Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, sur la prise en charge des addictions, la prévention et les soins médicaux aux patients ayant une conduite addictive et la politique de santé, Paris le 6 juin 2008.

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Circonstance : Ouverture des journées de l'Albatros, lutte contre les addictions à Paris le 6 juin 2008

Texte intégral


Mesdames et messieurs,
Mieux prévenir et mieux prendre en charge les addictions constitue une priorité de ma politique de santé.
La complexité des déterminants de l'addiction et l'interaction de ses effets (sanitaires, médicaux, aussi bien que sociaux) impose la mise en oeuvre de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Aussi, je tenais, par ma présence aujourd'hui parmi vous, à saluer le travail de ce centre de référence exemplaire, l'Albatros qui donne son nom à ces journées d'échange.
Les problématiques de l'addiction, pour être bien posées, plus encore que l'esprit de géométrie, sollicitent l'esprit de finesse. Les praticiens le savent : il n'existe pas de recettes toutes faites, qui puissent être appliquées mécaniquement, pour contrarier l'addiction.
Les addictions, polymorphes et souvent conjuguées, tolérées ou ravageuses, imperceptibles ou manifestes, ne sauraient être combattues par le moyen de quelque méthode universelle, préétablie, adaptée à toute situation.
Les réponses apportées n'ont jamais d'effets univoques.
L'addictologie, en ce sens, procédant d'une démarche anthropologique, s'inscrit nécessairement dans une perspective humaniste. Chaque individu souffrant de l'addiction doit être, en effet, considéré dans sa singularité. Il doit être compris tel qu'il est, et non pas se sentir jugé pour ce qu'il n'est pas.
Toute la difficulté, mais aussi toute la noblesse de l'addictologie réside dans cette philosophie du soin qui requiert une attention scrupuleuse aux personnes et qui exclut tout traitement stéréotypé.
Ce qui vaut ici pour le soin vaut aussi, bien entendu, pour la prévention qui se doit, pour informer et pour éduquer, de s'adapter aux contours toujours mouvants de notre société. La prévention doit ainsi se repenser constamment à l'aune de connaissances nouvelles, mais aussi de problématiques sanitaires jusque-là inconnues, et qui exigent une véritable ductilité dans la mise en oeuvre des stratégies.
Prévenir l'addiction, de même que soigner tous ceux qui en souffrent, implique toujours de susciter l'autonomie.
Se défaire de l'addiction, refuser de s'y laisser prendre, "échapper à ses gouffres amères", c'est en même temps lutter pour la vie et pour la liberté.
Pour instituer durablement ou restaurer les conditions de l'autonomie, l'interdiction et la coercition ne sont pas nécessairement la panacée.
Il n'est pas, cependant, "interdit d'interdire" et c'est même un devoir, dès lors qu'il s'agit dans un premier temps de protéger, avant de convaincre chacun d'adopter par lui-même des habitudes bénéfiques pour sa santé.
C'est ce constat qui m'a conduite à mettre en oeuvre l'interdiction de fumer dans les lieux publics, dont les retombées très positives sont désormais avérées. Les fumeurs eux-mêmes se sont déclarés majoritairement en faveur de cette mesure, preuve qu'ils y voient une aide extérieure à restreindre leur consommation, plutôt qu'une mesure liberticide.
C'est dans le même esprit que nous réfléchissons au principe d'une interdiction de la vente d'alcools aux moins de dix-huit ans. De nombreuses études m'ont convaincue que les bienfaits à attendre d'une telle mesure étaient réels.
Si certaines mesures d'interdiction peuvent être bénéfiques à court et à moyen terme, nous devons nous assurer qu'elles suscitent une démarche volontaire, librement assumée.
L'éducation, par définition, est émancipatrice. Il s'agit toujours, d'éclairer une conscience libre. Comme Rousseau l'explique dans L'Émile, à la politique de la peur répond soit la soumission qui attriste et rabaisse, soit la révolte, soit la duplicité et la ruse.
Les praticiens, les chercheurs, les enseignants ici présents, connaissent parfaitement l'effet pervers et contre-productif que peut induire toute politique régie par le seul principe de la crainte.
Ainsi, une politique de prévention bien pensée doit, à mes yeux, ne jamais oublier sa finalité ultime : sa finalité EDUCATIVE.
Les mesures paternalistes, les messages culpabilisateurs contribuent bien plus souvent à déresponsabiliser ceux qu'ils visent, dès lors notamment que nous nous adressons à des jeunes qu'il faut encourager à prendre en main leur santé, de manière responsable.
Sauver des vies, émanciper : telles sont donc les deux missions cardinales de la prévention.
Les principes généraux qui président à ma politique de santé publique, en matière d'addiction, sont donc bien identiques à ceux qui régissent vos pratiques.
