Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les relations entre la France et le Koweit, le problème des prisonniers de guerre koweitiens en Irak, les actions militaires en cours et l'état des négociations sur le processus de paix au Proche-Orient, Koweit le 7 mars 1999.

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Circonstance : Voyage de M. Védrine dans les Emirats arabes unis et au Qatar le 6 mars 1999, au Koweit le 7

Texte intégral

CONFERENCE DE PRESSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES, M. HUBERT VEDRINE (Koweït, 7 mars 1999)
Mesdames et Messieurs,
Je suis ici à Koweït pour la dernière étape de cette visite dans le Golfe qui ma conduit cette fois-ci - je dis cette fois-ci, parce que je ferais naturellement dautres voyages - à Abou Dabi, Qatar, Koweït, plus Bahreïn où jai tenu à me rendre, ce matin, pour exprimer directement au nouvel émir la sympathie et les condoléances de mon pays.
Le dialogue politique entre la France et le Koweït est très important à nos yeux. Cest une relation ancienne, qui a évidemment été trempée et fortifiée dans lépreuve et donc encore plus forte depuis les années 1990. Les échanges et les rencontres au sommet sont fréquents et je souhaitais depuis un certain temps venir ici et notamment rendre au ministre des Affaires étrangères la visite quil avait faite à Paris.
Nous avons fait le point des relations bilatérales. Jai rappelé que naturellement la France souhaitait continuer à participer au développement du Koweït dans tous les domaines mais notre conversation était axée, en priorité, sur les questions de sécurité : sécurité régionale, - la question de lIraq, bien sûr, sur laquelle nous avons eu un échange de vues très fourni sur tous les aspects du sujet. Jai réexpliqué devant mon homologue koweïtien la nature des idées que nous avons présentées, en janvier, devant le Conseil de sécurité. Il ma fait part, à son tour, des préoccupations du Koweït, préoccupations de sécurité que nous comprenons bien et la question des prisonniers de guerre dont nous savons à quel point elle est légitimement douloureuse ici. Nous avons parlé de lIran également. Jai expliqué quel était le sens du développement du dialogue politique actuel entre la France et lIran. Vous voyez donc, une visite brève, mais bien remplie, qui nous a permis de traiter directement les sujets les plus importants. Jajoute que jai été très amicalement et très chaleureusement reçu.
Je nai pas pu voir lémir puisque les emplois du temps ont été bouleversés par les événements de Bahreïn, mais jai rencontré à laéroport le Prince héritier et nous avons parlé des mêmes sujets que je viens de vous résumer.
Q - Monsieur le Ministre, avez-vous trouvé une acceptation de la part du Koweït ou des pays du Golfe des idées françaises quant à la levée de lembargo et un nouveau dispositif pour le contrôle de larmement iraquien ainsi que le contrôle financier ?
R - Jai trouvé à chacune de mes étapes beaucoup dintérêt, un grand désir de parler avec la France à propos des idées présentées. Je redis que, pour nous, cest important davoir cette discussion qui complète les discussions intenses que nous avons avec nos partenaires américains à ce sujet. Donc, beaucoup dintérêt, un soutien qui ma paru, disons, substantiel dans la plupart des étapes, et le désir de poursuivre la discussion. Cela correspond bien à notre méthode puisque nous avons mis en avant des idées et non pas un plan complètement bouclé. Mon homologue koweïtien ma dit que son pays serait favorable à toute démarche qui renforcerait la sécurité régionale et la sécurité du Koweït, ce qui est normal. Jai rappelé que le point de départ de notre raisonnement est de nous demander comment on pourrait mieux assurer, dans la longue durée, la sécurité régionale. Nos idées sur le contrôle de tout éventuel réarmement prohibé, nos idées sur le contrôle financier, tournent autour de cet objectif : la sécurité. La levée de lembargo est simplement une conséquence. Cest quelque chose qui serait rendu possible par la réalisation de ce système de vigilance. Donc, des réactions très encourageantes.
