Interview de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, à "RTL" le 30 juillet 2008, sur l'échec des négociations de l'OMC et la position de la France pour garantir les appellations d'origine et la qualité des produits.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

P. Corbé.- Vous êtes en direct de Genève, en Suisse, où ont donc échoué hier soir les négociations de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, lancées il y a sept ans pour libéraliser les échanges mondiaux. Pour que nos auditeurs comprennent bien, ce qui se négociait c'était une sorte de donnant-donnant : les pays riches, notamment les pays européens, auraient ouvert davantage l'agriculture à la concurrence, moins de subventions ; en échange, les pays en voie de développement, y compris la Chine, l'Inde, le Brésil, auraient ouvert leurs marchés à nos industries, à nos entreprises de service, les télécoms, les banques, les assurances. Finalement, cet échec est-ce que c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la France ?

Ce n'est pas seulement la France qui est en cause. Voilà neuf jours qu'avec A.-M. Idrac, nous avons négocié pour présider le Conseil européen des ministres. Nous sommes la présidence française et ce qui est en cause, ce sont notamment les intérêts économiques, et pas seulement agricoles, de tous les pays européens. Vous avez oublié dans ceux qui étaient autour de la table...

J'ai essayé de résumer...

... les Etats-Unis, l'Union européenne, les grands pays développés, les grands pays émergents. Voilà une nouvelle donne, les grands pays, Chine, Inde, Brésil, qui sont capables de tenir tête aux Etats-Unis ou à l'Europe, et puis vous avez oublié les pays les plus pauvres. Ce cycle de Doha qui avait commencé il y a sept ans, sans d'ailleurs que la croissance en soit freinée dans le monde, et les échanges ont même été multipliés par deux depuis sept ans, ce cycle a été créé pour le progrès, le développement des pays les plus pauvres, et j'observe qu'ils ont été progressivement oubliés ou négligés.

Pour nous, qu'est-ce que ça va changer ?

Pour l'instant, ça ne change rien puisque il n'y a pas de conclusion. Nous vivons toujours avec les règles actuelles de l'Organisation mondiale du commerce, il y a toujours à l'OMC, qu'anime P. Lamy, un tribunal ou une structure pour régler les conflits, et donc éviter les concurrences déloyales et le retour du protectionnisme. Cela aurait été une bonne impulsion que de mettre un peu plus d'ordre dans le commerce international, mais ce que nous avons dit tranquillement, sereinement, dans cette négociation, qui n'est d'ailleurs pas terminée, qui aurait dû se conclure l'année prochaine, c'était qu'il fallait un accord équilibré. L'Union européenne a fait de très grands efforts, je peux en témoigner comme ministre de l'Agriculture et de la Pêche.

Vous étiez prêts à diminuer les subventions agricoles de plus de 50 %, par exemple.


A diminuer surtout les droits appliqués aux produits qui rentrent en Europe de 54 %. Nous étions prêts à supprimer nos soutiens aux exportations à condition que les autres fassent la même chose. Et c'est ça la clé. La clé c'est la réciprocité, non pas à l'égard des pays les plus pauvres qui exportent vers l'Europe déjà sans aucun droit ; je rappelle que les pays d'Afrique exportent vers l'Europe, et c'est un grand débouché pour eux, sans payer de droits. Ce qui est en cause, c'est l'effort que n'ont pas voulu faire les grands pays émergents en bloquant les importations chez eux et en voulant exporter chez nous. Donc il n'y avait pas de réciprocité et c'est ce qui finalement a bloqué entre les Etats-Unis, l'Inde ou la Chine.

En France, ce matin, les agriculteurs de la FNSEA se félicitent, je les cite : "le marchandage de l'agriculture a été évité", selon eux, mais les patrons du Medef considèrent, eux, que c'est une mauvaise nouvelle pour nos industries, nos entreprises de service, donc pour notre croissance, pour nos emplois. Est-ce que vous pensez aussi qu'on a raté une occasion d'aller chercher de la croissance dans des pays à fort développement, comme l'Inde et la Chine ?

