Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "AGEFI hebdo" du 26 juin 2008, sur les dossiers financiers de la construction européenne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : AGEFI Hebdo

Texte intégral

Q - Le résultat du référendum irlandais va-t-il avoir une influence sur certains dossiers de la Présidence française de l'Union européenne ?
R - Sur le plan économique et financier, je ne m'attends pas à de profondes conséquences du "non" irlandais. Certes, il faudra faire attention dans les domaines fiscaux - harmonisation de l'assiette pour l'impôt sur les sociétés, fiscalité de l'épargne ou "éco-taxes" - mais ces questions, de toute façon, se décident à l'unanimité. Sur les autres priorités, notamment l'énergie et la lutte contre le réchauffement climatique, les ambitions ne sont pas réduites, au contraire. Le "non" irlandais a montré une distance entre les citoyens et les institutions européennes. Il nous faut donc apporter des réponses appropriées et à très court terme, face à la hausse des matières premières et alimentaires ou en matière de stabilité et de régulation.
Q - Quel est l'ordre de priorités pour les chantiers financiers ?
R - Tout ce qui a trait à la stabilité financière et à la régulation est essentiel. Il faut s'assurer que la feuille de route définie au conseil EcoFin est suivie. Celle-ci vise, au niveau européen et international, à améliorer la supervision bancaire et la connaissance des risques de crédit, à une gestion du risque de liquidité, à la finalisation de la directive Solvabilité II, à la recherche d'une réglementation appropriée pour les agences de notation et enfin à la définition d'une réglementation pour des groupes de plus en plus transnationaux. Il s'agit en fait de poursuivre le plan d'action pour les services financiers dit "Processus Lamfalussy", qui avait été lancé sous la précédente Présidence française.
Je ne pense pas que la coexistence de réglementations nationales ait fait la preuve de son efficacité. Il faut aller vers une régulation européenne plus intégrée. C'est d'autant plus important qu'il faut éviter d'être pris de vitesse par les Etats-Unis, qui ont lancé une réflexion sur le sujet. Dans ce pays, le morcellement de la régulation entre les différents Etats a été l'une des explications du manque de surveillance des établissements financiers, notamment sur le hors bilan. Les Etats-Unis sont en train de donner à la Federal Reserve plus de pouvoir de surveillance bancaire. Ce serait alors un paradoxe que l'Europe reste fragmentée en matière de supervision des marchés quand les Etats-Unis optent pour une approche plus intégrée.
Q - Le commissaire McCreevy a déclaré qu'il fallait aller plus loin dans la réglementation des agences de notation. Y a-t-il un consensus sur le sujet ?
R - Nous avons le sentiment qu'un consensus est possible. La tâche de la Présidence française sera notamment d'alerter ses partenaires sur les conflits d'intérêt que l'on a pu remarquer lors de la crise du subprime entre la notation indépendante et les activités de conseil de manière générale. L'Europe doit adopter une position commune pour ne pas être "à la traîne" sur le plan international dans ce qui sera un des principaux champs d'action de la nouvelle administration américaine.
Q - Va-t-on vers un régulateur unique ? Est-ce une priorité ?
R - J'espère que le sujet va évoluer. Il y a deux approches possibles : le régulateur unique ou le "lead supervisor", avec un régulateur en chef par entité et une coordination entre les différents régulateurs. C'est probablement l'approche la plus réaliste. Il faut avoir une approche ambitieuse, mais ce sera sans doute difficile à faire accepter aux pays membres les plus récents. Une régulation intégrée, mieux définie, avec une implication accrue de la Banque centrale européenne - qui a été très utile pour apporter des solutions aux problèmes de liquidité - et dont le principe serait étendu au secteur de l'assurance, me parait essentielle.
Q - La directive Fonds Propres doit être adoptée cet automne. Comment avancent les débats ?
R - Il est important d'adapter les ratios de manière intelligente pour éviter une nouvelle crise de liquidité et responsabiliser davantage les prêteurs. Cela signifie un renforcement des fonds propres. Il faut que la révision de la directive prenne en compte le risque de contournement des règles par des pratiques hors bilan, comme cela s'est produit dans la période récente. C'est le point à surveiller dans la révision de cette directive.
Q - Où en est-on sur la directive OPCVM ? Le passeport des sociétés de gestion est-il condamné ?
R - Nous sommes favorables à cette directive OPCVM et au passeport européen, comme la majorité des Etats membres. La position du commissaire McCreevy sur le sujet est paradoxale : en général, il est favorable à la libre prestation de services, sauf dans ce domaine. Nous pousserons à l'adoption de cette directive.
Q - Quelle est la condition du déblocage de ce dossier ?
R - Il faut être clair : si on ne fait pas progresser ce dossier sous la Présidence française, je vois mal comment il pourrait avancer avant les élections européennes. Il faut plus d'enthousiasme de la part de la Commission et il faut se mettre d'accord avec les Britanniques et les Allemands. Nous devons aussi trouver un moyen de convaincre nos partenaires irlandais et luxembourgeois d'avancer sur ce dossier.
Q - Qu'en est-il de Solvabilité II ?
