Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs,
« Des pays qui vont jusquà battre monnaie commune ne sauraient avoir durablement des politiques de défense disjointes « : cest cette idée, exprimée par le Premier Ministre à lIHEDN il y a un an et demi, qui renforce aujourdhui notre conviction quil nest davenir pour lEurope que dans la mise en commun de ses capacités de défense, même si cette entreprise ne peut se faire que sur le long terme.
De ce thème davenir, jaimerais faire le sujet de mon intervention de cet après-midi, et indiquer en quelques mots les principes, les analyses et les plans densemble qui nous ont guidés dans les récentes avancées vers lEurope de la Défense.
Si lon faisait une revue de presse des articles parus chaque année sur ce thème, on obtiendrait une image fort peu encourageante : la construction dune défense européenne, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ressemble à une histoire faite déchecs et dimpasses ou bien dinitiatives à la fois sympathiques et symboliques.
Et cette impression générale, qui nest pas sans fondement, a imprimé une certaine tendance à nos perceptions, un réflexe de pessimisme qui nous fait préférer la posture du sceptique ou du cynique à celle du réformateur, et nous fait douter de lintérêt à se battre pour cette cause.
Pourtant, les impasses du passé et ce tribut de pessimisme que la construction européenne paye à sa lenteur dans un monde de plus en plus obnubilé par lactualité la plus immédiate, ne doivent pas masquer que lactualité récente pas celle de la presse, mais plutôt le moyen terme, celui de laction politique est riche en perspectives nouvelles.
Et puisque lesprit se fixe mieux sur des événements marquants et sur des symboles, je souhaiterais revenir sur le lancement de leuro au 1er janvier dernier. Cette avancée résulte de trois éléments : une volonté politique, une situation favorable, et un intérêt à agir. A mes yeux, le premier facteur lemporte de loin - cest la vision, la conviction des décideurs politiques qui a été lélément décisif pour lever les plus grands obstacles.
Or, ces trois éléments - la volonté politique, la situation favorable et lintérêt à agir - on les retrouve à présent, et de plus en plus, dans le domaine de la Défense.
1.La volonté politique, en-dehors de nos propres positions que vous connaissez, cest dabord lévolution historique de la Grande-Bretagne, que lavenir, je lespère, viendra confirmer. Lannonce par Tony Blair, le 24 octobre dernier à Portschach, dune initiative en faveur dune défense européenne, marque une inflexion de taille dans les choix jusque là très « atlantiques « de cet allié européen qui est très proche de nous sur le plan militaire.
Cette évolution a rendu possible la déclaration franco-britannique de Saint-Malo le 4 décembre dernier, qui donne une impulsion renouvelée à « lEurope de la Défense « définie comme une capacité autonome daction de lUnion appuyée sur des moyens militaires opérationnels - condition reconnue comme nécessaire à terme pour la crédibilité de la PESC.
Cette dynamique rajeunie de la volonté politique, il faut maintenant la communiquer à tous nos partenaires, à commencer par lAllemagne. Avec Hubert Védrine, je mefforce actuellement de faire partager cette volonté qui est le meilleur atout contre un nouvel enlisement de la défense européenne.
2.En cela, je suis aidé, il est vrai, par ce que jai appelé une « situation favorable « , par quoi jentends un contexte historique où aucun obstacle rédhibitoire ne vient rendre nos projets irréalistes.
La fin de la Guerre froide avait commencé à éroder les réticences des Etats les plus opposés à linclusion dune dimension de sécurité puis de défense dans les futures compétences européennes.
Les guerres dex-Yougoslavie ont démontré quil manquait une dimension à lEurope en construction, quelle nétait pas capable dintervenir sur son propre sol, et je crois que les opinions publiques, à la fois rassurées par le climat de paix général et de plus en plus conscientes des insuffisances de cette paix, sont aussi plus disposées à envisager des progrès dans cette dimension de lEurope.
Dun point de vue diplomatique, les dernières années présentent aussi un progrès de la situation générale. Je pense à la meilleure concertation européenne voyez la différence entre les divisions des Européens au sujet de la Bosnie et leur approche concertée du problème kosovar, voyez également la concordance sur le problème du Proche-Orient. Je pense également aux réactions des Américains, dont le rôle dans la sécurité de notre continent reste essentiel : leurs réactions aux progrès récents sont jusquà présent encourageantes Washington y voit une promesse de partage du fardeau et insiste sur le fait que les Européens devront améliorer leurs capacités militaires.
