Déclaration de M. Georges Sarre, président délégué du Mouvement des citoyens, sur la reconnaissance du génocide arménien et sur ses conséquences sur les relations franco-turques, à l'Assemblée nationale, le 18 janvier 2001.

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Circonstance : Débat sur la reconnaissance publique par la France du génocide arménien à l'Assemblée nationale, le 18 janvier 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,-
Mes chers collègues,
Je tiens à souligner d'emblée combien je me réjouis de l'occasion qui nous est à nouveau donnée de débattre de la reconnaissance publique, par la France, du génocide arménien de 1915. Il est bon que notre séance historique du 29 mai 1998 ne reste pas sans lendemain, et que le processus soit aujourd'hui mené à son terme, sur une question marquée, de bout en bout, par l'initiative parlementaire.
Venons-en au fond du débat, c'est-à-dire au sens à donner, une nouvelle fois, à la reconnaissance publique, par la France, du génocide arménien. Il reste, me semble-t-il, lié à quatre grandes exigences, dont mon intervention de 1998 se faisait déjà l'écho.
Donner aux événements de 1915 leur vraie qualification juridique, c'est d'abord rétablir une vérité historique. Par leur caractère massif, planifié et ciblé, ces massacres systématiques d'hommes, de femmes et d'enfants, en raison de leur appartenance ethnique, constituent en effet un génocide, le premier du XXème siècle. Telle est la position convergente des historiens.
Rétablir cette vérité historique, ce n'est pas seulement manifester notre attachement exigeant au devoir de mémoire, au respect des droits de l'Homme et du Citoyen, et des valeurs universelles de notre République. C'est encore contribuer résolument au combat sans fin contre l'amnésie collective.
A cet égard, je constate que notre action, loin d'être isolée, s'inscrit dans une dynamique internationale, en vue de faire progresser la reconnaissance publique du génocide arménien. Ainsi, dans les années quatre-vingt, vit-on la Sous-commission des droits de l'Homme de l'ONU, puis le Parlement européen, s'emparer de cette question. Au printemps 1998, les Sénat belge et argentin s'engagèrent à leur tour.
Le 7 novembre 2000, les six groupes politiques du Sénat surmontèrent enfin leurs hésitations, en votant massivement la reconnaissance publique, par la France, du génocide arménien, dans des termes identiques à ceux de notre Assemblée, dix-huit mois plus tôt. Dans le même temps, un projet de résolution sur le génocide arménien était présenté devant la Chambre des Représentants du Congrès américain. Même si, en l'espèce, le débat n'a pas été mené à son terme.
Enfin, le 17 novembre 2000, nos collègues italiens adoptèrent une résolution invitant à son tour les autorités turques, comme le fit quelque temps plus tôt le Parlement européen, à "accroître leur soutien à la minorité arménienne", notamment "par la reconnaissance publique du génocide" arménien.
Reconnaître ce génocide, c'est également rendre hommage à la mémoire collective tragique des Français d'origine arménienne, et leur témoigner solennellement notre respect et notre solidarité. L'abondant courrier que m'ont adressé, au printemps 1998, nombre de ces compatriotes - au premier rang desquels le "Comité du 24 avril" de M. Govciyan, et le "Comité de défense de la cause arménienne" - a montré combien, en la matière, l'attente était grande, la mémoire vive, la fierté et la reconnaissance profondes.
Je n'oublie pas, cependant, combien profonde et vive fut également la réaction de ceux de nos compatriotes d'origine turque qui m'ont alors écrit, au lendemain du 29 mai 1998. C'est à eux que je voudrais m'adresser maintenant, pour tenter de dissiper, autant que faire se peut, leurs interrogations et leurs appréhensions.
Je le redis solennellement: loin d'avoir pour objectif - comme certains le pensent à tort - "de blesser la nation turque vis-à-vis de l'histoire", la France, en reconnaissant les événements de 1915 pour ce qu'ils furent, entend surtout contribuer à la réconciliation entre la Turquie et l'Arménie d'aujourd'hui, et à l'établissement d'une paix durable entre ces deux démocraties en voie de consolidation. Ce qui suppose tout d'abord de ne pas occulter l'Histoire.
Depuis le printemps 1998, la Turquie et l'Union européenne ont accomplis des pas importants l'une vers l'autre. En décembre 1999, au sommet européen d'Helsinki, la Turquie se voyait officiellement reconnue comme pays candidat à l'adhésion. Un an plus tard, Ankara et Bruxelles se mettaient d'accord, sous présidence française, sur le texte d'un "partenariat pour l'adhésion", déclinant les étapes vers l'ouverture effective des négociations.
Plus que jamais, donc, la Turquie est en Europe et dans la construction européenne. Et si le dialogue avec Ankara n'est pas exempt, je le déplore, de crispations et d'incompréhensions, il est évident que ni le peuple turc, ni la Turquie actuelle - dont le regard sur sa propre histoire a évolué et évoluera encore -, ne sauraient être mis en accusation sur la question qui nous occupe aujourd'hui.
Seul un dialogue approfondi entre Paris et Ankara, dans tous les domaines, permettra toutefois de conjurer durablement les réserves de ceux qui - tel M. Védrine - craignent que l'adoption de la présente proposition de Loi "serve avant tout ceux que tentent le repli sur soi, le nationalisme autoritaire et la répudiation des valeurs de progrès et d'ouverture". Et les récentes menaces des sanctions du gouvernement turc sont déplacées, outrancières et sans effet.
Il faut au contraire développer un esprit de dialogue exigeant et fécond, à la mesure des liens historiques d'amitié et de coopération qui nous unissent à la Turquie et à l'Arménie, que je vous invite, mes chers collègues, à confirmer aujourd'hui solennellement l'engagement unanime de notre Assemblée en faveur de la reconnaissance publique, par la France, du génocide arménien de 1915.
Hommage soit ainsi rendu aux victimes de cette tragédie, à travers leurs descendants, nos compatriotes, qui voient aujourd'hui se réaliser un de leurs plus chers désirs. En ce début de troisième millénaire, souhaitons enfin que soit trouvée à la crise du Nagarny-Kharabak, en Arménie, la solution pacifique que la France, aux côtés de ses partenaires russes et américains du "groupe de Minsk", s'efforce de promouvoir et appelle ses voeux.
(Source http://www.mdc-France.org, le 05 février 2001).