Texte intégral
Je tiens d'abord à saluer la qualité, le franc-parler des intervenants, tout au long des travaux de cette journée, ce qui est positif pour progresser ensemble.
"Le pouvoir d'achat et le monde agricole" est un sujet complexe.
En juin /juillet 2007, quand la flambée des prix des matières premières a été connue, j'ai pris l'initiative de réunir tout le monde, parce que personne ne voulait endosser la responsabilité de la hausse des prix.
Or, il fallait dire que la profession agricole avait besoin de prix qui montent pour défendre les revenus des producteurs.
Mais le paradoxe à gérer en agriculture est que certains secteurs de l'agriculture sont aussi consommateurs de matières premières (les éleveurs en achètent). On sait que l'élevage de porcs, est doublement dans la crise, avec des prix très bas (ça on a l'habitude), mais avec des coûts de production qui montent !!!
Et ensuite, il fallait expliquer au consommateur quelle était la conséquence de la hausse de la matière première, et qu'il allait devoir payer plus. J'ai appelé à la transparence. Pour la hausse de la baguette de pain, les médias ont tenté de rejeter la responsabilité sur l'agriculture alors que le coût de la farine représente un pourcentage infime du coût total.
Si on veut être compris de l'opinion et des consommateurs, un maître mot pour les politiques comme pour les acteurs, c'est la transparence au niveau de chaque maillon. Il faut regarder comment on peut maîtriser cette hausse. Quelle que soit la situation, de crise ou de hausse du marché, on doit être capable dans les deux de l'expliquer au consommateur.
Il fallait avoir le courage de dire que l'on avait besoin d'une augmentation des prix, et ensuite on ne peut pas vouloir dire que les prix vont baisser quand les prix des matières premières augmentent.
E Revel : Le rapport de la commission Attali, remis ce jour au Président de la République, intéresse-t-il le monde de l'agriculture ?
Il y a des choses intéressantes. Par exemple, il réhabilite la TVA sociale, mise au placard par les médias, pour défendre la place de nos produits sur le marché Européen.
Mais le rapport Attali propose la liberté commerciale, la liberté des transactions. J'apprécie que même Jérôme Bédier veuille garder un seuil de revente à perte. En matière commerciale, on peut tout libéraliser, mais il faut un minimum de règles du jeu : le seuil de revente à perte en est une, comme, je pense, tout ce qui tourne autour des politiques de promotion.
Tout le monde est choqué des marges faites sur le dos des consommateurs, mais il y a une chose qu'aucune loi ne pourra régler. On a toujours voulu régir de la même manière une relation commerciale entre la distribution et une grande multinationale et celle entre la distribution et une PME. Or ce n'est pas possible. Par contre, je souhaite que dans les discussions que nous aurons sur la négociabilité, on puisse protéger les petites et moyennes entreprises et donc les producteurs.
E Revel : Il y a une autre conclusion de la commission Attali, sur la représentativité syndicale, et le dernier accord interprofessionnel n'a pas pris en compte les spécificités agricoles.
Il vient d'être décidé entre les partenaires sociaux, un nouveau droit du travail, un nouveau contrat et l'agriculture n'est pas autour de la table. Je ne sais si nous serons reconnus pour être dans la négociation avec les autres partenaires sociaux, mais au moins, dans la phase intermédiaire, il faut que nous soyons entendus pour ce que nous sommes et avec nos réalités. D'ailleurs, avec les contrats saisonniers, le Ministre a compris puisqu'il nous a relancé là-dessus.
Je ne veux être représenté ni par le MEDEF, ni par la CGPME, ni par l'UPA. J'ai envie que les employeurs agricoles soient représentés par la FNSEA et c'est aussi clair que cela.
E Revel : La France va présider les instances Européennes en juillet 2008, quel est votre message sur la réforme de la PAC ?
Ce n'est pas parce qu'on préside l'Union qu'on est en meilleure situation pour défendre les positions de notre pays. J'attends que le Président de la République engage, au-delà du bilan de santé de la PAC, une réflexion sur l'ambition agricole et agro-alimentaire de l'Europe, parce qu'il y a les perspectives de l'après 2013 et du budget de l'Europe.
Il faut clarifier notre ambition, notamment eu égard à l'opinion publique européenne. Quelles sont les attentes des dirigeants politiques pour leur agriculture européenne, pour avoir la capacité à nourrir d'abord sa population et puis si nous sommes compétitifs, d'autres populations du monde. C'est la première chose à faire, comme l'ont fait les pères de l'Europe, à six. Depuis, on fait des réformes (84 : les quotas, 92 : les céréales, 2003 : Luxembourg ... )
De cette réflexion, découlera la politique agricole ainsi que les moyens financiers d'accompagnement de cette politique, qu'on aura voulu. Or actuellement, nous assistons à un replâtrage de la politique agricole européenne.
Hier, j'étais à Bruxelles et j'ai participé aux travaux avec les parlementaires, et madame Fischer Boel a dit que le paiement unique était le meilleur filet de sécurité. Cela m'interpelle ! Car on est en train d'abandonner tous les mécanismes de gestion de marché, tous les systèmes d'intervention. On est train de nous livrer au pur et dur marché.
Comment va-t-on réagir en France ? Il faut qu'on s'organise et je prends date. Parce que considérer le paiement unique comme filet de sécurité, cela revient à dire que l'on attend la même valeur ajoutée, le même résultat, d'un hectare de blé, de pomme ou d'herbe. On verra très vite que ces hectares ne produisent pas la même chose, et n'appellent pas les mêmes soutiens. Certains secteurs seront très mal soutenus et à la moindre crise risquent de disparaître.
D'où notre proposition d'essayer d'avancer dans une répartition nouvelle au niveau de ce que l'on appelle le premier pilier économique, et de faire notamment une sorte d'assurance au niveau du revenu, et d'anticiper une future politique agricole.
Je crois beaucoup aux interprofessions, pas dans le même périmètre que Jérôme Bédier, et je ne réclame des "interpro" pour fixer les prix, mais j'aimerais au moins que l'interprofession ait la volonté collective de gérer les crises. C'est pas pareil ! Dans le secteur porcin en crise depuis un an, ce n'est pas tenable, on ne fait rien, rien ne bouge, personne ne prend d'initiative, chacun attend que cela se passe, sans doute que certains crèvent pour que ça aille mieux après demain. Moi je n'envisage pas les choses comme cela. Tous les acteurs doivent se réunir autour d'une table (les producteurs, les acteurs économiques, la distribution). Parce que la crise, elle peut être interne, mais elle peut aussi naître des importations (comme en fruits et légumes), et qui importe si ce n'est la grande distribution ?
Chacun doit assumer ses propres responsabilités. Quels sont les efforts que chacun peut y faire, y compris la distribution ? Quelle politique de promotion faut-il pour tirer le marché ?... Et cela ne peut pas se faire les uns sans les autres. Il y a des choses à faire dans un périmètre interprofessionnel où la distribution peut être associée aussi.
Source http://www.fnsea.fr, le 9 juillet 2008