Interview de M. Jean-Luc Bennahmias, secrétaire national des Verts, à France inter le 3 avril 2001, sur la place des Verts au sein de la gauche plurielle et du gouvernement après les élections municipales, sur l'inversion du calendrier électoral et sur les licenciements chez Marks and Spencer et Danone.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli Etre calife à la place du calife, est-ce bien le projet des Verts ? Ils ambitionnent après le résultats des municipales de devenir le premier de la gauche et ils affichent déjà leurs exigences pour les prochaines législatives : 30 postes de députés, au moins. "Il en va, disent-ils, de la survie de la majorité plurielle." Les tensions entre socialistes et Verts, à Paris, pour la nomination des adjoints au maire, augure-t-elle d'un parcourt du combattant pour la gauche plurielle ? Cela a été chaud hier soir ? On ne va pas faire à nouveau du parisianisme, n'empêche qu'à Paris, cela a été un peu chaud !
- "Tout cela va se calmer, c'est évident. Hier soir, c'était les derniers schémas qui étaient pris en compte... On aspire à ce que les accords que nous signons pendant les élections, avant les élections, après les élections soient respectés ; quelques villes ne les ont pas respectés - ou quelques arrondissements, il semblerait que hier soir, un arrondissement ou deux n'étaient pas respectés. Il y a donc eu quelques petits problèmes, mais cela va se calmer"
Don des petits problèmes... N'empêche qu'il y a la réalité et vous avez dit d'ailleurs de façon assez directe au Conseil national interrégional, le Cnir, que vous voulez devenir le premier parti de la gauche.
- "On a de l'ambition. Année après année, les résultats électoraux sont très bons pour les Verts. Nous avons un projet global de société nous le proposons et les électeurs votent pour nous. A ce niveau-là, oui, on ambitionne effectivement au niveau français, mais aussi au niveau européen, que les Verts aient de grandes aspirations."
Mais ce n'est pas indifférent de dire les choses en politique : est-ce que vous êtes en train d'établir un rapport de force au sein de la gauche plurielle ?
- "Oui et ce n'est pas nouveau. On le dit régulièrement : nous considérons que nous ne sommes pas respectés réellement par rapport au poids politique que nous avons. On nous dit à chaque fois que c'est "l'effet dioxine", c'est "l'effet D. Cohn-Bendit", c'est l'effet ceci, c'est l'effet cela. Au fur et à mesure, ce n'est plus un effet ! Les électeurs et les électrices choisissent. Et nous disons que dans ce que nous proposons quant à l'amélioration de la vie quotidienne, aux transformations des politiques publiques, nous sommes entendus. Nous voulons être entendus par les électeurs - c'est très bien -, mais nous voudrions surtout être entendus par le Gouvernement ou par les gouvernements."
Mais c'est un rapport de force le bâton à la main ! Je vous cite mot à mot : vous interpellez F. Hollande en disant "Attention, c'est vous qui porterait la responsabilité de l'explosion de la gauche plurielle."
- "Ce n'est pas l'homme F. Hollande - qui est un homme charmant - : c'est le secrétaire national du PS. Dans un accord Verts-PS, signé en 1997, il était marqué noir sur blanc "nous mettrons et nous instaurerons une dose de proportionnelle au niveau législative." Cela n'a pas été fait. A cause de quoi ? Parce que ce Gouvernement ne l'a pas voulu, et donc parce que F. Hollande, en tant que secrétaire national, ne l'a pas voulu non plus. On va se retrouver dans une situation bizarroïde l'an prochain où il va falloir se partager les circonscriptions. Je ne trouve pas cela très transparent. Mais ce n'est pas les Verts qui vont les partager, on n'en a pas assez à partager. C'est bien à la grande formation - ou celle qui se prend pour une grande formation - dans la majorité plurielle de dire comment ils vont faire. C'est comme cela que j'interpelle F. Hollande."