R - C'est l'une des priorités absolues de la Présidence française. Nous comptons mettre toute notre influence et notre capacité d'action pour faire adopter cette directive. Nous soutenons les efforts du commissaire McCreevy dans ce domaine. Il y a trois types de difficultés : le traitement des actions, notamment pour certaines compagnies françaises, la question des fonds de pension qui concerne le Royaume-Uni, et celle des fonds spéciaux en Allemagne. Il faut progresser techniquement sur ces trois points. Nous allons encourager les groupes de travail et tenter de trouver des compromis. Les enjeux sont majeurs : il s'agit de la compétitivité et de la solidité d'un secteur important, plus épargné que d'autres par la crise financière, mais également de l'émergence de groupes transnationaux et de la sécurité des épargnants et des assurés. Nous comptons mettre tout notre poids dans l'adoption de cette directive. Solvabilité II est le dossier le plus achevé en termes de régulation au niveau européen, et elle peut préfigurer d'autres types de régulation dans le secteur bancaire ou celui des marchés financiers.
Q - La Présidence française sera-t-elle l'occasion de faire mûrir la réflexion sur les hedge funds ?
R - Il s'agit d'obtenir plus de transparence sur le mode de fonctionnement des hedge funds et des entités non régulées, ainsi qu'un certain niveau de régulation et de localisation du risque. Nous souhaitons, sous Présidence française, une réflexion forte au titre de la transparence financière sur le débat classique entre réglementation et autorégulation. Il s'agit de trouver le meilleur équilibre entre les deux termes et d'aller vers une réglementation. La seule autorégulation ne suffit plus. Je le rappelle, avoir le moins possible d'entités non régulées est un souci partagé des deux côtés de l'Atlantique. Il s'agit aussi de clarifier les relations entre institutions financières et hedge funds, c'est-à-dire les relations que les banques généralistes entretiennent avec les hedge funds. Il faut de ce point de vue renforcer la supervision indirecte de ces nouveaux acteurs assurée par les contrôleurs bancaires.
Q - ... et les fonds souverains ?
R - Sur ce point, le débat pourrait être plus facile car nous sommes d'accord sur les principes : celui de la transparence, la publication de leurs résultats, savoir d'où viennent les capitaux, quels sont les intérêts qui sont derrière, quelle est leur stratégie. Il convient aussi de veiller à la manière dont les fonds souverains interviennent et de voir dans quels secteurs ils peuvent intervenir, sachant que vous n'aurez pas de définition réglementaire des secteurs à protéger. Le caractère stratégique d'un secteur peut dépendre des gouvernements, du degré de flexibilité des uns et des autres. Mon sentiment est que nous ne devons pas avoir peur des fonds souverains. Il faut se mettre d'accord au plan international sur des règles de transparence, de fonctionnement et savoir où nous souhaitons que ces fonds soient autorisés à investir. Il est évident, par exemple, que la liberté d'investissement trouve une limite dans un domaine comme celui de la défense. Dans les autres secteurs, tout dépend de la nature des fonds. Il y a de nombreux domaines où nous serions satisfaits de les voir intervenir. Je pense par exemple au secteur financier. A partir du moment où les règles sont claires, que vous connaissez la provenance des fonds et que l'investissement a un horizon de moyen terme, la France ne doit pas se situer en retrait par rapport à d'autres pays européens. La concurrence pour attirer le capital de ces fonds va s'accroître. Quitte à être provocateur, je crois que dans certains domaines vous pouvez avoir des partenariats public-privé concernant des équipements publics qui impliqueraient des fonds souverains. Quant au principe de réciprocité, il faut essayer de le faire jouer mais sans être absolument systématique.
Q - Le secteur financier est demandeur d'autorégulation, de codes de bonne conduite. Est-ce raisonnable ou pensez-vous que l'on va vers davantage de régulation ?
R - A l'évidence, nous allons vers davantage de régulation. Compte tenu des bouleversements que nous venons de connaître dans les domaines financiers, énergétique et alimentaire, nous devrons répondre à une demande des Européens pour plus de régulation. L'évolution est claire : plus de mobilité du travail et du capital en Europe, et en contrepartie, plus de régulation. Comme je l'ai déjà dit, il faut s'attendre à plus de régulation européenne intégrée et, si possible, à une régulation internationale plus harmonisée. Les acteurs économiques ne veulent plus de régulations trop segmentées, différentes d'un pays à l'autre, qui pénalisent la compétitivité économique et financière. Ils attendent une régulation claire et harmonisée au plan européen et international. Cette régulation doit être intelligente : prenons garde de ne pas confondre davantage de régulation avec une "surréglementation" inappropriée et trop contraignante. Aujourd'hui, nous avons besoin d'une régulation réactive, adaptée aux nouvelles technologies et non plus d'une coexistence de régulations.
Q - La Présidence française peut-elle fournir l'occasion de mettre en place une nouvelle pratique de la gouvernance européenne ?
R - Il existe déjà des propositions de la Commission pour renforcer la coordination des politiques économiques dans la zone euro et sa représentation externe. La Commission insiste sur la nécessité de discuter davantage des différences de compétitivité, d'inflation et de mise en oeuvre des réformes. Cela va dans le bon sens. La Présidence française fera des propositions complémentaires. Nous avons besoin d'un dialogue serein, normal et discret entre le président de la Banque centrale européenne et le président de l'Eurogroupe. Très objectivement, ce dialogue existe déjà largement.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 juin 2008