De même, l'objectif de prise en charge globale des addictions, adapté à chaque patient, que poursuit le CERTA, appelé l'Albatros, répond très exactement à la politique que je préconise dans tous les champs de la santé.
Par la mise en commun des professionnels issus de tous les horizons (sanitaires, médico-sociaux, sociaux, sans oublier la médecine libérale), vous avez ainsi réussi à optimiser vos moyens au plus grand bénéfice du patient.
Vous avez intelligemment procédé au décloisonnement des dispositifs d'accueil et de prise en charge, tenus jusqu'alors séparés.
Vous avez su, au sein de ce pôle d'excellence, favoriser le dialogue entre professionnels, les échanges d'expérience et de savoir-faire.
Prise en charge globale, décloisonnement, pluridisciplinarité, je suis heureuse de retrouver ici, en acte, incarnés, les maître-mots d'une réforme que je défendrai à l'automne devant le Parlement.
La loi Santé, patients, territoires que nous préparons, intègre, en effet, l'exigence d'efficience, de manière à assurer dans l'avenir une égale qualité des soins sur tout le territoire. Il s'agira notamment de tirer les conséquences nécessaires de la gradation des besoins de santé.
A cet égard, votre centre, qui est l'un des 3 premiers services universitaires de référence de l'AP-HP, tel que prévu dans le plan addictions 2007-2011, constitue un bel exemple de structure innovante et adaptée.
La mise en commun de compétences médicales diversifiées -médecine interne et psychiatrie- a ainsi favorisé l'élaboration progressive d'un dispositif gradué, permettant aujourd'hui de proposer des consultations et des modes de prise en charges appropriées.
Le Centre Albatros, reconnu comme pôle de référence pour la cocaïne, et regroupant sur un même site, des structures de soins, des activités d'enseignement et de recherche, constitue, de toute évidence, un modèle dont il conviendrait de favoriser le développement.
S'agissant du soin, l'hôpital universitaire Paul-Brousse propose une offre complète et diversifiée de structures de soins de niveau 3 accueillant tous les types de patients ayant des conduites addictives. Il dispose ainsi d'un lieu de consultations spécialisées, médicales et paramédicales, d'une unité d'hospitalisation de plus de 24 heures et d'un hôpital de jour en addictologie.
Je tiens ici à saluer tout particulièrement votre souci d'assurer la continuité des soins des patients lors de leur sortie de l'unité d'hospitalisation, ce qui implique une meilleure coordination de la médecine de ville et de l'hôpital.
Ministre de la qualité des soins, je voudrais aussi rendre au travail des équipes soignantes l'hommage qu'elles méritent.
En définissant avec le patient un projet thérapeutique individualisé, évalué chaque semaine au cours d'un bilan, vous témoignez du fait que la qualité est d'abord et avant tout l'effet d'une évolution des pratiques dont les patients tirent les bénéfices tangibles.
Le Centre d'Addictologie de l'hôpital Paul-Brousse est également un centre de référence pour la formation du personnel médical et paramédical à l'accueil des patients et de leur famille et à l'évaluation de leurs dépendances et des stratégies thérapeutiques.
De multiples formations universitaires sont proposées aux médecins et aux paramédicaux. Elles sont à la fois théoriques et pratiques avec de nombreux stages de formation et d'encadrement.
Le centre initie des recherches cliniques, biologiques et de neuroimagerie, psychopathologiques, épidémiologiques et sociologiques en addictologie.
Là encore, votre Centre, premier projet pilote AP-HP concernant spécifiquement l'addiction à la cocaïne, manifeste, dans les faits, la solidité du lien qui unit recherche et santé et qu'il convient de renforcer.
Les malades, au premier chef, savent bien tout ce qu'ils doivent au progrès de la recherche qui permet de perfectionner les traitements, d'affiner le diagnostic, d'augmenter leur confort et leur qualité de vie.
A cet égard, vous ne manquerez sans doute pas de rappeler, lors de ces journées d'échanges, l'utilité et la nécessité de promouvoir davantage la recherche en addictologie.
L'ensemble de ces activités fait de l'Albatros une structure exemplaire.
L'apport d'un tel centre mérite d'être évalué et mis en exergue en vue d'instituer d'autres structures de niveau 3 préconisées par le plan addictologie 2007-2011.
Je suivrai donc, bien entendu, avec la plus grande attention l'évaluation de l'Albatros, après un an de fonctionnement.
Impressionnée par tant de compétences ici réunies, je ne voudrais pas, cependant, achever cette intervention sans saluer la qualité humaine de votre travail, sans en souligner la valeur.
La portée éthique de votre engagement au service des personnes constitue, en effet, sa justification essentielle.
Je vous remercie.Source http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr, le 10 juin 2008