Mais ce que j'appelle de façon peut être de façon un peu hâtive le "parcours du combattant", je me demande s'il n'est pas déjà commencé. V. Peillon, le porte-parole du Parti socialiste, vous a répondu hier : quand vous dites "30 députés minimum", il vous dit que ce n'est pas eux qui élisent les députés, mais les électeurs !
- "C'est assez amusant. Le système institutionnel tel qu'il est en France est un système majoritaire. Bien sûr que ce sont les électeurs ! Nous ne sommes pas dupes, c'est évident, nous sommes élus nous aussi par les électeurs, nous le savons ! Mais quand on a un système majoritaire, aucune formation politique en France ne fait 50 % à elle toute seule. D'ailleurs, cela s'appelle la démocratie. Il faudra donc à un moment donné qu'il y ait des stratégies d'alliance qui se passent. Dans ce cadre-là, les Verts demandent leur juste part."
Mais qu'est-ce que c'est, tout cela ? Est-ce de la politique politicienne ou une vraie vision politique qui est en train de changer d'angle ? Il y a eu un message dans ces municipales. D'ailleurs, L. Jospin vous dit qu'il a bien reçu le message mais qu'il ne change pas de cap.
- "C'est de la politique au sens politicien, certes, c'est-à-dire qu'on veut notre juste place. La raison fondamentale étant que c'est une attente les électeurs. On ne voudrait pas avoir le reproche de nos électeurs et de nos électrices nous demandant à quoi servent les Verts au niveau politique. Si on n'améliore pas et ne transforme pas les politiques publiques, si on n'améliore pas la vie quotidienne, l'ensemble des luttes à mener contre la pollution de l'air, sur la politique de l'eau, sur les déchets, sur les transports collectifs, sur la façon de circuler en ville et de partager la voirie... Si on ne sert pas à cela, à quoi sert-on ? Les électeurs pourraient nous le reprocher dans un an, dans deux ans, dans trois ans... On a maintenant des postes, de forts postes d'adjoints à la ville de Paris : il va falloir que cela bouge, qu'il y ait des réalisations ! Pour qu'il y ait des réalisations, il faut qu'on ait le nombre d'élus nécessaires."
Et faudra-t-il plus de ministres Verts au Gouvernement ?
- "Dans la fin de cette mandature, il faut surtout de vraies réalisations. J'apprécie quand L. Jospin demande à ses ministres - je cite - d'avoir "des mesures concrètes, rapides, quotidiennes, perceptibles par tous les citoyens." Je crois que c'est tout à fait cela dans les six mois qui viennent, puisqu'au niveau macroéconomique la France va bien : inflation stabilisée, chômage en baisse sérieuse, produit intérieur brut qui va bien, les chiffres économiques sont bons. Le problème est qu'une partie des Françaises et des Français n'a pas vu venir, ni dans leur assiette ni sur leur fiche de paie, ce qui allait mieux dans l'économie française. Il faut des mesures concrètes."
Demandez-vous un changement de cap ou pas ? Parce que L. Jospin dit que "puisque nous avons de bons résultats, continuons" !
- "Ce n'est pas une question de changement de cap. C'est maintenant une question de réalisations concrètes, notamment au niveau des quartiers en difficulté, des réalisations concrètes dans la politique de la ville, qui soient visibles et lisibles par les habitants de ces quartiers."
Avez-vous des propositions ? C'est bien de dire tout cela, mais que proposez-vous ?
- "Une proposition forte, par rapport à la sécurité publique, puisqu'on en parle régulièrement : l'aide aux victimes. On en parle souvent, mais qu'est-ce qu'on voit venir ? Il y a des délinquances, petites et grandes, mais les effets physiques ou psychologiques pour les gens qui ont été victimes de cette délinquance sont absolument énormes. Ouvrons des bureaux dans nos cités, dans les quartiers en difficulté, où il y aura vraiment de l'aide. Une aide psychologique certes, mais aussi une aide matérielle par rapport à des faits, petits ou grands, mais qui ont de grands effets sur l'ambiance générale dans ces quartiers, notamment sur la crédibilité des hommes et des femmes politiques : ils se demandent s'ils leur servent à quelque chose ? Est-ce que la démocratie et notre République servent à quelque chose ?
