Interview de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, à France-Inter le 18 juillet 2008, sur la loi concernant la protection des sources, l'audiovisuel et France télévision.

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Média : France Inter

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T. Steiner.- Le traditionnel scandale du dopage sur le Tour de France ne commence-t-il pas à devenir une question : la promotion de cette épreuve sur la télévision publique ?
 
En même temps, je trouve que finalement, en effet, il y a un dernier scandale du dopage, et puis ça montre que cette épreuve est de plus en plus exigeante, ça montre que les tricheurs se font prendre systématiquement, et il y a finalement une revendication de l'exigence française actuellement. Et on dit : bon, voilà, Untel a triché, il part. C'est comme ça. Et peut-être que l'année prochaine ça n'aura pas lieu.
 
Et un succès médiatique qui ne se dément pas en même temps ?
 
Non, parce que justement on voit bien que c'est une épreuve d'abord extraordinaire, mythique, et en plus on voit qu'elle est de plus en plus exigeante et de plus en plus éthique. Et vous allez voir que d'ici maintenant quelques années, peut-être qu'il n'y aura justement plus d'affaire de dopage dans le Tour de France, parce que les gens seront persuadés d'être pris.
 
Notre confrère, B. Thomas, d'Auto-Plus, a été mis en examen hier, notamment pour "recel d'abus de confiance et révélation du secret de fabrique". Le constructeur Renault avait porté plainte après la publication de photos et d'informations sur un projet de véhicule. Cela justifiait-il une perquisition au siège du magazine, une fouille au peigne fin, la saisie d'ordinateurs, une garde à vue de 48 heures, et donc, finalement la mise en examen de ce journaliste ?
 
Là, évidemment, on est dans une affaire - c'est un peu complexe - et une affaire judiciaire est en cours, et là-dessus je ne peux évidemment pas me prononcer. C'est vrai, je l'ai dit, je me sens mal à l'aise quand un journaliste est poursuivi pour avoir finalement divulgué des informations. Alors, c'est là où vraiment, après, il faut voir évidemment dans quelles conditions cela s'est passé. J'ai aussi, parce que je le pense, que la loi sur la protection des sources, ça veut dire plus de garanties. Justement, on ne peut pas être perquisitionnés n'importe comment, il faut évidemment qu'il y ait un juge qui soit là. Vous pouvez protéger vos sources, excepté s'il y a vraiment un délit constitué, et on retombe, là, sur une affaire judiciaire. Mais c'est vrai qu'en soi, je crois qu'une loi qui protège mieux les journalistes et la spécificité de leur métier, c'est urgent. Et je me sens un peu mal quand un journaliste se trouve poursuivi. Alors, évidemment, je ne me prononce pas sur le fond de l'affaire et j'attends.
 
La loi sur la protection des sources, c'est un texte que vous avez présenté avec collègue de la Justice, R. Dati.
 
Oui.
 
C'est un texte qui viendra en discussion au Sénat à l'automne. Ne laisse-t-il pas encore trop de place à l'interprétation, ce texte ?
 
Nécessairement, on voit bien...alors nous sommes dans des affaires très complexes, parce que, il y a l'information en général, et il peut y avoir des informations qui touchent en effet à la protection intellectuelle, la protection des droits d'auteurs. Ici on voit bien qu'il y a une affaire, un enjeu industriel qui est aussi très important. Il faut...
 
Pardonnez-moi, le texte tel que vous l'avez présenté, autoriserait la justice à rechercher l'origine d'une information en cas d'impératif prépondérant de l'intérêt public, c'est ça ?
 
Oui, d'intérêt public et puis, en effet, s'il s'avérait qu'il y a un délit, une certaine gravité qui est constituée. Donc, c'est normal qu'il y ait une part d'interprétation, mais je pense que la part de protection supplémentaire est quand même très importante, et donc, c'est pour cela que je dis qu'il faut voter cette loi.
 
Faudrait-il aussi que la loi empêche la mise en garde à vue d'un journaliste dans le cadre de ses fonctions ?
 
On ne peut pas dire qu'on ne peut jamais mettre un journaliste en garde à vue quoi qu'il se passe naturellement, mais la loi l'encadre et veille en tout cas à ce que ça ne soit pas fait facilement, et que, justement, ce métier si spécifique soit entouré justement de garanties.
 
En début de semaine prochaine, vous allez réunir vos collègues, vos homologues européens pour un Conseil informel. Vous comptez les convaincre d'autoriser une TVA à 5,5 % sur les disques et la vidéo, c'est un des chevaux de bataille de N. Sarkozy dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne ?
 