Nous savons bien que la croissance se trouve en partie dans ces immenses pays, la Chine, un milliard d'habitants, l'Inde qui... Vous savez que la Chine va devenir le premier pays exportateur l'année prochaine, voilà pourquoi nous nous étions fondés à demander l'ouverture des marchés pour nos services et pour nos industries. Alors, effectivement, ça aurait une bonne impulsion pour l'économie mondiale et pour l'économie européenne de pouvoir accéder plus facilement à ces marchés, mais il fallait qu'ils acceptent d'ouvrir leurs marchés et pas seulement nous demander de faire des efforts dans l'agriculture. Vous parliez des agriculteurs, que je connais bien, qui étaient d'ailleurs très présents ici, ils acceptaient une grande partie de l'effort que l'Europe avait décidé de faire, vraiment de manière très responsable. Mais, eux aussi, parce qu'ils sont entrepreneurs, ont demandé la réciprocité, et les entreprises européennes considéraient, comme nous-mêmes, que le compte n'y était pas. Cet accord, au point où il était hier, n'était pas réellement global et réciproque. Et comment expliquer le prix que l'on paie pour l'agriculture avec des conséquences graves dans certaines filières, comme l'élevage ou la production de fruits et légumes, s'il n'y a pas pour les services et pour l'industrie l'équilibre auquel l'Europe avait droit ?

Vous vous êtes battu, avec les autres pays membres de l'Union européenne pour défendre notamment les AOC, les appellations d'origine contrôlée. En fait, c'était pour qu'on ne puisse pas produire demain du Champagne en Chine ou du Roquefort au Brésil, c'est ça ?

Oui, ou de la mozzarelle en Inde, n'est-ce pas. Donc les appellations d'origine contrôlée, ce qu'on appelle 'les indications géographiques', c'est la protection de produits authentiques avec de l'identité, avec de la saveur, du goût, des couleurs, de la traçabilité. C'est clairement la clé du modèle alimentaire et agricole européen, pas seulement français, encore une fois. C'est ce qui fait la différence avec d'autres modèles, disons plus neutres ou plus aseptisés. Et d'ailleurs, derrière cette appellation d'origine contrôlée, il y a clairement la clef de ce modèle agricole et territorial de petites exploitations, moyennes ou petites, qui sont un peu partout sur le territoire, aussi bien dans les grandes régions septentrionales de Finlande que dans le Massif Central, et puis des produits de qualité. Donc nous tenions à protéger ces produits et là, ce sont les Américains qui s'y opposaient.

En marge de cet échec, même s'il n'est pas responsable de cet échec, beaucoup s'interrogent sur le rôle qu'a joué N. Sarkozy, qui préside l'Union européenne pour six mois, le rôle notamment vis-à-vis de nos partenaires européens. Il a beaucoup critiqué P. Mandelson, le commissaire européen, qui négociait au nom des Vingt-sept. Est-ce que la France n'est pas apparue trop protectionniste par rapport au Royaume-Uni ou à l'Allemagne, par exemple ?

La France n'est pas protectionniste. Elle veut des protections pour la sécurité sanitaire, pour la qualité des produits, pour éviter le dumping social, écologique ou sanitaire. N. Sarkozy a suivi personnellement cette négociation, je peux en témoigner, depuis le début, non pas pour freiner ou empêcher, simplement pour demander un équilibre. Encore une fois, ce mot est juste. Il a appelé naturellement P. LAMY, il a appelé madame Merkel, il a appelé monsieur Brown, je l'ai vu s'impliquer, non pas pour...

...Finalement, il fait du Chirac !

... Non pas pour empêcher l'accord mais pour obtenir un bon accord. Et c'est ça qui était en cause, et pas seulement du côté de la France, permettez-moi de vous le dire, il y avait une petite dizaine de pays, ce n'est pas rien, dont l'Italie et d'autres, qui avaient les mêmes préoccupations. La question, c'est est-ce que le libre échange, est-ce que le libéralisme généralisé des échanges c'est la seule solution, notamment pour lutter contre la faim dans le monde ? Franchement, si le libre échange avait supprimé la faim dans le monde, on le saurait. Je rappelle qu'au coeur de cette négociation se trouvaient les pays les plus pauvres, les pays africains. Il s'agit maintenant peut-être de se dire, est-ce que l'agriculture, l'alimentation, c'est seulement à l'OMC qu'il faut en discuter ? Vous savez, il n'y a pas d'autres enceintes où on peut discuter de ce lien entre agriculture et alimentation pour lutter pour le développement, contre la faim et pour la reconstruction de l'économie agricole des pays les plus pauvres.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 31 juillet 2008