Q - Pour ce qui est des bombardements américains en cours en Iraq en ce moment, qui sont les plus amples depuis la guerre du Vietnam, quel est votre point de vue et pouvez-vous réitérer la position de la France à cet égard ?En avez-vous discuté avec Cheikh Sabah Al Ahmad ? En poursuivant cette initiative que vous développez - ou dites en cours de développement -, ce que vous projetez serait-il en partie lié aux éventuels résultats des entretiens que vous aurez effectués lors de cette rencontre ?
R - Jai déjà exprimé notre avis sur les actions militaires en cours et sur les développements militaires récents. Je dois dire quils ne correspondent pas à la façon que nous avons de poser le problème et de tenter de le résoudre. Pour le reste, cette visite dans la région était vraiment très instructive pour nous. Nous allons maintenant évaluer les échanges que nous avons eus et les réponses pour enrichir nos idées, nos propositions. Je rappelle que nous avons en permanence, comme je lai dit tout à lheure, un dialogue avec les autres partenaires au sein du Conseil de sécurité. Vous savez, dautre part, que, sur la base de propositions canadiennes, trois commissions sont au travail sur trois sujets importants. Léchéance de ce travail, cest la mi-avril. Cest à ce moment-là, sauf événement nouveau dune nature ou dune autre, que nous pourrions faire la synthèse de ces travaux, de ces réflexions, de nos idées et de celles des autres pour voir comment nous avançons.
Q - Pour ce qui est de linitiative française, quelle est la place de laffaire des prisonniers koweïtiens dans cette initiative ?
R - Laffaire des prisonniers de guerre et des disparus est très importante à nos yeux. Cest une question à la fois de principe et cest un drame humain. Chaque fois quil est question de ce point, dans les travaux du Conseil de sécurité, notre position est claire et nette, mais ce nest pas directement touché par des idées que nous avons mises en avant. Au fond, la situation depuis janvier, cétait de savoir si on pouvait continuer en Iraq avec le même système de contrôle quavant, ou si ce système était caduc. Cest à ce moment-là que nous avons fait une proposition pour dire que le système de contrôle, qui a eu une certaine efficacité à un moment donné, ne permettra plus de progresser. Il faut passer au contrôle continu. Je ne reprends pas tout le plan que jai indiqué tout à lheure. Nous navons pas cherché une façon de relâcher la vigilance, au contraire. Nous proposons, de toute façon, dêtre plus efficace dans les conditions daujourdhui. La question des prisonniers de guerre nest donc pas modifiée par cela. Dailleurs, dans le plan que nous avons mis en avant, nous pouvons envisager, en bout de processus, une levée de lembargo, mais nous navons rien dit sur les autres sanctions qui restent valables et les autres problèmes ne sont pas résolus. Nous sommes, par rapport aux prisonniers, dans la même position claire et nette quavant.
Q - Pour lIraq, il a presque rejeté toute initiative à laquelle il na pas été associé, est-ce que la France doit réfléchir pour modifier éventuellement ou apporter un petit changement à ces propositions ?
R - A la fin de la guerre du Golfe, le Conseil de sécurité a mis au point des résolutions, plusieurs résolutions, correspondant à plusieurs problèmes. Il a utilisé des pouvoirs que la Charte lui donne pour imposer un dispositif, provoqué par ce dont lIraq avait pris la responsabilité. Aujourdhui, nous sommes dans la même situation. Nous ne sommes pas en train de négocier avec lIraq, pas plus nous que les autres. Il sagit de savoir comment le Conseil de sécurité peut adapter son dispositif pour le rendre plus efficace, plus pertinent. Est-ce que le Conseil de sécurité peut traiter encore mieux la question de la sécurité régionale tout en atténuant les souffrances injustes du peuple iraquien ? Cest comme cela que nous posons le problème. Ce sont les membres du Conseil de sécurité qui parlent entre eux.
Q - Comment la France voit-elle la reprise des négociations sur le processus de paix, dans léventualité dune réélection de M. Netanyahou ? Et, dans cette perspective, quel en serait limpact sur la situation au Sud Liban, en particulier ?
