Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne et la construction européenne, à Paris le 28 août 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : XVIe Conférence des ambassadeurs, à Paris du 27 au 29 août 2008

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Cher Günter,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs, et surtout
Chers Amis,
Tout d'abord je souhaite exprimer notre solidarité, notre sympathie à mon ami Günter Gloser à la suite de la mort de soldats allemands en Afghanistan, quelques jours après le drame qui a frappé nos propres soldats, dont je salue, devant vous, la mémoire. Une fraternité d'armes unit les Européens, et beaucoup d'autres, qui se battent pour leurs valeurs. Günter vous dira quelques mots après cette intervention et vous pourrez, bien sûr, lui poser les questions que vous souhaitez.
Je suis très heureux de vous retrouver pour cette seizième conférence des ambassadeurs, placée sous le signe de la réforme du ministère et de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne.
125 : c'est le nombre de jours qu'il nous reste pour mener à bien cette présidence.
D'ores et déjà nous pouvons nous réjouir de la très forte implication de l'ensemble des membres du gouvernement sous l'impulsion du président de la République, du Premier ministre et de notre ministre, Bernard Kouchner. Au-delà, nous pouvons dire que grâce à la mobilisation de chacun d'entre vous, à celle, en particulier de la représentation permanente, (Pierre Sellal est pris justement par ses fonctions à la veille du Conseil européen de lundi), de la direction de la Coopération européenne, brillamment conduite par Pierre Menat, du service de la Politique extérieure et de Sécurité commune, qui rejoindra le puissant directeur des Affaires politiques, du Protocole, mais aussi du Secrétariat général de la Présidence française et du Secrétariat général aux affaires européennes, les deux premiers mois de cette présidence se sont bien déroulés. Les questions d'organisation, sous la conduite du Secrétaire Général pour la Présidence française de l'Union européenne, Claude Blanchemaison, sont je le crois bien maîtrisées et en tout cas, ce qui est important, c'est que je n'ai pas de remontée contraire.
Plusieurs échéances se présentent sur lesquelles je reviendrai, mais je voudrais, en évitant d'être trop long, cet après midi, dans la continuité de ce que vous ont indiqué le président de la République et Bernard Kouchner, insister sur deux points :
Le premier point c'est que nous devons continuer à peser et nous pèserons d'autant plus sur le projet européen et sur la place de l'Europe dans le monde que nous aurons atteint les objectifs de notre présidence. Je veux devant vous rejoindre le constat qui a été fait par cet attelage improbable constitué de Carl Bildt et de Jérôme Bonnafont, pour vous dire que l'Europe dispose de tous les atouts pour peser sur l'organisation internationale, elle l'a d'ailleurs démontré ces derniers jours, pour peu qu'elle sache s'organiser. Donc tout l'enjeu de la ratification du Traité de Lisbonne.
Le deuxième point, c'est que 2009 va être une année cruciale. La croissance faiblit en Europe et ailleurs. Le débat sur l'avenir des politiques communes va s'ouvrir dans ce contexte. La Commission et le Parlement européen seront renouvelés. Le groupe de réflexion présidé par Felipe Gonzalez va commencer ses travaux. La question de l'élargissement restera sensible ainsi que celle de la nature de notre partenariat avec les grands acteurs de la scène internationale, que se soient les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, le Brésil, et bien sûr la Russie, pour ne citer que les plus importants, et l'échec des négociations de l'OMC montrent que dans ce cadre les accords entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Europe ne suffisent plus.
Premier point : notre présidence après ces deux premiers mois.
- Tout d'abord, je voudrais souligner que le rejet par les Irlandais le 12 juin dernier du Traité de Lisbonne ne nuit pas à la mise en oeuvre de nos priorités dans la mesure, il faut le rappeler, où celles-ci ont été arrêtées à traité constant. Donc il n'y a pas de modification en ce qui concerne la mise en oeuvre de ces priorités. Nous ne sommes pas entravés par ce rejet. En ce qui concerne l'attitude à adopter par rapport à nos amis irlandais, je crois qu'elle est guidée par deux principes qui ont été soulignés par le président de la République, par Bernard Kouchner : il appartient à l'Irlande au terme d'un débat politique interne et d'une étroite concertation avec la présidence et tous ses partenaires de l'Union, de proposer une voie commune, qui n'engagera pas à la rédaction d'un nouveau traité. Ce choix a été mûri et pesé et c'est l'objectif que nous nous fixons et que nous devons nous fixer d'ici la fin de l'année. Je note qu'aujourd'hui vingt-quatre des vingt-sept Etats membres ont approuvé le Traité de Lisbonne et que les responsables irlandais sont conscients qu'il ne faut pas rester passif mais proposer une méthode et une solution. Nous devons faire preuve de volontarisme et ne pas laisser faire le temps, en concertation avec nos amis irlandais.
