Texte intégral
Je suis honoré que vous m'ayez sollicité pour conclure les 2e Assises de l'Industrie Alimentaire. Il est en effet peu ordinaire que l'on convie un syndicaliste à avoir le dernier mot dans une enceinte patronale ! Je ne suis d'ailleurs pas certain que j'inviterai Laurence Parisot à conclure le Congrès de la CFDT...
Je tiens à vous en remercier. J'y vois le signe stimulant d'une réelle évolution du dialogue social dans notre pays et la marque de confiance que vous portez à la CFDT.
L'année 2008 est une année décisive pour les partenaires sociaux. Au-delà des projets gouvernementaux - nombreux et parfois un peu confus - les partenaires sociaux ont décidé d'ouvrir des chantiers difficiles mais vitaux pour initier une nouvelle approche du travail et des parcours professionnels. Certains chantiers ont déjà donné lieu à des négociations dont la portée va structurer les relations de travail des décennies qui viennent. L'année 2008 est donc une année décisive pour l'avenir du dialogue social et les organisations professionnelles. Face aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux auxquels sont confrontés les entreprises et les salariés, les organisations professionnelles n'ont pas d'autres choix, si elles veulent survivre, que de démontrer par leur créativité, leur sens des responsabilités, leur engagement et leurs pratiques qu'elles ont une utilité dans la société du XXIe siècle. Pour cela, le dialogue social comme ceux qui l'incarnent et le font vivre doivent trouver les voies d'une confiance renforcée vis-à-vis des salariés et vis-à-vis des entreprises.
Deux enjeux sont au coeur de cette confiance : d'une part, rendre incontestable la légitimité des partenaires sociaux et des accords qu'ils signent ; d'autre part, assurer la transparence et la clarté de leur financement et de leur fonctionnement. L'avenir de la démocratie sociale, le respect de ses valeurs, l'efficacité de ses actions sont à ce prix. Je dois le dire avec la solennité d'une organisation syndicale qui se sent actuellement insultée et agressée par la suspicion que certains font peser volontairement sur tous les syndicats. Il est grand temps que la conception du dialogue social sorte du vase clos de traditions opaques et qu'elle soit en phase avec le débat social et à la hauteur des bouleversements économiques, sociaux, environnementaux que connaissent les entreprises et les salariés.
Durant cette journée consacrée aux défis de l'industrie alimentaire dans un marché de plus en plus mondialisé, vous avez mis au centre de vos réflexions et de vos débats le consommateur qui est aussi un citoyen et très souvent un salarié mais parfois aussi un patron. Votre approche met l'individu au coeur des problématiques. C'est une approche respectée et responsable qui convient à la CFDT car elle s'efforce de la promouvoir aussi pour les salariés.
Les trois thèmes que vous avez choisis d'aborder ont tous une forte résonnance sociale. Le premier de vos thèmes - celui du défi du prix - recèle un double questionnement social. Premièrement, il évoque le pouvoir d'achat des salariés aujourd'hui en berne pour beaucoup d'entre eux, même si je sais que plusieurs de vos entreprises ont ouvert des négociations salariales et que les situations sont très différentes d'un salarié à l'autre. Ce thème interroge aussi les dépenses alimentaires qui constituent le troisième poste de dépenses des ménages et la deuxième préoccupation majeure des foyers les plus modestes lorsque l'inflation dérape sur certains produits de première consommation. Je n'en dirai pas plus dans mon intervention car Franck Riboud a dit l'essentiel. Parfois sur ce sujet, il a tendance à me doubler sur la gauche... Deuxièmement, le thème du prix aborde la question de l'impact sur l'emploi d'une baisse sans fin des coûts. Certaines enseignes de la grande distribution ont fait de la baisse des prix le vecteur de discours parfois démagogiques. Elles s'exonèrent ainsi un peu vite de leurs responsabilités en transférant en amont des difficultés économiques et sociales qu'entraîne une politique exclusivement centrée sur les prix, une politique plus aisée à prôner pour certaines enseignes qui n'ont pas à assumer leurs responsabilités d'employeur. Cette tension permanente entre baisse des prix et protection de l'emploi est tout simplement un conflit de logiques qu'il nous faut assumer et résoudre par le dialogue social. Mais prenons garde aux stratégies de courte vue qui font courir le risque à moyen et long terme de déstructurer le volume, la localisation et la qualité des emplois.
La responsabilité sociale d'une entreprise ne saurait s'arrêter à ses frontières. Toute entreprise doit être responsable de ses décisions et de ses pratiques à l'égard de tous ceux qui concourent à ses richesses.
Le deuxième thème que vous avez abordé - celui de la qualité - est une valeur fondamentale pour votre industrie. Elle est au coeur de notre fierté gastronomique et de nos exigences de santé publique. L'enjeu de la qualité recouvre aussi d'autres dimensions. C'est celle de l'innovation et de la qualité du produit qui sont inséparables. C'est aussi l'investissement dans la recherche, la formation et la qualification qui accuse un grand retard dans notre pays dans bien des domaines alors que ces domaines sont au commencement de toute dynamique économique et de tout développement d'emplois de qualité.
