Texte intégral
Q - Le "non" irlandais contraint-il la France à revoir les priorités de sa présidence européenne ?
R - Je ne le crois pas. Au contraire, il nous oblige à être très attentifs aux préoccupations concrètes des citoyens : lutte contre le réchauffement climatique, sécurité énergétique, sécurité alimentaire, gestion des migrations, sécurité et la défense de l'Europe, toutes les questions qui étaient déjà nos priorités il faut aussi progresser sur des enjeux tels que la stabilité des marchés financiers ou des sujets sociaux tel que la consultation et l'information des salariés dans les comités d'entreprise, l'égalité salariale entre hommes et femmes, l'équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, les congés parentaux. La France proposera d'avancer sur ces thèmes. D'autres seront mis sur la table dans le but de définir des orientations : lutte contre les discriminations et le handicap, retour à l'emploi, instauration d'un revenu de solidarité active. Il faut aussi promouvoir la responsabilité sociale de l'entreprise et les services sociaux d'intérêt général.
Q - Une présidence écourtée par les vacances permettra-t-elle de réaliser toutes les priorités ?
R - Nous n'avons pas le choix. D'autant qu'il faut aussi faire face au "non" irlandais. C'est un coup dur, qui ne rend pas la présidence facile. Nous allons faire en sorte de traiter en octobre ce qui a trait au Pacte sur l'asile et l'immigration et à la Politique agricole commune. Pour l'énergie et le climat, nous devons trouver un accord politique entre Européens avant la fin de l'année si nous voulons être prêts pour les sommets de Poznan et de Copenhague. En matière de défense, nous ferons de notre mieux pour aboutir à des orientations en fin d'année.
Q - Quand vous réunirez vos collègues des autres pays de l'Union, le 12 juillet à Brest, rencontrerez-vous les marins pêcheurs ?
R - Nous sommes attentifs à leurs préoccupations. Michel Barnier fait de gros efforts pour expliquer à Bruxelles la situation dans laquelle ils se trouvent. Les objectifs de la Commission à moyen terme sont souvent légitimes, par exemple sur la nécessité de préserver les ressources de la mer. Mais quand elle décide d'interrompre la saison de pêche pour certaines catégories de poisson, alors que les pêcheurs ne peuvent pas joindre les deux bouts et que les prix du carburant les privent même de salaire à la fin du mois, je dis que les commissaires en charge doivent faire preuve de sens politique, adapter leur stratégie au contexte, être plus réactifs. C'est la difficulté de l'exercice: il faut le faire comprendre, sans faire de la Commission un bouc émissaire.
Q - Partagez-vous le souci de ceux pour qui la politique européenne de l'immigration se construit de manière trop défensive ?
R - Je ne veux pas d'une Europe forteresse. L'Europe a besoin d'immigrants. Il faut organiser convenablement leur accueil et leur intégration en fonction des besoins économiques et sociaux de l'Union. Ils doivent bénéficier de garanties et de droits. Nos pratiques doivent converger, pour que des situations attentatoires à la dignité humaine n'existent plus en Europe. Un cadre européen est nécessaire. Je comprends les réactions suscitées, en France, par la directive retour et je les partage. Mais je ne pense pas que la majorité des députés socialistes européens, qui l'a votée, souhaite attenter à la dignité humaine. Avant, il n'y avait aucune réglementation. La directive fixe des normes minimales, des plafonds à la durée de rétention. Elle ne change rien en France, où le délai reste, au maximum, de 32 jours et, en pratique, de 12 jours.
Q - Pourquoi l'immigration ne fait-elle pas partie du projet d'Union pour la Méditerranée ?
R - Pour que l'Union pour la Méditerranée soit une construction politique solide, il faut commencer par des projets partagés et concrets, faisant consensus entre le Sud et le Nord : dépollution de la Méditerranée, autoroutes de la mer, financement des PME, etc. Si on démarre par des sujets conflictuels, le projet est mort-né.
Q - Et si le Traité de Lisbonne, faute de ratification irlandaise, voire tchèque, n'entrait pas en vigueur, qu'adviendrait-il de l'Europe ?
R - Je ne crois pas à cette hypothèse. La ratification va se poursuivre. J'ai confiance dans le bon sens de nos amis tchèques. Mais la recherche d'une solution au "non" irlandais durera certainement plus que la présidence française. Pour préserver une unité durement acquise, chacun doit accepter un certain degré de sacrifice. La difficulté vient de ce qu'il y a, aujourd'hui, en Europe, plus d'égoïsme que de sens du sacrifice. Néanmoins, quelles que soient les circonstances, je suis convaincu qu'on ne laissera pas s'effilocher une aventure unique telle que la construction européenne.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er juillet 2008