Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec France 3 le 31 août 2008, sur l'attitude des Européens face à la Russie dans le conflit en Géorgie.

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Média : France 3

Texte intégral

Q - Bernard Kouchner, on le sait demain l'Europe voudra apparaître unie, en tout cas c'est la position de la France et de l'Allemagne. Néanmoins, je note aujourd'hui cette position du Premier ministre britannique, Gordon Brown, qui prône de "prendre des mesures énergiques contre la Russie" ; il dit par exemple que l'on pourrait exclure la Russie du G8. Que lui répondez-vous ?
R - Je ne lui réponds rien, nous verrons demain.
Q - Il prône la fermeté.
R - Comme vous le savez, nous sommes vingt-sept pays au sein de l'Union européenne. Il y a certaines personnes qui prônent la fermeté et d'autres qui, au contraire, trouvent que l'on en fait trop contre les Russes. Nous verrons bien. Le texte que je connais est un texte équilibré et ferme, il ne propose pas de sanctions mais des démarches très précises parce que les évènements se sont déroulés très vite. Ils ont commencé il y a trois semaines. Aujourd'hui, les troupes russes se sont majoritairement retirées.
Q - Mais, il y a encore des militaires russes sur place.
R - Certes, mais avez-vous déjà vu une guerre qui se déroule aussi vite ? Oui, il y a encore des militaires russes, oui il y a encore des situations qui ne sont pas acceptables, comme à Poti et dans certains endroits autour de l'Ossétie. Mais entre-temps, vous ne l'avez pas souligné, le président Medvedev a souhaité qu'il y ait plus d'observateurs européens. Il faut dire qu'il n'y en a pas du tout pour le moment ou seulement quelques observateurs de l'OSCE. Il y a déjà eu un Conseil extraordinaire avec des conclusions et une demande très précise de la part des vingt-sept Etats européens d'être présents sur place. Si demain nous pouvons envoyer un signe de fermeté, nous le ferons.
Q - Fermeté sans sanctions.
R - Fermeté sans sanctions, cela dépend de ce que vous appelez des sanctions. C'est toujours ainsi, vingt-sept pays, qui ne demandent pas toujours la même chose, vont se réunir et aboutir à un langage commun, ce qui est l'essentiel. Une unité sera maintenue. Après, nous verrons.
Q - Aujourd'hui, le président russe Medvedev affirme que la Russie peut, elle aussi, prendre des sanctions. Le prenez-vous au sérieux ?
R - Je prends tout cela très au sérieux. La politique, la guerre, les victimes sont des sujets très sérieux. Nous n'avons jamais été aussi vite, nous étions sur place avec le président Sarkozy, dès le 10 et le 11 août, cela ne s'est jamais vu dans l'Union européenne.
A travers le monde, il y a un seul document qui reste valable et qui sera l'articulation, en tout cas la base sur laquelle nous discuterons, ce sont les six points que la France a proposés et a fait accepter à la fois en Géorgie, au président Saakachvili et en Russie, au président Medvedev.
Q - Sans prendre de sanctions, comment peut-on espérer vraiment influencer la politique russe ?
R - C'est ce que l'on appelle la politique.
Q - La realpolitik.
R - Non, pas la realpolitik. La realpolitik est un mot péjoratif.
Q - On est impuissants, on dépend du gaz russe.
R - Pas du tout, c'est vous qui le dites, moi je ne le dis pas. Nous sommes puissants parce que nous sommes l'Europe, avec 500 millions d'habitants et parce que nous devons agir ensemble. Agir ensemble cela signifie qu'une solution politique doit être trouvée. Nous avons eu ce que vous connaissez, ce que vous avez résumé. Maintenant, cela suffit, il faut passer à la politique, et il faut s'entendre sur une sortie de crise.
Q - Nous verrons demain.
R - Nous verrons demain. Demain ne sera que le début et vous savez que ce n'est pas simple.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 septembre 2008