Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense et président du Nouveau Centre, dans "Le Parisien" du 8 juin 2008, sur la réforme de la Défense et sur le rôle du Nouveau Centre dans la vie politique.

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Média : Le Parisien

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Q - Avec la réforme des armées, ne craignez-vous pas d'être demain un ministre très impopulaire ?
Hervé Morin. La Défense doit s'adapter car le monde change et les menaces évoluent. La menace immédiate, ce n'est plus d'être envahi. Les menaces prennent une autre forme, notamment celle du terrorisme. Il faut mettre l'accent sur le renseignement, la protection et la projection. Il faut avoir moins de régiments de blindés ou d'artillerie.
Mon objectif est d'avoir un dispositif plus efficace et moins coûteux. Nous forgeons une épée d'acier, effilée et tranchante. Il faut donc densifier nos régiments, faire primer la logique opérationnelle sur l'implantation des unités, faire évoluer notre défense d'aujourd'hui en fonction des risques de demain. L'inquiétude des armées, c'était l'immobilisme. J'entends encore les chefs d'état-major me dire: "M. le Ministre, vous n'aurez pas le courage". Ils avaient le sentiment que les politiques finissent toujours par reculer devant la fronde des élus.
Aux élus, justement, vous leur dites quoi ?
Tous les élus savent que notre système est sur la corde raide, qu'il y a un énorme effort d'équipement à faire, qu'on ne répond pas aux cyber-attaques avec des chars. Concernant le redéploiement sur le territoire, toute une série de mesures de compensation sont prévues. Peu d'élus restent réticents à la réforme. Il est clair que, sur certains territoires déjà très touchés par des restructurations économiques, il est difficile d'ajouter la fermeture d'un régiment. C'est pourquoi dans quelques cas, je ferai primer la logique de l'aménagement du territoire.
Y a-t-il, derrière tout cela, un changement de stratégie ?
La menace de la prolifération nucléaire dans certains pays nous impose maintenant d'avoir des systèmes de renseignement et d'information satellitaires plus précis. Afin de pouvoir dire à certains pays : « Nous sommes en mesure de détecter le départ de vos missiles, et vous risquez de vous exposer à une rétorsion immédiate ». Par ailleurs, l'impératif de participer à des opérations de stabilisation dans un arc de crise, qui va de la Mauritanie à l'Afghanistan, nous impose de revoir les contrats opérationnels des armées. Le contrat pour l'armée de terre était jusqu'ici de déployer, sur décision politique, 50.000 hommes sur le théâtre centre-européen. Mais contre qui? Contre les Russes ? Il faut que les armées puissent se projeter avec les moyens appropriés là où les crises risquent d'avoir lieu.
Cela signifie-t-il une petite armée avec des ambitions moindres ?
Je refuse cette caricature. Le nouveau contrat de notre armée, c'est 30.000 hommes projetables et la capacité de mettre en ligne 70 avions de combat loin de nos frontières. On y ajoute 5.000 hommes sur un autre théâtre secondaire, 10 avions de combat, et en même temps 10.000 hommes chargés de la défense du territoire. Ce sont des volumes considérables que nous n'avons jamais déployés depuis 1945.
Les équipements seront-ils à la hauteur ?
Tous les programmes sont en cours de renouvellement. Il nous aurait fallu 5 milliards d'euros supplémentaires par an à partir de 2011 si nous avions laissé les choses en l'état. Qui peut croire qu'un Français l'aurait accepté ? L'effort que nous allons faire, c'est 2 milliards d'euros supplémentaires en fonction des besoins de renouvellement. En même temps, nous allons faire des économies en rationalisant les services administratifs et en mutualisant les soutiens pour dégager des marges de manoeuvre. Les armées ont un traitement privilégié par rapport à toutes les administrations. Toutes les économies restent pour nous et ne sont pas reversées au budget général. C'est un formidable challenge !
Le projet de deuxième porte-avions est-il abandonné ?