3.Le dernier élément de contexte que jai évoqué est lintérêt à agir.
Cest dabord le mécanisme classique par lequel la mise en commun des ressources de chacun résulte en une capacité accrue pour le groupe, et ceci est vrai sur tous les plans : diplomatique, industriel, militaire. LEurope, au fond, est une grande puissance virtuelle qui nattend quune union plus forte pour démontrer toute ses capacités et se rapprocher du rang qui devrait être le sien, compte tenu de son poids économique, technologique et culturel.
Enfin, je crois que lintérêt de voir lEurope saffirmer sur le plan de la Défense nest pas seulement un intérêt européen mais un intérêt partagé : nous pouvons apporter au monde un pôle puissant de stabilité et daction en faveur de la paix et du droit. Un monde multipolaire où un grand acteur démocratique supplémentaire saffirme est aussi un monde plus stable, plus juste et plus équilibré.
Cest donc en raison de la conjonction de ces trois éléments que je réaffirme ma confiance dans le processus de construction de lEurope de la Défense, en dépit des obstacles ponctuels et de la longue durée que requiert inévitablement cette construction.
Ce contexte dont je viens de tracer les grandes lignes est donc encourageant, et jen viens aux réalisations actuelles et aux perspectives qui nous sont ouvertes.
A mon sens, lEurope de la Défense doit reposer sur trois piliers :
une base institutionnelle claire, fournissant des moyens opérationnels complets ;
un regroupement et une consolidation de nos industries darmement, sujet dont vous avez dû amplement débattre ;
et enfin des initiatives de terrain, à la fois par la constitution de forces proprement européennes et par la participation conjointe au règlement des crises actuelles.
Rapprocher du cur des institutions européennes les questions de défense : cette approche rompt avec plusieurs décennies, des années 1950 à la fin de la guerre froide, pendant lesquelles la séparation était restée étanche entre questions de défense et construction européenne.
Avec le Traité dAmsterdam en effet, le Conseil européen va être conforté comme un acteur en mesure de jouer un rôle effectif sur la scène internationale. Il devient responsable de la définition des principes et orientations de la PESC et adopte des stratégies communes, y compris en matière de défense.
Cette compétence du Conseil européen vaut également à légard de lUEO lorsque lUnion a recours à cette organisation, même si lintégration de lUEO dans lUnion, qui est un scénario possible, ou encore la mise en place dune Défense commune ne pourront être menées à bien que « si le Conseil européen en décide ainsi ».
Mais, dores et déjà, la transcription dans le traité des missions dites du Petersberg fournit aux Européens une base juridique nouvelle pour entreprendre les opérations pouvant être rendues nécessaires par ladoption dactions communes. Linstitution dun Monsieur PESC et dune UPPAR (Unité de Planification Précoce et dAlerte Rapide) conforte encore la capacité de décision du Conseil européen.
LUEO, institution dotée de son traité propre, poursuit une voie distincte mais convergente, avec des progrès dans les instruments de gestion de crise : centre satellitaire de Torrejon, centre de situation, Etat-major effectuant des exercices. LUEO sest manifestée dans quelques opérations maritimes (Golfe, Adriatique, Danube). De plus en plus surtout, lUEO est désignée comme lorgane au sein duquel laction collective des Européens sexerce : les textes de Berlin (OTAN) et dAmsterdam y font référence. Il est notamment prévu que des accords entérinent le recours à une chaîne de planification et de commandement OTAN lors dopérations conduites sous la responsabilité de lUEO.
LOTAN est engagée à conforter en son sein lIESD. La réunion de Berlin a lancé un processus par lequel les Etats, à travers lUEO, pourraient avoir recours aux moyens matériels ou humains (planification, chaîne de commandement) au service dactions spécifiquement européennes. Le processus est lent. Il se traduit par lélaboration de concepts nouveaux, comme les GFIM, pour structurer de telles forces, pour les cas notamment où les Etats-Unis ne souhaiteraient pas sengager. Ce processus dérivé des décisions de Berlin comporte toutefois des limites évidentes.
On touche là, bien sûr, au cur des problèmes de notre architecture de sécurité, et lon aborde une question centrale pour lavenir politique de lEurope comme grande puissance, amie des Etats-Unis mais cependant distincte.