- Le premier grand rendez-vous de notre présidence a été le Sommet de l'Union pour la Méditerranée, le 13 juillet dernier, qui s'est avéré un grand succès diplomatique. Il a permis de lancer un partenariat renforcé autour de projets concrets et de réactiver les efforts de paix dans la région. La réunion des ministres des Affaires étrangères à Marseille, en novembre prochain, permettra de préciser l'organisation de cette nouvelle Union.
- Comme vous le savez, je ne m'appesantirai pas, mais l'action de la Présidence française de l'Union européenne a été saluée par tous nos partenaires lors de la guerre entre la Russie et la Géorgie, intervenue le 7 août, alors que des sensibilités différentes, légitimes compte tenu de l'histoire, existaient encore, au sein des Vingt-sept, comme pour le Kosovo. Ce qui est important de souligner c'est que, grâce à cette action, et en relation avec l'OSCE et son président, le ministre finlandais, M. Stubb, l'Union européenne à vingt-sept a ainsi démontré qu'elle pouvait agir et être un acteur à part entière et ne pas se contenter de déclarations. L'objectif essentiel du Conseil européen de lundi sera de démontrer l'unité de l'Europe et notre capacité à agir, en dosant nécessité du dialogue et nécessité de la fermeté à l'égard de la Russie. Inutile de le dire, d'autres l'ont dit avant moi, que cela ne sera pas aisé.
- Sur nos priorités, vous aurez demain l'ensemble des ministres impliqués qui viendront vous les rappeler. Vous les connaissez déjà.
1) Sur le paquet Energie et Climat, il faut convaincre chacun des Etats membres de contribuer au compromis souhaité dans un esprit de solidarité. Nous devons pouvoir concilier à la fois la nécessaire préservation de la base industrielle européenne avec un nouveau mode de croissance et une exemplarité de la part de l'Europe dans les futures négociations internationales de 2009, notamment lors de la Conférence de Copenhague.
Les débats que vous aurez seront aussi l'occasion dans les différentes enceintes d'aborder les questions soulevées par le rapport de Claude Mandil, que vous entendrez demain, et qui sont au coeur de la politique énergétique et des relations que l'Union doit avoir avec les pays principalement producteurs d'énergie fossile.
2) La seconde priorité c'est le pacte sur l'immigration et l'asile. Bernard Kouchner a dit ce qu'il fallait en dire, vous entendrez également cet après-midi Brice Hortefeux. Je crois que nous avons progressé là aussi dans le cadre du Conseil du 24 juillet et qu'il y a un très large accord entre partenaires sur cette politique respectueuse de notre tradition humaniste et des valeurs européennes.
3) Troisième priorité, c'est tout ce qui a trait au bilan de santé de la PAC. Un accord politique a été enregistré, là aussi, sur les mesures d'urgence proposées par la Commission le 8 juillet dernier et destinées à faire face à la crise d'un certain nombre de secteurs, dont la pêche. Nous aurons également, Michel Barnier le soulignera, à entamer les travaux sur la proposition de la Commission d'attribuer un milliard d'euros à la sécurité alimentaire mondiale, et à faire en sorte de conserver l'ambition politique qui est la notre en ce domaine. Nous devrons aussi, là encore notre rôle est important, poursuivre les négociations sur les accords de partenariat économique avec les pays ACP.
Je note enfin que, sous notre présidence, l'Union européenne s'est montrée vigilante sur la défense de ses intérêts, à l'OMC, tout en ayant fait, je le rappelle, les efforts de compromis les plus importants.