Ecoutez, on va tous se battre sur la TVA à 5,5, sur les disques. Mais je voudrais sur l'ensemble des biens culturels. Et puis on voit bien qu'il y a tout un problème au fond, entre une TVA qui est très faible, par exemple, mettons pour la presse, mais qui était à 19 pour la presse en ligne. Et aujourd'hui, il y a des très grandes différences entre les services culturels qui sont en ligne et puis certains produits culturels. Donc, il y a une vraie bataille TVA. Je l'ai déjà mis sur la table dans tous mes entretiens avec évidemment mes collègues européens, on va en parler naturellement dans ces Conseils et sûrement à Versailles. Ce que je souhaiterais, c'est une réunion ensemble des ministres de l'Economie et des Finances et des ministres de la Culture pour aborder ces questions. Ça serait nouveau, c'est...
 
Et vous pensez arriver à l'unanimité ?
 
Je l'ai demandé. Je trouve que, si déjà les financiers, les "cultureux" se retrouvaient ensemble pour parler, eh bien c'est une approche qui serait, je crois, un peu nouvelle, et je pense que cela nous permettrait d'avancer.
 
Alors, on discutait hier matin, ici même, avec le président de la commission des lois au Sénat, J. Arthuis, qui nous disait qu'on n'a pas les moyens de baisser la TVA à 5,5, ni sur la restauration, ni sur les produits culturels, sauf, disait-il, à augmenter encore un petit peu le déficit.
 
Evidemment, tout a un coût, mais en même temps il faut voir... On considère toujours finalement que la culture ça coûte. Mais la culture ça rapporte. Et on va faire en novembre prochain...
 
La TVA à 5,5 ça rapporte moins que la TVA à 19,6...
 
Ça, je suis d'accord. Mais en novembre prochain, on fait un énorme colloque sur justement le thème "Culture, Economie, Médias", pour montrer que la Culture, c'est aussi de l'emploi, c'est de l'expansion, c'est du tourisme, c'est du rayonnement. Donc, je crois qu'il y a un retour. Alors c'est sûr qu'il y a une perte dès qu'on baisse la TVA, elle est d'ailleurs beaucoup moins importante sur les biens de culturels évidemment que sur la restauration. Une baisse de TVA sur les biens culturels, à mon avis demeurerait quand même limitée et a des effets très considérables, notamment pour les jeunes qui sont des consommateurs de biens culturels.
 
Le Conseil d'administration de France Télévisions vient de manifester son soutien à P. de Carolis en votant une motion particulièrement élogieuse, où il est question d'intelligence, de compétence, de conviction. À qui est adressé le message ?
 
À P. de Carolis, déjà, pour lui dire, je crois, toute la satisfaction du Conseil d'administration. Vous savez, je m'associe tout à fait à cela, on travaille tous les jours avec les équipes... les dirigeants de France Télévisions aujourd'hui. J'étais encore hier à Strasbourg avec P. de Carolis, on travaille ensemble justement pour préparer la loi, à faire un cahier des charges, voilà. Je m'associe tout à fait à cette motion naturellement du Conseil d'administration.
 
Vous ne croyez pas qu'il va démissionner fin août ? Vous ne le croyez plus ? Il n'en est plus question ?
 
Je crois, non...Enfin, je souhaite clairement que P. de Carolis continue sa mission...
 
Jusqu'au bout de son mandat en 2010 ?
 
Bien sûr. Et porte cette réforme qui est tout à fait essentielle. Il n'y a pas de raison aujourd'hui que cela ne soit pas le cas. Nous avons... je vous dis, la réforme est lancée, les financements sont là, je le redis. Et voilà. Et je souhaite que P. de Carolis sa mission.
 
Jusqu'en 2010 ?
 
Oui, il est nommé jusqu'en 2010 de toute façon.
 
L'engagement de N. Sarkozy concernant la compensation des pertes de rentrées publicitaires figurera-t-il explicitement dans la loi ?
 
La loi est en train de s'écrire. Il y a des points qui relèvent clairement de la loi, par exemple, la restructuration, la création d'une société unique, comme justement, Radio France, avec des antennes clairement identifiées, cela relève de la loi. Après, il y a beaucoup d'autres points qui relèvent du règlement. Et la compensation de la publicité, c'est le contrat d'objectifs et de moyens. Donc, ça, ce n'est pas quelque chose qui est dans la loi. Mais c'est un engagement qui est absolument pris. Et il est tout à fait clair et il sera tenu, bien sûr.
 
Bruxelles a autorisé hier une nouvelle injection de capital de l'Etat français, 150 millions dans France Télévisions...
 
Oui.
 
...Mais la Commission rappelle en même temps, qu'elle aura son mot à dire sur les mesures de compensation, et elle a déjà émis plutôt des réserves sur, notamment l'instauration d'une taxe sur le chiffre d'affaires des opérateurs de télécommunication et des fournisseurs d'accès à Internet ?
 