Les contacts franco-britanniques se sont multipliés depuis Saint-Malo pour explorer les conséquences pratiques de la déclaration, notamment les dispositions politiques et militaires permettant à lUnion de conduire sous sa direction politique et stratégique des opérations soit en ayant recours à une chaîne européenne identifiée dans lOTAN, soit en utilisant une chaîne de commandement et des moyens strictement autonomes.
Dans un premier temps, lobjectif, que nous partageons avec les Britanniques, est daboutir à ce que le développement dune capacité européenne de défense pour la gestion de crise soit reconnu et encouragé au Sommet de lOTAN à Washington de manière à aller au-delà des décisions de Berlin.
Il sagit de progresser dans une direction prévoyant clairement de donner à ladjoint européen du Commandant des forces alliées en Europe (le SACEUR adjoint ou « Deputy SACEUR « ) les moyens réels de planifier une opération européenne et dorganiser le recours aux moyens de lOTAN dès lors que lEurope agirait en tant que telle. LOTAN pourrait ainsi fournir la structure de commandement dune force qui pourrait être issue des forces affectées à lOTAN, lopération étant dirigée par lUE.
Dans dautres cas, lUE aurait recours à des forces proprement européennes en sappuyant sur les capacités de planification et dorganisation dune « nation cadre « . Cest pourquoi nous étudions parallèlement, en tant que second volet des travaux découlant de la Déclaration de Saint-Malo, lhypothèse dune opération européenne utilisant des moyens propres.
Ces réflexions impliquent progressivement une articulation plus directe entre IUE et lOTAN, un renforcement du pôle européen dans lAlliance et un partage des responsabilités. Se posera à terme le problème du rôle de lUEO qui perdra quelque peu son utilité dans un tel dispositif, ses fonctions pouvant venir renforcer les capacités politico-militaires de lUE dans une structure à définir qui pourrait sapparenter à une agence.
Des décisions interviennent aussi pour rapprocher les industries de défense en Europe et contribuer à lémergence dune politique européenne darmement.
Sur ces sujets industriels, le Gouvernement a donné la priorité à la stratégie technologique et industrielle, et non aux considérations financières à court terme, a fortiori aux prises de position idéologiques. Sur ces dossiers, qui avaient pris du retard en matière de restructuration et de préparation de lavenir, la stratégie du Gouvernement consiste à opérer des regroupements rationnels dactifs industriels, avec pour objectif fondamental de construire des alliances denvergure au niveau européen, capables déquilibrer les fortes concentrations réalisées par lindustrie de défense américaine.
Cet objectif se traduit par la constitution, maintenant achevée, en moins dun an, dun pôle délectronique professionnelle et de défense autour de THOMSON CSF, ALCATEL et DASSAULT ELECTRONIQUE, qui est au premier rang européen et qui est, par conséquent, dans la meilleure situation pour négocier des accords équilibrés avec dautres partenaires européens.
Quelques mots sur lactualité de ces dernières semaines : vous savez que GEC a finalement décidé de céder sa filiale GEC MARCONI à BRITISH AEROSPACE, préférant cette solution aux propositions de THOMSON CSF. Je ne vous cacherai pas que le Gouvernement aurait préféré une alliance franco-britannique entre GEC et THOMSON CSF ; toutefois, ni ALCATEL ni lEtat nétaient disposés à envisager une alliance à nimporte quel prix. Dautant que THOMSON CSF dispose dautres options stratégiques pour poursuivre son développement, options essentiellement européennes, mais pas exclusivement.
Dans le domaine de laéronautique - dossier qui était en sommeil depuis près de vingt ans - le gouvernement a organisé après seulement quelques mois de travail la structuration dun pôle aéronautique et spatial autour dAEROSPATIALE - MATRA, qui coopéra avec DASSAULT, ces deux ensembles étant déjà bien engagés dans des accords européens significatifs. La fusion dAEROSPATIALE avec MATRA HAUTES TECHNOLOGIES est en bonne voie, et je souhaite pour ma part quelle soit finalisée au premier semestre 1999, cest-à-dire dans un délai qui, là encore, se compare avantageusement avec les tentatives infructueuses qui avaient été développées sur ce thème au cours des années précédentes.