4) J'en viens à ce qu'est notre 4ème priorité, nos propositions en matière de défense et de sécurité qui visent à renforcer nos capacités civiles et militaires de planification et de conduite d'opérations. Nous devons progresser au niveau européen en matière de renseignement, de capacités de projection, de contrôle satellitaire, de surveillance maritime, de gestion de crise, aussi, comme les évènements récents l'ont montré et améliorer l'efficacité de la dépense en mutualisant certains moyens. Nous devons aussi dynamiser le marché européen des industries de défense et relancer les efforts de recherche et développement de l'Agence européenne d'armement.
Cet effort est à mes yeux indissociable de la rénovation de notre relation avec l'OTAN : le renforcement de la Politique européenne de Sécurité et de Défense est en effet le préalable nécessaire et complémentaire à la réintégration de la France dans les structures de l'Alliance atlantique. La Politique européenne de Sécurité et de Défense ne doit pas se fondre dans l'OTAN. Dans la gestion des crises, l'Union européenne ne doit pas être cantonnée à des tâches civiles mais disposer de l'ensemble de ses capacités, y compris sur le plan militaire.
5) Nous devrions enfin également aboutir à un accord que nous espérons ambitieux en matière de mobilité des jeunes Européens avec l'objectif, conformément au voeu du président de la République, de faire de la mobilité des jeunes en Europe "la règle et non plus l'exception". C'est aujourd'hui encore trop souvent le cas. Il y a une grande réussite du programme ERASMUS mais ce programme reste, sur le plan quantitatif et au regard de la population des jeunes européens, très limité et nous souhaitons qu'il soit démocratisé et élargi et que les programmes de mobilité, je pense aussi à LEONARDO, soient davantage étendus aux jeunes apprentis.
- Enfin dernier point sur cette présidence, c'est que nous avons souhaité et plusieurs d'entre vous ont insisté sur ce point ce matin, notamment en faisant référence à la communication, faire en sorte que cette présidence soit un rendez-vous véritablement citoyen en donnant toute sa place à la dimension culturelle et au débat d'idées, en travaillant en amont et de manière très étroite avec la société civile dans sa diversité, que se soit les associations, les organisations non-gouvernementales, les "think tanks", ou les entreprises, et en coopérant aussi avec les médias sur la pédagogie européenne.
Il y a un très vif intérêt pour le programme de débats citoyens "Paroles d'Européens" avec, notamment pour ce qui concerne les semaines à venir, les "Journées civiques européennes" de La Rochelle les 4-5-6 septembre prochains, le "Forum européen des Think tanks" à Paris en septembre, ainsi que la "Rentrée des Européens" à Nantes, en octobre, avec les membres du comité animé par Felipe Gonzalez et plusieurs centaines de jeunes venus de toute l'Europe pour réfléchir à l'avenir du continent.
Je sais que vous êtes tous et toutes très mobilisés, et pas seulement dans l'Union, notamment en organisant des débats publics "Penser l'Europe" autour d'intellectuels des différents Etats membres et de ceux qui, au-delà, s'intéressent à l'Union européenne.
Cette dimension citoyenne de notre action devra se poursuivre après notre présidence car nous savons que nos opinions continueront à s'interroger sur le projet européen, ses frontières, ses valeurs, dans un contexte marqué par le non irlandais et la crise économique.
Tous ces premiers résultats de la présidence sont le fruit d'une action collective avec l'ensemble de nos partenaires et des institutions communautaires, au premier chef la Commission et le Parlement européen. A cet égard, j'ai été particulièrement frappé de l'importance fondamentale d'un dialogue constant avec le Parlement et je remercie Günter Gloser, en compagnie duquel j'ai eu l'occasion de me rendre à Strasbourg, d'avoir attiré mon attention sur la place que cette relation privilégiée avec le Parlement européen avait eue dans la réussite de la présidence allemande de 2007. Bien évidemment, sur tous les grands sujets, une concertation étroite avec nos amis allemands est essentielle pour réunir les conditions d'un compromis européen, avec toujours pour seul objectif, celui de servir l'intérêt général de l'Union.
Ce jeu collectif, cette ambition européenne, cette volonté politique et cette détermination, nous devons également les mettre au service de nos orientations d'avenir.
