Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, dans "Le Parisien Dimanche" du 13 juillet 2008, notamment sur l'Union pour la Méditerranée.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - A quelles conditions pourra-t-on dire que ce sommet aura été un succès ?
R - Le simple fait que ce sommet se tienne est déjà une réussite. Parce qu'il procède d'une volonté politique très foret et qu'il se tient au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement. Les dialogues précédents depuis 1995 existaient au niveau des ministres. Il y aura une coprésidence Nord-Sud : Hosni Moubarak et Nicolas Sarkozy, l'Egypte et la France, pour l'heure. Les pays du Sud seront à égalité avec ceux du Nord, les participants à l'Union pour la Méditerranée ne seront plus tributaires de la seule Europe, le cadre est plus large. Enfin, nous allons lancer des projets de développement à géométrie variable, avec des financements privés et publics. Il s'agit d'une transformation profonde, d'un long chemin. Réunir la rive nord à la rive sud, c'est rapprocher deux civilisations, deux cultures comme l'islam et la chrétienté.
Q - Pourquoi avoir mis dans l'Union pour la Méditerranée l'Europe entière ?
R - Nicolas Sarkozy et Henri Guaino avaient promis pendant la campagne présidentielle une Union de la Méditerranée. Le président en a parlé dès son élection à la chancelière Angela Merkel, puis aux Italiens et aux Espagnols. Ceux-ci ont trouvé la bonne formule : une Union pour la Méditerranée. Ce fut d'abord une conviction à faire partager à l'intérieur de l'Europe, en particulier avec l'Allemagne.
Q - Que craignait-elle ?
R - Mme Merkel craignait que l'on entrave la marche de l'Union européenne. Nous devions décider ensemble. Les discussions ont été longues. Un document commun a été signé avec l'Allemagne : l'UPM se ferait avec l'Europe et non en marge d'elle. Dans cette bataille, la diplomatie française s'est tenue au premier rang. Quai d'Orsay et Elysée, tout le monde y a travaillé. La Commission européenne et M. Barroso ont été chargés de rédiger des propositions à partir du document franco-allemand. L'Europe s'est mise à marche ensemble avec beaucoup d'allant.
Q - Qui va piloter ?
R - L'Egypte et la France dans un premier temps. Puis la coprésidence changera, il y aura un secrétariat paritaire sur les projets, une commission permanente des ambassadeurs à Bruxelles, des sommets bisannuels.
Q - Où sera installé le secrétariat de l'UPM ?
R - Nous souhaitons qu'il siège dans un pays du Sud pour monter qu'il s'agit bien d'un partenariat. Deux pays sont candidats, la Tunisie et le Maroc. La décision sera prise en novembre.
Q - Quels projets vous tiennent le plus à coeur ?
R - Plusieurs sont présentés aujourd'hui : la dépollution de la Méditerranée, les autoroutes de la mer entre sa partie orientale et sa partie occidentale, la protection civile avec des avions et un quartier général, l'Erasmus méditerranéen pour ouvrir les universités... Des propositions de financement existent. Nous avons tenu des réunions avec des industriels très motivés, du Nord et du Sud, des banquiers, des entrepreneurs marocains et algériens décidés à travailler ensemble. Sur la dépollution, il y a déjà Suez, Veolia et d'autres. L'Agence française de développement (AFD) propose 500 millions d'euros.
Q - Le Libyen Kadhafi rejoindra-t-il le processus ?
R - Je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est que la région entière nous a dit oui. Une région qui ne critique pas notre diplomatie mais la salue. Etrange comme certaines n'aiment pas les succès de la France. Pourquoi cette autoflagellation permanente ? On nous avait prédit l'échec. Or, petit à petit, la volonté politique du président et le travail diplomatique ont levé les obstacles. L'UPM va entraîner un mouvement qui peut être essentiel pour la paix. Et tout le monde va vouloir en être. Et si c'était une explosion de solidarité politique ?
Q - Certains déplorent que ce projet ne prévoie rien pour les Droits de l'Homme...
R - Pourquoi dire cela ? Il y a dans le projet un chapitre dialogue politique et Droits de l'Homme. Evidemment, on ne va pas faire du changement politique la seule condition à la réalisation des projets. Le développement, l'ouverture, c'est cela qui transforme un pays et permet aux Droits de l'Homme d'être mieux respectés. Mais ne jouons pas en permanence les donneurs de leçons. Avec l'UPM, nous allons faire de l'ingérence préventive : le développement comme obstacle à l'extrémisme.
Q - La présence du président syrien, Bachar Al Assad a créé une polémique...
R - Je le comprends. Pourtant, tout le monde nous en félicité et surtout les Israéliens, qui parlent enfin aux Syriens. Par rapport à la situation d'il y a vingt ans, à l'époque du discours de François Mitterrand à La Baule, les progrès de la démocratie sont évidents. Certes pas suffisants mais réels. Les mouvements de défense des Droits de l'Homme protestent, et ils ont raison. Je les entends, mais la responsabilité d'un ministre des Affaires étrangères de la France n'est pas celle d'un militant.
Q - Quelle est la contrepartie à la présence d'Al Assad ?
R - Les pourparlers de paix, l'espérance, les ennemis qui se parlent. Nous avons réussi à convaincre les Américains, au départ hostiles à cette présence, du bien-fondé de notre démarche. Ce qui a changé dans la diplomatie française, c'est que maintenant ont peut parler aux Américains sans qu'ils pensent d'avance que l'on est contre eux.
Q - C'est une diplomatie rehaussée ou alignée ?
R - C'est une diplomatie d'invention, de mouvement, d'imagination, d'insistance, de découverte... Nous estimons que, si les Israéliens ont décidé de parler avec la Syrie, rien ne nous autorisait à la bouder - malgré le passé et un certain nombre de gestes inacceptables que je n'oublie pas, croyez-moi. Lisez la presse internationale, le monde entier nous approuve. Cessons le dénigrement permanent !
Q - Ségolène Royal a parlé d'un échec de la France à propos de la libération d'Ingrid Betancourt. Que lui répondez-vous ?
R - Que c'est triste et douloureux. Les Colombiens nous avaient prévenus d'une opération de libération d'Ingrid Betancourt. Et nous avons compté dans le succès parce que notre pression a fait que les otages sont devenus une affaire internationale.
Q - Certains soupçonnent Paris d'avoir versé une rançon...
R - C'est grotesque. Il n'y a pas eu un centime versé. Les dirigeants des FARC sont richissimes. Ce sont des trafiquants de drogue, ils n'ont pas besoin d'argent.
Q - Vous voyez Ingrid faire une carrière politique en France ?
R - Je la vois comme un personnage international. Ni une star ni une icône. Mais une des vraies grandes figures du monde.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juillet 2008