En parallèle, les gouvernements européens ont pris plusieurs initiatives destinées à favoriser ce processus de restructuration et contribuer ainsi à la constitution de lEurope de la Défense.
Cest le cas de lOrganisme Conjoint de Coopération en matière dArmement (OCCAR) que les quatre pays fondateurs ont doté de lautonomie juridique en signant un traité en septembre 1998. Cette structure met en place des méthodes innovantes de gestion des programmes en coopération et dacquisition des matériels (plus efficaces, moins coûteuses, plus intégrées). Elle contribue ainsi à la rationalisation indispensable en Europe et constitue une étape vers létablissement à terme dune véritable agence européenne darmement.
La lettre dintention (LoI) signée en juillet dernier par les ministres de la Défense des six principaux pays européens producteurs darmement vise à faciliter la constitution de sociétés transnationales de défense, en réduisant les obstacles administratifs, réglementaires et politiques. Des travaux sont en cours dans des domaines clés (sécurité dapprovisionnement, sécurité de linformation, simplification des procédures dexportation ...), dans lobjectif de créer un cadre de pratiques et de règles communes.
Des initiatives sont aussi prises hors institutions, dont la création de forces multinationales aptes à remplir certaines fonctions au bénéfice dactions européennes :
· Le Corps européen est opérationnel depuis 1995. Dédié aussi bien à la gestion des crises hors de la zone de lOTAN quà des missions de défense collective, il doit évoluer vers une structure plus modulaire, adaptable à la variété des engagements possibles et permettant ladjonction déléments dautres nations. Il peut mettre sur pied rapidement une Force Immédiate Légère (FIL) du volume dune brigade, une Force Immédiate Mécanisée (FIM) du volume dune division ou le corps darmée au complet. Mais son caractère trop monolithique actuel rend encore difficile son engagement en létat.
· Les Euroforces sont, quant à elles, des forces multinationales pré-structurées, mais non permanentes, disponibles à la demande, fondées sur les capacités existantes des pays participants. Elles contribuent au développement des capacités militaires propres à lEurope et doivent permettre de participer aux actions militaires de gestion des crises et au développement de la sécurité régionale.
· A côté des forces, il faut mentionner les avancées sur le terrain, et ce terrain est essentiellement lex-Yougoslavie : la force dextraction stationnée en Macédoine, après les expériences de lIFOR et de la SFOR qui sinscrivaient elles aussi au sein de lOTAN, montre que les Européens, emmenés ici par la France, peuvent fournir des réponses propres aux problèmes qui se posent sur leur continent.
Pour conclure, laissez moi élargir à présent mon propos par une perspective à la fois plus large que le seul domaine de la Défense, et de plus long terme.
La genèse des grandes puissances, les racines de leur cohésion, ont toujours été trempées dans lhistoire, cest-à-dire dans le fer et le sang : les empires de lAntiquité ou du Moyen Age, ceux du colonialisme, la fédération américaine qui a mis plus dun siècle à se trouver une unité réelle, la cohésion allemande, lextension de la Russie cette alchimie historique qui construit des grands ensembles ne sait avancer que par le fracas des guerres et le grondement des batailles.
LEurope en construction, elle, se bâtit par la paix, la démocratie et la préservation des volontés populaires, et ce défi que nous avons lancé à lHistoire est bien dun genre nouveau. Construire une maison commune par la libre volonté de ses habitants, quand cette maison a été divisée pendant des siècles, cest prendre ses distances avec la contrainte du passé et son cortège de forces centrifuges, cest faire primer la raison et lespérance sur le conservatisme et la soumission.
Prendre en main notre histoire, aujourdhui, cest parvenir à conjurer les échecs passés dune défense commune et profiter des conditions favorables pour avancer, au cours des prochaines années, vers lEurope de la Défense.
Après léchec de la CED, le 30 août 1954, la construction européenne sest tournée vers un marché commun, une politique agricole commune et une harmonisation croissante des réglementations ; puis vers laventure de la monnaie unique.
Cette aventure-là est en passe dêtre gagnée.
A nous maintenant de dépasser les obstacles légués par lhistoire et de gagner le
pari de la cohésion, pour assurer à lEurope sa sécurité, et au monde un avenir de paix durable.
Je vous remercie.