- A partir du 1er janvier 2009, la République tchèque puis la Suède, vous l'avez entendu, vont exercer la présidence du Conseil de l'Union européenne. Les deux ministres viennent de vous exposer leurs orientations. Vous avez pu constater des nuances, ou des préoccupations parfois divergentes. Ce n'est pas une surprise. Il y a là, bien évidemment, une diversité, je crois que ce qui est important c'est, comme l'a souligné le ministre Schwartzenberg, de faire en sorte que sur dix-huit mois nous assurions une continuité avant la stabilité que nous promet le Traité de Lisbonne. Cette continuité est nécessaire, qu'il s'agisse de la lutte contre le changement climatique, de la politique énergétique, du renouvellement de la stratégie de Lisbonne, ou encore du nouveau programme quinquennal pour l'espace de liberté, de sécurité et de justice.
- Et ces présidences auront à gérer une année 2009, je l'ai dit, qui s'annonce difficile notamment sur le plan économique marqué par un ralentissement certain. Cette situation va redonner force au débat sur la capacité de l'Europe à absorber et à réagir aux chocs économiques et à soutenir la croissance. A court terme, nous devons proposer des solutions pour accommoder la crise et dans ce cadre, le rétablissement de la confiance dans les marchés financiers est une priorité et appelle une régulation plus efficace ainsi qu'une moralisation des comportements : il n'y aura pas d'économie européenne forte sans un système financier européen solide, davantage au service de l'investissement que de la spéculation. Il n'y aura pas d'institutions financières pérennes sans des contrôles efficaces et une meilleure coordination européenne dans la supervision des acteurs financiers et de leurs comportements. Aujourd'hui, au sein de l'Union, on ne part pas d'une situation zéro ou de rien, un dialogue a déjà lieu tous les mois entre les ministres de l'Economie et des Finances sur la situation économique. Au sein de l'Eurogroupe, les ministres des Finances de la zone euro dialoguent chaque mois avec le président de la Banque Centrale Européenne. Mais il faut aller au-delà. Faire en sorte que les réformes qui, comme l'a rappelé le président de la République, continuent en France à un rythme soutenu, aillent dans le même sens et demeurent intenses pour accroître les performances de l'économie européenne. L'approfondissement des échanges, et notamment du dialogue avec la Banque centrale européenne, apparaît aussi nécessaire puisque les principaux problèmes que nous avons sont liés au crédit. Le premier mal dont nous souffrons aujourd'hui, c'est un risque de contraction déjà avérée et un renchérissement du crédit qui nuit, plus que tout, à la reprise, et ce quelque soit les pays, même si certains sont plus touchés que d'autres, (je pense bien évidemment à l'Espagne, je pense aussi, dans une moindre mesure, au Royaume-Uni).
Mais il est clair que si nous souhaitons qu'il y ait un dialogue beaucoup plus fort avec la Banque centrale européenne, nous ne devons pas nous leurrer. Seul le respect des règles européennes, notamment dans le domaine budgétaire, renforcera notre crédibilité et notre capacité à être une force de proposition.
- 2009, cela a été rappelé par MM. Schwartzenberg et Bildt, sera aussi l'occasion d'entrer dans le vif du sujet concernant le débat sur l'avenir des politiques communes. Si nous avons placé l'énergie et l'environnement, la politique migratoire, la politique agricole commune et la défense et la sécurité au coeur de nos priorités, ainsi que le renforcement de l'action extérieure de l'Union, c'est que ces politiques constituent sans doute celles qui devraient, à terme, rassembler la plus grande part des financements communautaires. De ce point de vue, nous ne serons pas crédibles si nous plaidons pour de nouvelles politiques communes, sans être clairs sur les moyens de les financer. Nous devrons rapidement, sur le plan interne, être au clair sur les paramètres financiers de la négociation qui vont être très différents de celle qui a eu lieu en 2005, puisque nous allons devenir contributeur net de la PAC et qu'à la fin de la période, avec l'Allemagne, nous serons les premiers contributeurs nets globaux de l'Union européenne. Nous devons préparer cette négociation à Bruxelles en ayant déjà clarifié nos objectifs. Pour ma part et à titre personnel, je considère que nous ne pourrons maintenir les efforts engagés dans les domaines de la politique agricole commune et des fonds structurels qu'à condition que les interventions soient mieux ciblées et plus en ligne avec nos objectifs de compétitivité et d'emploi définis par la stratégie de Lisbonne. Si nous considérons, par ailleurs, qu'il faut développer les politiques d'avenir, ce que je crois, qu'il s'agisse de l'espace, de l'armement, de l'énergie, de la recherche, de la dimension extérieure de l'Union, je ne vois pas d'autre solution, je vous le dis franchement, que de trouver des ressources nouvelles afin que le budget communautaire soit à la hauteur des défis qui attendent l'Union européenne et qu'elle puisse ainsi se prémunir contre les risques d'affaiblissement, certes relativisés par Jérôme Bonnafont, mais qui existent quand même, ne serait-ce qu'à titre transitoire par rapport à nos grands partenaires.
