Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, à France-Inter le 2 avril 2008, sur le débat parlementaire portant sur le projet de loi sur les OGM.

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Texte intégral

N. Demorand.- Première question : est-ce que sur les OGM, l'Assemblée nationale est en train de défaire ce que le Grenelle de l'environnement avait patiemment construit ?

R.- Je vais d'abord essayer de faire le point tranquillement sur ce dossier difficile. Il y a huit mois, quand j'ai pris mes fonctions et avant le Grenelle, quelle était la situation en France ? Aucune législation, aucune règle, 12.000 hectares de maïs Monsanto 810 produits en France, sans que l'on sache où, sans que ceux qui le font en soient responsables, sans qu'il y ait de transparence, et sans qu'il y ait une grande Haute autorité française pour faire le point sur ces sujets-là. Le Grenelle - j'ai sous les yeux, parce qu'on lui faire dire beaucoup de choses, après des mois et des mois de travail, et à l'unanimité des ONG, des agriculteurs, des entrepreneurs, des régions, villes, etc. - dit quoi ? Un, sur le seul OGM cultivé en France, le Monsanto 810, demande d'interdiction en France, malgré l'autorisation européenne, ça s'appelle "la clause de sauvegarde". Ça a été fait. Ça a été une décision extrêmement difficile et importante. Je rappelle que la France est le seul grand pays agricole au monde qui fait jouer la clause de sauvegarde, et qui, devant l'incertitude de la dissémination - c'est-à-dire est-ce que ça peut atteindre d'autres modes d'exploitation ? - a décidé cette décision. Deuxièmement, le Grenelle dit - j'ai, page 19, les éléments - : "nous avons besoin pour l'avenir, puisque ce problème est réglé, vos auditeurs doivent savoir qu'à cette heure-ci, il n'y a plus en France de culture OGM Monsanto 810, la seule qui était cultivée. Pour l'avenir et tous les autres sujets, parce qu'il n'y a pas que l'agriculture ; il y a de l'agriculture, il y a la santé, la pharmacie. Le Grenelle a dit : un, nous voulons une loi. Nous y sommes. Deux, il faut que cette loi prévoit une Haute autorité qui mélange l'ensemble des sciences, les sciences dures mais aussi l'ensemble des la vie et les engagements sociaux. La Haute autorité est prévue. Troisièmement, le Grenelle dit, je cite...

Q.- Les sénateurs en ont changé le statut, la nature et la composition. Mais je vais vous reposer exactement la même question que je vous posais il y a deux minutes.

R.- Attendez, la loi dit également : principe de responsabilité, principe de précaution, principe de transparence et participation, libre choix de produire, règles de coexistence et de consommer sans OGM. Voilà ce que dit ce texte. Nous avons présenté...

Q.- Alors, est-ce que l'Assemblée nationale est en train de défaire...

R.- Non !

Q.- ... les résultats patiemment acquis du Grenelle de l'environnement ?

R.- Nous avons présenté un texte équilibré, qui est d'ailleurs salué comme tel au Sénat. Le Sénat y a apporté quelques modifications auxquelles le Gouvernement par nature n'était pas favorable puisqu'on avait présenté un autre texte. Quelles sont-elles ? Changement de mots. La "Haute autorité" est devenue un "Haut conseil sur les biotechnologies" avec les mêmes missions.

Q.- Mais pas les mêmes membres ?

R.- Non, avec les mêmes membres, avec les mêmes membres. Le changement de mots pourquoi ? Parce que, une "Haute autorité" prend une décision, un "Haut conseil" éclaire la décision publique. Or, le Grenelle avait dit précisément que cette Haute autorité devait éclairer la décision mais qu'elle revenait en dernier ressort au politique. Donc, le changement de dénomination ne change pas la fonction. Il y avait un deuxième point, qui est la composition de collèges qui devaient travailler ensemble : un collège de scientifiques et un collège dit de "la société civile". Le Sénat a séparé un peu ce Haut conseil dans ces deux collèges distincts. Nous, nous souhaitons qu'il y ait une plénière de ces deux collèges, nous redéposons un amendement devant l'Assemblée nationale, et j'ai cru comprendre que la commission n'y était pas hostile - commission des Affaires économiques.

Q.- Mais est-ce que les députés de votre majorité ont lu le texte que vous venez de détailler, sont au courant des tractations et des négociations qui ont permis d'obtenir cet équilibre extrêmement fragile ? Et ma question : l'Assemblée nationale est-elle en train de défaire ce que le Grenelle de l'environnement a fait ?

R.- Non, non, non. L'Assemblée nationale n'est pas en train de revenir sur le moratoire sur le 810 ; elle n'est pas en train de revenir sur le Haut conseil sur les biotechnologies. Et je pense même que le texte va être, par rapport à ce que nous souhaitons nous, amélioré, notamment sur le mode de fonctionnement de cette Haute autorité. La France est le pays qui est le plus précautionneux au monde en matière d'OGM, il n'y en pas d'équivalent. Nous avons il y a quinze jours au Conseil européen de l'environnement, que le niveau d'expertise européenne soit rehaussé et soit modifié. Car il faut savoir que, partout autour de nous, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre et ailleurs, vous utilisez du Monsanto 810, sans aucune difficulté, vous le cultivez, vous le commercialisez. Donc, la France est quand même assez exemplaire. Alors, après, comme toujours, que certains soient excessivement pour ou excessivement contre, et pouvant être d'ailleurs très dans l'excès d'ailleurs, c'est une autre question. Mais la responsabilité du Gouvernement de la France c'est d'être précautionneux, c'est de ne pas dire non à la science, notamment en matière médicale, notamment à la recherche sur la mucoviscidose, mais qu'on se dote de tous les outils de précaution, et qu'on influe sur la position européenne, parce que c'est à 500 millions que se joue cette affaire, pour qu'on évolue dans ce sens-là.