(Source http://www.defense.gouv.fr, février 1999)
Mesdames, Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs,
« Des pays qui vont jusquà battre monnaie commune ne sauraient avoir durablement des politiques de défense disjointes « : cest cette idée, exprimée par le Premier Ministre à lIHEDN il y a un an et demi, qui renforce aujourdhui notre conviction quil nest davenir pour lEurope que dans la mise en commun de ses capacités de défense, même si cette entreprise ne peut se faire que sur le long terme.
De ce thème davenir, jaimerais faire le sujet de mon intervention de cet après-midi, et indiquer en quelques mots les principes, les analyses et les plans densemble qui nous ont guidés dans les récentes avancées vers lEurope de la Défense.
Si lon faisait une revue de presse des articles parus chaque année sur ce thème, on obtiendrait une image fort peu encourageante : la construction dune défense européenne, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ressemble à une histoire faite déchecs et dimpasses ou bien dinitiatives à la fois sympathiques et symboliques.
Et cette impression générale, qui nest pas sans fondement, a imprimé une certaine tendance à nos perceptions, un réflexe de pessimisme qui nous fait préférer la posture du sceptique ou du cynique à celle du réformateur, et nous fait douter de lintérêt à se battre pour cette cause.
Pourtant, les impasses du passé et ce tribut de pessimisme que la construction européenne paye à sa lenteur dans un monde de plus en plus obnubilé par lactualité la plus immédiate, ne doivent pas masquer que lactualité récente pas celle de la presse, mais plutôt le moyen terme, celui de laction politique est riche en perspectives nouvelles.
Et puisque lesprit se fixe mieux sur des événements marquants et sur des symboles, je souhaiterais revenir sur le lancement de leuro au 1er janvier dernier. Cette avancée résulte de trois éléments : une volonté politique, une situation favorable, et un intérêt à agir. A mes yeux, le premier facteur lemporte de loin - cest la vision, la conviction des décideurs politiques qui a été lélément décisif pour lever les plus grands obstacles.
Or, ces trois éléments - la volonté politique, la situation favorable et lintérêt à agir - on les retrouve à présent, et de plus en plus, dans le domaine de la Défense.
1.La volonté politique, en-dehors de nos propres positions que vous connaissez, cest dabord lévolution historique de la Grande-Bretagne, que lavenir, je lespère, viendra confirmer. Lannonce par Tony Blair, le 24 octobre dernier à Portschach, dune initiative en faveur dune défense européenne, marque une inflexion de taille dans les choix jusque là très « atlantiques « de cet allié européen qui est très proche de nous sur le plan militaire.
Cette évolution a rendu possible la déclaration franco-britannique de Saint-Malo le 4 décembre dernier, qui donne une impulsion renouvelée à « lEurope de la Défense « définie comme une capacité autonome daction de lUnion appuyée sur des moyens militaires opérationnels - condition reconnue comme nécessaire à terme pour la crédibilité de la PESC.
Cette dynamique rajeunie de la volonté politique, il faut maintenant la communiquer à tous nos partenaires, à commencer par lAllemagne. Avec Hubert Védrine, je mefforce actuellement de faire partager cette volonté qui est le meilleur atout contre un nouvel enlisement de la défense européenne.
2.En cela, je suis aidé, il est vrai, par ce que jai appelé une « situation favorable « , par quoi jentends un contexte historique où aucun obstacle rédhibitoire ne vient rendre nos projets irréalistes.
La fin de la Guerre froide avait commencé à éroder les réticences des Etats les plus opposés à linclusion dune dimension de sécurité puis de défense dans les futures compétences européennes.
Les guerres dex-Yougoslavie ont démontré quil manquait une dimension à lEurope en construction, quelle nétait pas capable dintervenir sur son propre sol, et je crois que les opinions publiques, à la fois rassurées par le climat de paix général et de plus en plus conscientes des insuffisances de cette paix, sont aussi plus disposées à envisager des progrès dans cette dimension de lEurope.
Dun point de vue diplomatique, les dernières années présentent aussi un progrès de la situation générale. Je pense à la meilleure concertation européenne voyez la différence entre les divisions des Européens au sujet de la Bosnie et leur approche concertée du problème kosovar, voyez également la concordance sur le problème du Proche-Orient. Je pense également aux réactions des Américains, dont le rôle dans la sécurité de notre continent reste essentiel : leurs réactions aux progrès récents sont jusquà présent encourageantes Washington y voit une promesse de partage du fardeau et insiste sur le fait que les Européens devront améliorer leurs capacités militaires.