- Il nous faut aussi être clairs sur un autre sujet, qui est la dimension sociale de l'Europe. Sur ce point ma conviction est faite depuis longtemps, rien ne sert de s'agiter en disant et en répétant "Europe sociale, Europe sociale". Tout le monde est certainement "pour" renforcer la dimension sociale de l'Europe, c'est clair. Mais nous ne devons pas nous mentir à nous même, nous ne ferons jamais partager à nos partenaires l'idée que l'Union européenne doit être une copie du modèle français, si modèle il y a, et ce, quelle que soit leur sensibilité politique. En revanche, il est clair qu'il y a un déficit de l'Europe sociale et c'est une des causes de la désaffection des peuples. Les propositions qui ont été formulées par Laurent Cohen-Tanugi ou par Bernard Bruhnes pour renforcer la dimension sociale de la stratégie de Lisbonne ou élargir notre conception de l'Europe sociale en y intégrant la flexisécurité, la solidarité entre les générations ou la mobilité, comme je l'ai dit, doivent être soutenues, de même que les projets de Martin Hirsch et de Xavier Bertrand, d'étendre le Revenu de solidarité active au niveau européen, même si, sur les modalités de financement, il y a bien sûr de la diversité. Celles qui ont été retenues en France me conviennent, inutile de le dire, parfaitement.
- J'en viens à un sujet très important pour l'avenir de l'Union, très délicat pour nos opinions publiques, mais sur lequel nous ne pouvons pas faire l'impasse, c'est celui de l'élargissement.
Notre crispation autour de cette question est récente. Elle ne s'est pas manifestée dans les débuts de la construction européenne et, dans un premier temps, l'élargissement a été considéré, pour reprendre les termes de René Rémond, comme "un acquis, une ouverture et un enrichissement". Je suis convaincu que c'est toujours le cas. Je suis convaincu, à la lumière des derniers évènements que le fait d'être à vingt-sept, ne résout pas tous les paramètres de la crise actuelle, mais en tout cas facilite la recherche d'une solution. Imaginez la situation dans lequel nous serions dans le cadre d'une Europe toujours divisée.
Ma conviction est que l'élargissement est souhaitable. Avec les récentes adhésions, nous nous rapprochons de la réunification du continent européen. Il est abusif de prétendre que, parce que nous sommes vingt-sept, cela fonctionne moins bien alors que, nous le voyons aujourd'hui, l'Union européenne à vingt-sept s'est affirmée comme un acteur incontournable dans la crise entre la Géorgie et la Russie et on ne peut pas vouloir d'un côté davantage de stabilité sur le continent européen, ce qui est je crois voulu par tout le monde, bénéficier de plus grandes opportunités économiques, et, de l'autre, refuser ou renâcler à l'élargissement.
Je pense naturellement aux pays des Balkans : l'un des objectifs du Traité de Lisbonne est de permettre à l'Union européenne d'accueillir de nouveaux membres dans les meilleures conditions : le fait que la Croatie entre maintenant dans la phase finale des négociations montre la voie à la Serbie qui, au cours des derniers mois, a résolument fait le choix de l'Europe.