Nous savons à quel point la qualité des emplois est devenue un ressort essentiel. Vos secteurs en forte mutation et en innovation constante créent et vont continuer à créer de l'emploi. Ils se heurtent cependant à des difficultés d'attractivité. Ces difficultés sont aussi les nôtres. Lorsque nous savons qu'en dépit d'une baisse du chômage, le taux de chômage des jeunes demeure préoccupant et demeure le plus important de toute l'Europe. La faiblesse d'attractivité de certains métiers trouve bien souvent sa source dans les conditions de travail et dans une rémunération insatisfaisante. Ce sont des problèmes à prendre à bras le corps si nous voulons faire reculer le travail pénible, réduire l'usure prématurée au regard de l'allongement inéluctable de la vie professionnelle et aborder de manière nouvelle la carrière professionnelle.
Avec l'accord sur la modernisation du marché du travail, nous avons renouvelé la vision des problèmes de l'emploi et réalisé un premier pas dans la construction des parcours professionnels. Ce premier pas en appelle d'autres et nous allons prochainement engager trois négociations importantes : sur l'assurance chômage, sur la gestion prévisionnelle des emplois et sur la formation continue. Ces négociations doivent apporter les réponses qu'attendent les salariés sur les moyens de progresser dans leur carrière et de maîtriser leur avenir. Ces négociations doivent aussi proposer des solutions aux entreprises pour anticiper leurs besoins et pour former mieux et davantage les salariés afin qu'ils bénéficient des qualifications indispensables à leur développement. Les branches professionnelles auront un rôle crucial à jouer dans la construction de ces nouveaux dispositifs. Je sais que l'ANIA a déjà engagé cette révolution culturelle de la formation tout au long de la vie pour permettre la construction de véritables parcours professionnels dans des emplois qualifiés et donc mieux rémunérés. L'accord qui vient d'être signé crée un fonds spécifique pour les emplois non qualifiés.
Pour réussir cette négociation, les deux parties devront sortir de leur corporatisme. Nous devons le dire avec force : si nous ne parvenons pas à rénover le paritarisme et à faire en sorte que ces fonds s'adressent aux salariés qui en ont le plus besoin, nous n'arriverons jamais à régler les problèmes de l'emploi des seniors, de la pénibilité au travail et de l'anticipation des difficultés économiques. Nous devrons prendre des décisions difficiles et sûrement douloureuses. Les moyens de la formation professionnelle ne doivent plus se consacrer uniquement aux plus formés, ils ne doivent pas non plus servir à financer les structures professionnelles tant syndicales que patronales.
Le troisième thème de vos Assises concernait le développement durable. Vous avez souligné qu'il s'agit d'une équation gagnant/gagnant. Pour moi, il s'agit même d'une équation forcément gagnante car il n'existe pas d'autre voie possible que celle de la responsabilité et de l'engagement collectifs vers un développement économique, social et environnemental durable. Je le dis avec lucidité et enthousiasme. L'inaction aujourd'hui, c'est 15 % du Produit Intérieur Brut en moins en 2050. Faisons donc le pari de l'action : si la prise en compte des défis environnementaux est devenue un élément central de la survie de l'économie de marché, cette formidable opportunité pourra créer un autre mode de croissance soucieux des enjeux de solidarité et des générations futures. Il n'y a pas de fatalité puisque l'avenir est entre nos mains. C'est à nous qu'il appartient d'inventer et de promouvoir les actions qui requièrent invention et audace dans tous les domaines : nouveaux modes de consommation, nouveaux produits, nouveaux processus, nouveaux métiers et, bien sûr, nouvelles relations sociales. Plus que d'autres encore, le défi alimentaire se trouve au coeur de cette dynamique. Les tensions que nous vivons actuellement sur les différents marchés des denrées alimentaires montrent la nécessité pour l'agriculture et vos industries d'être en mesure de relever ce défi. Pour cela, il nous faudra revoir la réforme de la PAC et ses conséquences sur l'industrie agroalimentaire dans une stratégie de développement durable soucieuse de la préservation des ressources en eau et de la biodiversité de la planète.
Pour conclure, je formulerai un constat et un souhait. Les thèmes et les interrogations qui ont traversés vos débats ont un dénominateur commun : l'exigence d'un dialogue renforcé, gage d'écoute, de réflexion et d'intelligence collective dans la confrontation des intérêts et des points de vue. Seul un véritable dialogue nous permettra de dégager des compromis indispensables à la place que nous devons donner à l'homme dans la société du XXIe siècle, qui sera ouverte sur le monde et attentive au devenir de la planète. Ce dialogue souhaitable et souhaité doit devenir possible. Il doit être pratiqué à tous les niveaux, de vos entreprises au niveau national, des ateliers à la branche, de l'établissement au groupe. Patronat et syndicats portent la responsabilité de son développement, de son dynamisme et de son efficacité. L'ANIA a su montrer qu'elle était force d'entraînement des fédérations de l'industrie alimentaire dans cette voie du dialogue et de la négociation qu'elle a construit pas à pas avec la CFDT, partenaire social historique et interlocuteur exigeant. Forte de son expérience et de sa détermination, je souhaite que l'ANIA puisse contribuer à insuffler au sein des instances patronales cette volonté de renouveler notre système de dialogue social dont notre cohésion sociale a absolument besoin.
Je vous remercie.
Source http://www.ania-assises.fr, le 8 juillet 2008