3.Le dernier élément de contexte que jai évoqué est lintérêt à agir.
Cest dabord le mécanisme classique par lequel la mise en commun des ressources de chacun résulte en une capacité accrue pour le groupe, et ceci est vrai sur tous les plans : diplomatique, industriel, militaire. LEurope, au fond, est une grande puissance virtuelle qui nattend quune union plus forte pour démontrer toute ses capacités et se rapprocher du rang qui devrait être le sien, compte tenu de son poids économique, technologique et culturel.
Enfin, je crois que lintérêt de voir lEurope saffirmer sur le plan de la Défense nest pas seulement un intérêt européen mais un intérêt partagé : nous pouvons apporter au monde un pôle puissant de stabilité et daction en faveur de la paix et du droit. Un monde multipolaire où un grand acteur démocratique supplémentaire saffirme est aussi un monde plus stable, plus juste et plus équilibré.
Cest donc en raison de la conjonction de ces trois éléments que je réaffirme ma confiance dans le processus de construction de lEurope de la Défense, en dépit des obstacles ponctuels et de la longue durée que requiert inévitablement cette construction.
Ce contexte dont je viens de tracer les grandes lignes est donc encourageant, et jen viens aux réalisations actuelles et aux perspectives qui nous sont ouvertes.
A mon sens, lEurope de la Défense doit reposer sur trois piliers :
une base institutionnelle claire, fournissant des moyens opérationnels complets ;
un regroupement et une consolidation de nos industries darmement, sujet dont vous avez dû amplement débattre ;
et enfin des initiatives de terrain, à la fois par la constitution de forces proprement européennes et par la participation conjointe au règlement des crises actuelles.
Rapprocher du cur des institutions européennes les questions de défense : cette approche rompt avec plusieurs décennies, des années 1950 à la fin de la guerre froide, pendant lesquelles la séparation était restée étanche entre questions de défense et construction européenne.
Avec le Traité dAmsterdam en effet, le Conseil européen va être conforté comme un acteur en mesure de jouer un rôle effectif sur la scène internationale. Il devient responsable de la définition des principes et orientations de la PESC et adopte des stratégies communes, y compris en matière de défense.
Cette compétence du Conseil européen vaut également à légard de lUEO lorsque lUnion a recours à cette organisation, même si lintégration de lUEO dans lUnion, qui est un scénario possible, ou encore la mise en place dune Défense commune ne pourront être menées à bien que « si le Conseil européen en décide ainsi ».
Mais, dores et déjà, la transcription dans le traité des missions dites du Petersberg fournit aux Européens une base juridique nouvelle pour entreprendre les opérations pouvant être rendues nécessaires par ladoption dactions communes. Linstitution dun Monsieur PESC et dune UPPAR (Unité de Planification Précoce et dAlerte Rapide) conforte encore la capacité de décision du Conseil européen.
LUEO, institution dotée de son traité propre, poursuit une voie distincte mais convergente, avec des progrès dans les instruments de gestion de crise : centre satellitaire de Torrejon, centre de situation, Etat-major effectuant des exercices. LUEO sest manifestée dans quelques opérations maritimes (Golfe, Adriatique, Danube). De plus en plus surtout, lUEO est désignée comme lorgane au sein duquel laction collective des Européens sexerce : les textes de Berlin (OTAN) et dAmsterdam y font référence. Il est notamment prévu que des accords entérinent le recours à une chaîne de planification et de commandement OTAN lors dopérations conduites sous la responsabilité de lUEO.
LOTAN est engagée à conforter en son sein lIESD. La réunion de Berlin a lancé un processus par lequel les Etats, à travers lUEO, pourraient avoir recours aux moyens matériels ou humains (planification, chaîne de commandement) au service dactions spécifiquement européennes. Le processus est lent. Il se traduit par lélaboration de concepts nouveaux, comme les GFIM, pour structurer de telles forces, pour les cas notamment où les Etats-Unis ne souhaiteraient pas sengager. Ce processus dérivé des décisions de Berlin comporte toutefois des limites évidentes.