Q.- Y a-t-il eu, oui ou non, dans ce débat des sénateurs qui ont été l'objet d'un lobbying intense de la part des semenciers, comme le dit le sénateur UMP, Legrand, qui est très spécialiste de ces questions-là, qui était un membre actif du Grenelle de l'environnement ?

R.- Qui a coprésidé avec Mme Blandin d'ailleurs ce groupe de travail. Et ce qui me navre c'est de lire ce que je lis - Le Grenelle est arrivé, vraiment, après des mois et des mois de travail, à une position qui est la plus précautionneuse au monde et extrêmement raisonnable - et de lire des phrases à l'emporte-pièce, du PS par exemple...

Q.- Et de l'UMP...

R.-..."Ce n'est plus dans l'esprit du Grenelle". Enfin, c'est quand même invraisemblable. Par nature, c'est...

Q.- Le sénateur UMP parle de lobbying, accuse très nettement un certain nombre de ses confrères parlementaires d'avoir été l'objet d'un lobbying. Oui ou non, d'après vous ?

R.- A chaque fois qu'il y a un texte au Parlement, vous avez des gens qui sont reçus, qui sont écoutés, enfin c'est le propre même de la démocratie. Le Parlement, ça ne se travaille pas en chambre. Bien entendu que le rapporteur, bien entendu que les parlementaires ont des contacts. Je ne suis pas en train de dire qu'ils en avaient spécialement avec celui-là, mais enfin. Le grand fantasme quand même du parlementaire sous pression, il est surtout sous pression de son électeur, en fonction de la nature de sa circonscription, pour tout vous dire. Mais je rappelle que l'existence de cette loi, y compris le moratoire, a été approuvée à l'unanimité, et des agriculteurs, et des ONG. Alors, la démocratie, ce n'est pas la phrase rapide, celle qui fait mouche, celle qui fait plaisir, l'amalgame, les imprécateurs, non. Ce sont des actions responsables, concertées, et la France est exemplaire dans ce domaine.

Q.- Vous vous attendiez, très sincèrement, pour que nous parlions clair, et que nous avancions au mois dans une direction, à une telle opposition de la part des parlementaires sur les sujets que vous avez défendus, sur lesquels vous avez travaillé ?

R.- Contrairement à ce qu'on croit, le problème n'est absolument pas en fait sur le texte de loi. Quel a été le grand virage ? Le grand virage c'est le jour où, à ma forte demande, après le consensus de Grenelle, N. Sarkozy a dit "ok" pour la clause de sauvegarde, on interdit le 810 en France. Ça a été un coup de tonnerre dans le monde. Un coup de tonnerre. Avant, on avait des messages de certaines administrations américaines nous disant : dès le 3 janvier, on vous attaquera devant l'OMC si vous faites ça ! Parce qu'il y a un combat économique, et c'est vrai. Ça c'était la vraie décision, qui a été contestée par de nombreux élus de tous bords. M. Le Déaut, du PS, comme des gens de l'UMP ou du Nouveau Centre. C'était une décision lourde. Celle-là a fait l'objet de polémique, souvenez-vous. Mais en ce qui concerne le texte, qui par nature est imparfait, que dit le texte ? Il ne dit pas "on autorise demain". Il dit : si jamais la Haute autorité, ayant éclairé les pouvoirs politiques, dans certains domaines, parce qu'il n'y a pas de risque de dissémination, vous étiez amenés à autoriser certains types d'OGM, à ce moment-là, voilà quels sont les principes : responsabilité, transparence. On était dans une situation d'hypocrisie depuis dix ans ! Invraisemblable ! Des gens cultivent du flou...

Q.- Mais, est-ce qu'on ne va pas réinstaurer du flou là où le Grenelle de l'environnement avait essayé d'adopter des principes ?

R.- Mais on est exactement sur ces principes-là.

Q.- Comment allez-vous faire une barrière entre des cultures OGM et non OGM ?

R.- Mais je ne suis pas en train de dire qu'il faut faire une barrière...

Q.- Mais ce que demandent les associations écologiques...

R.- Non, non, elles ne demandent pas ça les associations écologiques.

Q.- Ce n'est pas "contamination" ?

R.- Mais attendez, est-ce qu'on est en train d'organiser la contamination ? Vous avez lu le texte ? Le texte dit : pour l'instant, il y a suffisamment de doute pour qu'on n'en fasse pas en France. Deuxièmement, nous avons besoin d'une Haute autorité des biotechnologies. Vous êtes obsédé par un seul produit, le Monsanto 810, qui est le seul interdit ! Invraisemblable !

Q.- Non, non, on pose la question des organismes génétiquement modifiés, dans l'absolu.

R.- Mais monsieur, il y en a dans plein de sujets, notamment médicaux. La loi est organisée pour longtemps. La loi organise la précaution de l'avenir. Le problème du Monsanto 810 est derrière nous, il est interdit en France.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 avril 2008