R - Je ne veux pas me prononcer sur ce qui nest quune hypothèse, puisque par définition on ne connaît jamais lissue dune consultation électorale. Ce que je peux vous dire cest que la France a énormément agi depuis une vingtaine dannées pour quil y ait enfin un processus de paix. Elle a fait tout ce quelle a pu pour que le processus de paix soit relancé quand il était interrompu. La France travaille en étroite collaboration avec les Etats-Unis, avec ses partenaires européens, avec les pays arabes concernés, et elle parle aux responsables israéliens en même temps, avec toujours la même idée : contribuer à la relance de ce processus, un processus de paix dynamique et dune nécessité vitale pour le Proche-Orient. A cette date, je ne veux pas commenter des hypothèses ou entrer dans des spéculations électorales.
Quant à la question du Liban - du Sud Liban plus exactement -, la France encourage naturellement un véritable accord entre les trois protagonistes de ce problème. Elle a même déjà déclaré dans le passé quelle serait prête à participer et à fournir des garanties sil y avait un accord entre les trois pays concernés. La France ne peut pas se substituer aux trois protagonistes.
Q - Lors de votre visite impromptue au Bahreïn, vous avez pu rencontrer M. Arafat. Quels ont été les principaux points dont vous vous êtes entretenus avec lui ? Par ailleurs, que pensez-vous du nouveau gouvernement jordanien ?
R - Je ne veux pas porter dappréciation sur le nouveau roi de Jordanie ou son nouveau gouvernement. Ce sont des affaires intérieures. Le monde entier a marqué sa sympathie envers la Jordanie à loccasion de la disparition du roi Hussein et de lavènement du roi Abdallah, et on ne peut, en plus, que souhaiter bonne chance au nouveau gouvernement.
Jai effectivement rencontré le président Arafat ce matin, mais cétait un entretien bref puisque nous étions là pour exprimer nos condoléances au nouvel émir du Bahreïn. Nous avons essentiellement parlé de la poursuite du dialogue politique entre la France et les autorités palestiniennes, dialogue que je crois particulièrement utile, en ce moment, pour des raisons évidentes.
Q - Pourriez-vous, Monsieur le Ministre, nous parler de la prochaine visite de M. Khatami en France ? Est-ce que la question des trois îles sera évoquée à cette occasion ?
R - Depuis lélection de M. Khatami, la France a décidé de redévelopper son dialogue politique avec lIran. Jétais à Téhéran en août dernier. Jai reçu mon homologue iranien le mois précédent à Paris, et le président Khatami va venir dans quelques semaines. Ce que je peux vous dire cest que dans ce type de contacts, nous parlons de tout. Nous souhaitons marquer notre approbation et notre encouragement à la ligne douverture incarnée par le président Khatami, qui correspond, semble-t-il, aux voeux de lélectorat iranien. Mais il y a encore beaucoup de problèmes, de différences dapproches. Et comme je disais que nous parlions de tout, on parle aussi de tout ce qui peut être utile, y compris la question que vous avez signalée.
Q - Vous avez parlé de propositions dont vous avez fait part à Cheikh Sabah, votre homologue koweïtien, au sujet de cette initiative française pour clore le dossier iraquien. Pouvons-nous savoir quels sont les principaux points de cette initiative ?
R - Ce ne sont pas de nouvelles propositions, ce sont nos idées du mois de janvier. Elles ont été présentées au Conseil de sécurité : contrôle à long terme, contrôle financier, levée de lembargo. Cela ne règle pas tous les problèmes, mais ce sont quelques idées pour que le Conseil de sécurité puisse définir les perspectives de solution. Nous sommes encore en train de travailler sur cette base. Nos idées sont toujours là. Elles sont dactualité. Nous pensons quelles répondent aux problèmes posés. En même temps, comme je lai dit en réponse à une autre question, elles ne sont pas formalisées dans le moindre détail parce quelles sont faites pour alimenter une discussion. Donc, en fait, nous avons poursuivi un dialogue qui existait déjà entre nous. Nous avons déjà eu un échange de lettres à ce sujet. Nous avons poursuivi ce travail, tout simplement et nous continuerons régulièrement.
Q - Il ny a pas didées nouvelles que vous avez apportées avec vous pendant cette visite aussi ?
R - Mais ce ne sont pas des idées gadgets. On na pas besoin den trouver une toutes les semaines. Ce sont des idées importantes qui touchent au fond des choses et tant que le problème nest pas résolu, les idées sont là. Ce sont des idées de fond.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mars 1999)