans cet esprit ouvert, dans cet esprit de liberté, dans cet esprit de respect mutuel des opinions que je vous invite à échanger vos arguments, vos propositions, vos positions. Mais je souhaite aussi que vous alliez au-delà en exprimant aussi des sentiments, des postures, même philosophiques, et que le débat ne reflète pas seulement des échanges entre techniciens, mais entre responsables attentifs à un sujet de société majeur.
J'espère tout simplement, en un mot, que cette journée sera riche de fructueux échanges et vous permettra d'apprécier l'intérêt que le Sénat porte à la Justice en vous incitant à prolonger le dialogue instauré.
Je vous remercie de votre attention.Source http://www.senat.fr, le 6 juin 2008