Mais je sais que la question de l'élargissement reste sensible, que certaines questions demeurent ouvertes :
- Quel objectif assigner aux négociations engagées avec la Turquie, que nous poursuivons sous Présidence française de manière responsable et impartiale ? Pour ma part, je crois que chacun voit ce que ce pays représente dans la crise que nous traversons aujourd'hui, dans les relations avec la Géorgie, sur l'approvisionnement énergétique, ce que ce pays représente au sein de l'OTAN, dans les relations entre l'OTAN et la Politique européenne de Sécurité et de Défense, ce que ce pays représente dans les relations avec le Proche et le Moyen-Orient, ce que ce pays représente dans le dialogue des civilisations et aussi ce qu'il représente, il faut bien le dire, en ce qui concerne le symbole d'une économie émergente et d'une puissance émergente aux portes de l'Europe.
- Nous devons également apporter une réponse aux aspirations de nos autres voisins européens : l'Ukraine, la Moldavie et, le moment venu, bien évidemment, la Géorgie, à travers des partenariats renforcés, adaptés à la spécificité de chacun.
- Au-delà, nous devons aussi poursuivre, sur la lancée de la Présidence allemande, la mise en place d'une véritable stratégie de l'Union européenne à l'égard de l'Asie centrale et je remercie Pierre Morel de nous avoir sensibilisés à cette oeuvre importante.
Notre politique devra mêler, en matière d'élargissement, un critère géographique - qui n'est toutefois pas suffisant - et une référence à l'idée que l'on se fait de l'Europe, c'est à dire de son identité et de ses valeurs et à la nécessité de bâtir des ponts.
En tout état de cause, avec le président de la République, avec Bernard Kouchner, avec le concours des parlementaires et des présidents ici présents, nous avons fait évoluer notre positionnement : après la révision de l'article 88-5 de la Constitution, comme vous le savez, que j'avais appelé de mes voeux et défendu, nous sommes sortis du carcan du référendum automatique. C'est un progrès pour développer une véritable pédagogie de l'élargissement.
- Nous aborderons et vous le ferez cet après-midi, la question de nos relations aussi avec nos grands partenaires. Pour ma part, je voudrais insister sur le rôle de l'Union européenne vis-à-vis des pays émergents, au-delà de la Présidence française qui aura connu dix sommets entre l'Union et les pays tiers, que ce soit la Méditerranée, l'Afrique du Sud, l'Ukraine, l'Inde, le Canada, la Corée du Sud, l'Asem, la Russie, la Chine, le Brésil). Il faudra continuer à considérer, nous verrons ce qu'il en est en ce qui concerne la Russie, ces pays comme des partenaires à part entière. L'échec des dernières négociations à l'OMC, je l'ai dit, appelle à une redéfinition des relations commerciales bilatérales de l'Union avec ses principaux partenaires. Les questions commerciales, monétaires, mais aussi les questions de propriété intellectuelle, d'environnement, les questions énergétiques ne pourront trouver une réponse qu'au travers d'un dialogue soutenu avec tous ces pays. L'OCDE ou le G8 élargi peuvent y contribuer, mais il va de soi que l'Union européenne doit être plus active dans ce domaine.
Vous voyez, Chers Amis, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, que le chantier européen demeure vaste, qu'il demeure propice à l'action et à l'imagination. Le président de la République l'a rappelé, plus le contexte est difficile, plus il faut faire preuve d'initiatives, témoigner de volontarisme, agir et ne pas subir. Le projet européen doit être vivant, sans cesse actualisé, comme cela a été souligné.
Tout cela sera au coeur des travaux confiés au Comité de réflexion présidé par Felipe Gonzalez qui sera aussi l'occasion de remettre le citoyen au coeur du projet européen.
Les seize mois que nous avons déjà passés ensemble m'ont convaincu que le ministère des affaires étrangères et européennes a un rôle prépondérant à jouer, que c'est dans le domaine européen qu'il peut le mieux affirmer sa vocation interministérielle. Chacun de nous doit être pleinement mobilisé, pas seulement sur les priorités de notre présidence. Vous devez également faire comprendre que notre action est concertée, collective, respectueuse des procédures communautaires et de l'intérêt général européen. C'est dans cet esprit que, là où vous êtes, et en fonction de vos responsabilités, vous devez agir, expliquer, faire comprendre et c'est en ce sens que vous pourrez nous aider.
Merci beaucoup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 septembre 2008