Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à RTL le 13 juin 2008, sur l'avenir du Traité de Lisbonne après le vote négatif des Irlandais.

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Texte intégral

Q - Monsieur Jean-Pierre Jouyet, vous êtes déçu par le résultat du référendum irlandais. A tel point que vous avez dit tout à l'heure que vous étiez littéralement effondré.
R - Le terme est un peu trop fort, parce que je m'exprimais sous le coup de l'émotion. Mais déçu oui, tout en respectant le choix du peuple irlandais. La démocratie a parlé en Irlande et nous devons le respecter.
Q - Maintenant, quelles sont les solutions, selon vous, pour tenter de remédier à cette panne institutionnelle ?
R - Le Conseil européen se réunira les 19 et 20 juin. Nous ferons une évaluation de la situation avec le Premier ministre irlandais et les autres chefs d'Etat et de gouvernement. Je pense qu'il est important que le processus de ratification puisse se poursuivre. Parce que ce n'est pas la même situation lorsque vous avez un ou plusieurs "non" qui s'expriment à l'égard du traité. Deuxième chose, cela doit nous inciter, sous Présidence française, à redoubler d'efforts pour développer des politiques communes et des politiques concrètes pour une Europe plus écologique et plus sociale, pour répondre de façon appropriée à la hausse du prix du pétrole, pour une Europe qui soit davantage tournée vers la sécurité alimentaire et pour essayer de construire une Europe plus sûre en terme de défense.
Q - Il me semble que le message que tout le monde veut faire passer ce soir, que ce soit le président de la Commission, M. Barroso, Nicolas Sarkozy ou Angela Merkel est à peu près le même. Il faut que les ratifications se poursuivent ?
R - C'est exact. C'est le bon sens. Les Irlandais se sont prononcés, d'autres pays doivent encore le faire. Je salue, de ce point de vue, l'attitude et le courage du Premier ministre britannique qui a dit qu'il allait poursuivre le processus de ratification. Je pense que les autres vont le poursuivre également, notamment nos amis thèques et suédois qui doivent assurer la présidence de l'Union européenne l'année prochaine. Cela permet de donner un temps de réflexion à nos amis irlandais.
Q - Ce matin à Marseille, vous avez parlé d'un possible arrangement juridique. Qu'est-ce que cela voulait dire exactement ?
R - Ce que j'ai voulu dire c'est qu'il va y avoir des discussions entre les vingt-six membres de l'Union et l'Irlande pour voir quelle solution leur paraît la meilleure. C'est aux Irlandais de décider et il est trop tôt pour parler d'un mécanisme ou de dispositifs précis.
Q - Mais selon vous, est-il envisageable, un seul instant, que l'Irlande sorte de l'Union ?
R - Non, ce n'est pas envisageable.
Q - Voilà une réponse carrée. En tout cas ce "non", qui émane majoritairement des couches populaires en Irlande, témoignent peut-être d'un gros fossé actuellement entre les citoyens de base et l'élite de l'Union européenne ?
R - Il y a deux déficits. En Irlande, comme dans d'autres pays, nous ne portons pas suffisamment la parole européenne. Toujours et inlassablement nous devons porter les valeurs et les projets européens. Nous devons démontrer quelle est la valeur ajoutée de l'Europe. Les Etats ne doivent pas se défausser sur l'Europe. Le deuxième point, vous avez raison, il y a un décalage entre les attentes à court terme et la stratégie européenne à moyen terme. Je pense que les opinions publiques comprennent bien que l'Europe est le meilleur rempart face à la mondialisation. Je rappelle que la population européenne, c'est 7 % de la population mondiale et que chacun des Etats pèse encore moins que l'Europe réunie pour répondre à des défis globaux comme l'environnement, l'alimentation ou le terrorisme. Mais en revanche, il y a effectivement une incompréhension face à ce qu'apporte l'Europe à court terme, notamment à ceux qui sont les moins favorisés, qui souffrent le plus dans leur vie quotidienne. De ce point de vue, il faut trouver une meilleure articulation au niveau européen entre des réponses ponctuelles qui doivent intervenir lorsque se produisent les chocs comme ceux que l'on vit actuellement avec la flambée des prix du pétrole et le maintien d'une stratégie qui sur le plan économique, par exemple, est bonne sur le moyen terme. Cette stratégie est la seule qui puisse permettre à l'ensemble des peuples européens de peser sur l'avenir du monde. Si nous n'avions pas de projet européen, si nous n'avions pas l'euro pour nous protéger de la hausse du coût des matières premières, nous laisserions les clés de la mondialisation aux Américains, aux Chinois et aux Russes. Je pense que personne ne le souhaite.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juin 2008