On touche là, bien sûr, au cur des problèmes de notre architecture de sécurité, et lon aborde une question centrale pour lavenir politique de lEurope comme grande puissance, amie des Etats-Unis mais cependant distincte.
Les contacts franco-britanniques se sont multipliés depuis Saint-Malo pour explorer les conséquences pratiques de la déclaration, notamment les dispositions politiques et militaires permettant à lUnion de conduire sous sa direction politique et stratégique des opérations soit en ayant recours à une chaîne européenne identifiée dans lOTAN, soit en utilisant une chaîne de commandement et des moyens strictement autonomes.
Dans un premier temps, lobjectif, que nous partageons avec les Britanniques, est daboutir à ce que le développement dune capacité européenne de défense pour la gestion de crise soit reconnu et encouragé au Sommet de lOTAN à Washington de manière à aller au-delà des décisions de Berlin.
Il sagit de progresser dans une direction prévoyant clairement de donner à ladjoint européen du Commandant des forces alliées en Europe (le SACEUR adjoint ou « Deputy SACEUR « ) les moyens réels de planifier une opération européenne et dorganiser le recours aux moyens de lOTAN dès lors que lEurope agirait en tant que telle. LOTAN pourrait ainsi fournir la structure de commandement dune force qui pourrait être issue des forces affectées à lOTAN, lopération étant dirigée par lUE.
Dans dautres cas, lUE aurait recours à des forces proprement européennes en sappuyant sur les capacités de planification et dorganisation dune « nation cadre « . Cest pourquoi nous étudions parallèlement, en tant que second volet des travaux découlant de la Déclaration de Saint-Malo, lhypothèse dune opération européenne utilisant des moyens propres.
Ces réflexions impliquent progressivement une articulation plus directe entre IUE et lOTAN, un renforcement du pôle européen dans lAlliance et un partage des responsabilités. Se posera à terme le problème du rôle de lUEO qui perdra quelque peu son utilité dans un tel dispositif, ses fonctions pouvant venir renforcer les capacités politico-militaires de lUE dans une structure à définir qui pourrait sapparenter à une agence.
Des décisions interviennent aussi pour rapprocher les industries de défense en Europe et contribuer à lémergence dune politique européenne darmement.
Sur ces sujets industriels, le Gouvernement a donné la priorité à la stratégie technologique et industrielle, et non aux considérations financières à court terme, a fortiori aux prises de position idéologiques. Sur ces dossiers, qui avaient pris du retard en matière de restructuration et de préparation de lavenir, la stratégie du Gouvernement consiste à opérer des regroupements rationnels dactifs industriels, avec pour objectif fondamental de construire des alliances denvergure au niveau européen, capables déquilibrer les fortes concentrations réalisées par lindustrie de défense américaine.
Cet objectif se traduit par la constitution, maintenant achevée, en moins dun an, dun pôle délectronique professionnelle et de défense autour de THOMSON CSF, ALCATEL et DASSAULT ELECTRONIQUE, qui est au premier rang européen et qui est, par conséquent, dans la meilleure situation pour négocier des accords équilibrés avec dautres partenaires européens.
Quelques mots sur lactualité de ces dernières semaines : vous savez que GEC a finalement décidé de céder sa filiale GEC MARCONI à BRITISH AEROSPACE, préférant cette solution aux propositions de THOMSON CSF. Je ne vous cacherai pas que le Gouvernement aurait préféré une alliance franco-britannique entre GEC et THOMSON CSF ; toutefois, ni ALCATEL ni lEtat nétaient disposés à envisager une alliance à nimporte quel prix. Dautant que THOMSON CSF dispose dautres options stratégiques pour poursuivre son développement, options essentiellement européennes, mais pas exclusivement.
Dans le domaine de laéronautique - dossier qui était en sommeil depuis près de vingt ans - le gouvernement a organisé après seulement quelques mois de travail la structuration dun pôle aéronautique et spatial autour dAEROSPATIALE - MATRA, qui coopéra avec DASSAULT, ces deux ensembles étant déjà bien engagés dans des accords européens significatifs. La fusion dAEROSPATIALE avec MATRA HAUTES TECHNOLOGIES est en bonne voie, et je souhaite pour ma part quelle soit finalisée au premier semestre 1999, cest-à-dire dans un délai qui, là encore, se compare avantageusement avec les tentatives infructueuses qui avaient été développées sur ce thème au cours des années précédentes.