La décision sera prise par le président de la République. Dans l'idéal, il en faudrait un second. Mais nous avons des besoins budgétaires considérables pour l'avion de transport A400M - priorité absolue -, l'hélicoptère NH90, la continuation du programme Rafale, les véhicules blindés. Le porte-avions, c'est 3,5 milliards d'euros: cet investissement se ferait au détriment des autres équipements. On admettra que cela mérite réflexion.
Sentez-vous une grogne monter chez les militaires ?
Il y a une inquiétude compréhensible qui s'estompera lorsque les choix définitifs seront rendus publics. Mais je dis aux militaires : ayez confiance. L'engagement du Président de la République est de maintenir l'effort de défense.
N'êtes-vous pas, au Nouveau Centre, les simples supplétifs de l'UMP ?
La France a besoin d'un centre droit. Cette famille politique existe depuis un siècle et demi. Chaque fois, un candidat porte cette vision lors des élections présidentielles. Hier, c'était Giscard, Barre, Bayrou...
C'est dans cette triple tradition que vous entendez vous inscrire ?
Oui. Comme François Bayrou a abandonné cette logique pour se déporter à gauche, on s'est mis autour d'une table pour créer le Nouveau Centre. On a aujourd'hui 7.000 militants, près de 2.000 élus locaux, un groupe parlementaire à l'Assemblée, des sénateurs, des députés européens et nous observons que, sur le débat constitutionnel par exemple, on a obtenu un certain nombre de choses...
Qu'avez-vous obtenu ?
Nous réclamions depuis des années un rééquilibrage des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Cette révision constitutionnelle, c'est la nôtre. On a fait introduire le référendum d'initiative populaire, des droits supplémentaires pour l'opposition au Parlement, la règle d'or de l'équilibre budgétaire et notre ami Charles de Courson se bat en faveur de plus d'équité fiscale et la suppression des niches fiscales. Oui, on existe.
Dites-vous à Nicolas Sarkozy, vous les centristes, "Laissez-nous vivre" ?
Dès lors que l'extrême-droite a disparu et que l'extrême gauche s'est affaiblie, le débat politique revient au centre. L'UMP a pu constater que, s'il n'y a pas une famille politique du centre et du centre droit au premier tour, avec qui peut-elle atteindre les 50% au second tour ?
Donc, à vos yeux, l'UMP a besoin d'un centre fort ?
L'UMP a besoin d'un centre fort.
Pensez-vous, dans cette histoire de mariage annulée, que Rachida Dati est maltraitée ou qu'elle est maladroite ?
Maladroite, elle a pu l'être. Mais qui ne l'a jamais été ? En tout cas, ça ne saurait justifier le traitement dont elle a été l'objet. La politique n'est pas quelque chose de désincarnée. Elle est faite par des hommes et des femmes qui ont leur passé, leur vécu et donc leur perception des choses.
Sous cet angle, elle mérite le respect ?
C'est tout de même la moindre des choses ! et cela n'empêche évidemment pas de contester le point de vue des uns et des autres.
Comment interprétez-vous la victoire d'Obama chez les démocrates américains ?
Vitalité, égalité des chances: quelle magnifique leçon nous donne l'Amérique! Leur société est beaucoup plus dynamique que la nôtre. Hélas, ce n'est pas demain que nous aurons en France un candidat issu d'une minorité visible.
Les 35 heures, c'est vraiment un blocage de la société française ?
J'ai été le porte-parole de l'UDF contre les 35 heures à l'Assemblée, à l'époque où tout le monde pensait que c'était une mesure populaire. Or les 35 heures, c'est une erreur économique, une erreur sociale et, pire, une erreur de société. Faire croire aux Français que le bonheur est dans le fait de moins travailler, quel contre-sens !
Que vous inspire, au PS, le match Aubry-Delanoë-Royal ?
J'aime le courage de Martine Aubry, et l'habileté et la modernité de Bertrand Delanoë. Quant à Ségolène Royal... je n'ai rien à en dire (rire).source http://www.le-nouveaucentre.org, le 11 juin 2008