S'agissant des grands sujets sociaux, prenons le cas précis de Danone : le principe du boycott est-il quelque chose qui a un sens pour vous ?
- "Cela a un sens, mais je vois mal comment des campagnes de boycott, dans notre pays, peuvent marcher à un niveau important. Tout le monde comprend le mécontentement légitime des salariés de Danone, des entreprises Lu et de Marks Spencer, qui apprennent du jour au lendemain - c'est d'ailleurs différent selon les sociétés - qu'ils vont être licenciés. Or, ce sont des entreprises qui font des bénéfices - surtout Danone et Lu, Marks Spencer, c'est plus compliqué. Il faut, à ce niveau-là, - et c'est le rôle des hommes et des femmes politiques, même si je pense que ce doit être au niveau européen - voir comment le politique prend le pas sur l'économique et le financier. Pour l'instant, ce n'est pas le cas."
Là, ce sont les citoyens qui sont peut-être en train de commencer à apporter une réponse : le principe de boycott va partir de la rue.
- "Je ne suis pas contre le principe du boycott, quoi que légalement ce soit interdit, mais les exemples qu'on a eus en France dans les années antérieures ne sont pas excellents."
La question du jour, c'est le calendrier électoral. Les Verts changent-ils de position ?
- "Non, on ne change pas de position. Le calendrier électoral n'avait pas pour nous une importance considérable. Puisque la campagne n'est pas commencée, puisque nous ne sommes donc pas dans le cadre d'une campagne présidentielle pour l'instant, nous ne voyons pas pourquoi, à l'Assemblée nationale, l'ensemble des députés de la majorité plurielle ne voterait pas une dose de proportionnelle par rapport aux législatives. Puisque la partie n'est pas commencée, faisons enfin cette dose de proportionnelle qui permettra en toute transparence d'avoir des députés Verts élus à l'Assemblée nationale sans qu'il y ait de pratiques politiciennes, de rapports de force dans les partis de la majorité plurielle."
Avez-vous vu l'entretien que donne ce matin R. Forni, le président de l'Assemble nationale, au Parisien ce matin ? Quand on lui pose la question des Verts, il dit deux choses : un, il faut que vous mûrissiez - je ne sais pas s'il y a un jeu de mots ou pas.. -, deux, il se demande qui est le patron.
- "C'est qu'il faut vraiment qu'on mûrisse. Mais il faut dans ce cas que le Parti socialiste se rajeunisse ! Mûrir, je veux bien, il est clair que nous devons grandir, que nous avons des progrès à faire. Nous avons de nombreuses qualités et nous montrons nos défauts en toute transparence."
Et qui est le patron, demande-t-il ? La question du leadership se pose-t-elle a ce point là chez les Verts ?
- "Chez les Verts ? Je peux vous citer quelques patrons : D. Voynet, G. Hascoët, Y. Cochet, A. Lipietz, N. Mamère, J.-L. Bennhamias, M.-C. Blandin... Voilà, ce sont des patrons !"
Avez-vous le nom de celle ou celui qui remplacera D. Voynet quand elle aura quitté le Gouvernement ?
- "Non, c'est L. Jospin qui l'a. Mais il est vrai que nous citons régulièrement Y. Cochet. Je pense que c'est son heure."
Je vous trouve plus détendu ce matin, moins frontal que vous l'avez été ces derniers jours s'agissant des rapports avec le PS !
- "J'étais très détendu ! Quand on sort de victoires - il faut employer le mot comme tel - dans ces élections, au premier tour et au second tour, on est détendu ! La politique est affaire de rapports de force. On a envie d'être écoutés, on ne veut pas être pris pour une petite roue de secours possible. Cela suffit ! A un moment donné, élections après élections, nous pesons ce que nous pesons : on demande le respect de notre juste poids politique."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 3 avril 2001)