En parallèle, les gouvernements européens ont pris plusieurs initiatives destinées à favoriser ce processus de restructuration et contribuer ainsi à la constitution de lEurope de la Défense.
Cest le cas de lOrganisme Conjoint de Coopération en matière dArmement (OCCAR) que les quatre pays fondateurs ont doté de lautonomie juridique en signant un traité en septembre 1998. Cette structure met en place des méthodes innovantes de gestion des programmes en coopération et dacquisition des matériels (plus efficaces, moins coûteuses, plus intégrées). Elle contribue ainsi à la rationalisation indispensable en Europe et constitue une étape vers létablissement à terme dune véritable agence européenne darmement.
La lettre dintention (LoI) signée en juillet dernier par les ministres de la Défense des six principaux pays européens producteurs darmement vise à faciliter la constitution de sociétés transnationales de défense, en réduisant les obstacles administratifs, réglementaires et politiques. Des travaux sont en cours dans des domaines clés (sécurité dapprovisionnement, sécurité de linformation, simplification des procédures dexportation ...), dans lobjectif de créer un cadre de pratiques et de règles communes.
Des initiatives sont aussi prises hors institutions, dont la création de forces multinationales aptes à remplir certaines fonctions au bénéfice dactions européennes :
· Le Corps européen est opérationnel depuis 1995. Dédié aussi bien à la gestion des crises hors de la zone de lOTAN quà des missions de défense collective, il doit évoluer vers une structure plus modulaire, adaptable à la variété des engagements possibles et permettant ladjonction déléments dautres nations. Il peut mettre sur pied rapidement une Force Immédiate Légère (FIL) du volume dune brigade, une Force Immédiate Mécanisée (FIM) du volume dune division ou le corps darmée au complet. Mais son caractère trop monolithique actuel rend encore difficile son engagement en létat.
· Les Euroforces sont, quant à elles, des forces multinationales pré-structurées, mais non permanentes, disponibles à la demande, fondées sur les capacités existantes des pays participants. Elles contribuent au développement des capacités militaires propres à lEurope et doivent permettre de participer aux actions militaires de gestion des crises et au développement de la sécurité régionale.
· A côté des forces, il faut mentionner les avancées sur le terrain, et ce terrain est essentiellement lex-Yougoslavie : la force dextraction stationnée en Macédoine, après les expériences de lIFOR et de la SFOR qui sinscrivaient elles aussi au sein de lOTAN, montre que les Européens, emmenés ici par la France, peuvent fournir des réponses propres aux problèmes qui se posent sur leur continent.
Pour conclure, laissez moi élargir à présent mon propos par une perspective à la fois plus large que le seul domaine de la Défense, et de plus long terme.
La genèse des grandes puissances, les racines de leur cohésion, ont toujours été trempées dans lhistoire, cest-à-dire dans le fer et le sang : les empires de lAntiquité ou du Moyen Age, ceux du colonialisme, la fédération américaine qui a mis plus dun siècle à se trouver une unité réelle, la cohésion allemande, lextension de la Russie cette alchimie historique qui construit des grands ensembles ne sait avancer que par le fracas des guerres et le grondement des batailles.
LEurope en construction, elle, se bâtit par la paix, la démocratie et la préservation des volontés populaires, et ce défi que nous avons lancé à lHistoire est bien dun genre nouveau. Construire une maison commune par la libre volonté de ses habitants, quand cette maison a été divisée pendant des siècles, cest prendre ses distances avec la contrainte du passé et son cortège de forces centrifuges, cest faire primer la raison et lespérance sur le conservatisme et la soumission.
Prendre en main notre histoire, aujourdhui, cest parvenir à conjurer les échecs passés dune défense commune et profiter des conditions favorables pour avancer, au cours des prochaines années, vers lEurope de la Défense.
Après léchec de la CED, le 30 août 1954, la construction européenne sest tournée vers un marché commun, une politique agricole commune et une harmonisation croissante des réglementations ; puis vers laventure de la monnaie unique.
Cette aventure-là est en passe dêtre gagnée.
A nous maintenant de dépasser les obstacles légués par lhistoire et de gagner le
pari de la cohésion, pour assurer à lEurope sa sécurité, et au monde un avenir de paix durable.
Je vous remercie.
(Source http://www.defense.gouv.fr, février 1999)