Oui, vous savez, on...
 
Vous n'avez pas d'inquiétude sur... ?
 
Pas vraiment, parce que hier, justement, on avait tout un colloque sur les médias de service public, et j'étais à côté de la commissaire à la Concurrence justement, N. Kroes, et on a bien affirmé la possibilité pour chaque Etat de porter au fond comme il l'entend, la politique de soutien à l'audiovisuel public. On dit tout le temps que Bruxelles est contre tout, mais là, quelle est la décision qu'ils ont prise ? Ils ont approuvé une dotation en capital de 150 millions d'euros, ce qui est très important. Et je trouve, j'y vois un signe tout à fait encourageant pour la suite. Je n'ai pas le sentiment...
 
Mais ils auront leur mot à dire sur la suite ?
 
Bien sûr qu'ils auront leur mot à dire, mais on va leur demander.
 
Mardi matin, ici même, S. Royal, jugeait que "le transfert des ressources financières de la publicité du service public vers le secteur privé consiste finalement pour N. Sarkozy à servir financièrement ses amis", fin de citation. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
 
C'est l'éternel procès qui est fait depuis le début du projet. Je pense que c'est vraiment la réforme la plus importante qui est faite depuis 20 ans, elle suscite des questions naturellement, et je vois bien les salariés...Je vous dis, j'étais hier à France 3, je le sais. Et en même temps, je pense que c'est une réforme très forte. Je crois réellement qu'on va avoir un audiovisuel public de plus en plus différent, et je crois qu'il aura les moyens de son développement. J'y crois beaucoup. Alors on peut dire qu'on...
 
On ne peut pas dire que ce soit une bonne nouvelle pour le privé en même temps ?
 
Oui, mais en même temps, le privé se trouve taxé, à la fois sur ses recettes publicitaires supplémentaires, les opérateurs évidemment se trouvent taxés, et un ami proche de N. Sarkozy se trouve donc taxé à un double titre : en tant que opérateur Télécom et en tant que opérateur chaîne privée.
 
Bouygues...
 
Bouygues.
 
71 % des Français hostiles à la nomination du patron de France Télévisions par le président de la République. Les deux tiers d'entre eux affirment qu'ils ne sont pas d'accord avec la suppression de la publicité, ce sont des sondages. Ça devait quand même être rudement important à titre personnel pour le président de la République cette réforme, pour qu'il la fasse, qu'il l'entraîne malgré les sondages ?
 
C'est-à-dire, je crois, N. Sarkozy aime... c'est quelqu'un qui aime la télévision, c'est absolument certain ; qui la connaît, et qui apporte vraiment un projet pour la télévision publique. C'est un fait. Et chaque fois qu'on discute avec lui, et Dieu sait qu'il en parle souvent, c'est une chose qui apparaît profondément. Alors après, les modalités Il y a la question effectivement, il y a une grande discussion sur la nomination, en effet, des dirigeants, d'une façon ou d'une autre. Bon. Je pense que l'actionnaire, il y a une logique à ce que l'actionnaire effectivement nomme, qu'il va le faire d'une façon extrêmement encadrée, avec le contrôle du Parlement, le contrôle du CSA, et dans un débat qui sera public. Il faut bien imaginer que ça va être une nomination extrêmement attendue, qui va être tout à fait discutée, qu'on ne peut pas imaginer justement autre chose qu'un grand professionnel à la tête de l'audiovisuel public, et on pourra peut-être d'ailleurs, aller chercher... au fond, il pourra arriver qu'on aille chercher un professionnel qui n'aurait pas été candidat ou qui n'aurait pas pu être candidat dans la situation actuelle. Si vous voulez, dans le processus actuel.
 
Encore une question rapidement sur l'audiovisuel public : a-t-on encore les moyens d'une chaîne comme France 5 ? Son directeur des programmes vous réclamait 30 millions d'euros supplémentaires pour, dit-il, être dans la course. Et vous lui avez dit "niet" ?
 
Je crois qu'actuellement...
 
S'ils ne peuvent plus être dans la course ?
 
Je crois qu'actuellement, ils peuvent très bien être dans la course. Je redis que les moyens sont là, il y a aussi engagée bien sûr, toute une évolution de France Télévisions dans ses différentes chaînes, c'est certain. Et la création d'une société unique va aussi entraîner des évolutions, des mutualisations. Donc, je crois qu'on n'est pas dan un paysage stable. Les moyens seront là pour France 5, c'est très important que France 5, qui répond à un besoin spécifique, a ses publics...
 
Evidemment la question est plus large pour toutes les chaînes de France Télévisions ?
 
Mais oui, bien sûr pour toutes les chaînes de France Télévisions, et France 5 a précisément une identité très forte, à mon avis.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 août 2008