Texte intégral
Monsieur le Ministre, cher Luc,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est un très grand honneur, pour moi, de participer à ce débat aux côtés de tels experts des questions agricoles, d'analystes aussi pertinents et renommés des grandes questions de société. En tant que chef d'entreprise, je suis de surcroît particulièrement heureux de m'exprimer au sein des universités d'été du Mouvement des entreprises de France.
Le Monde a faim, cette situation n'est pas nouvelle. Quand on aborde la question de la faim on aborde l'histoire de l'un des trois grands fléaux de l'humanité depuis ses origines. Rappelons-nous cette litanie médiévale "A peste, fame, bello, libera nos domine" ("De la maladie, de la faim, de la guerre, libère-nous seigneur").
Les manifestations de populations urbanisées dans les pays en voie de développement, ce que l'on a appelé "les émeutes de la faim" au plus fort de la couverture médiatique de ces événements, ont focalisé l'attention des commentateurs. Mais ces manifestations, points d'orgue d'une crise particulièrement aiguë, ne doivent pas nous faire oublier le caractère structurel de la faim : 854 millions de personnes, soit 15% de la population, souffrent de la faim dans le monde. 96% d'entre elles habitent dans les pays en voie de développement et les trois quarts sont des ruraux. Il y aujourd'hui 6 milliards d'habitants sur notre planète. Nous serons 9 milliards en 2050 : il nous faudra mécaniquement augmenter la production agricole de 50% à cette échéance.
Je ne développerai pas ici les causes de cette réalité qui ont largement été évoquées par les intervenants précédents. Je vous propose de vous exposer les propositions du gouvernement et les perspectives qu'elles ouvrent.
Dans notre société moderne et démocratique, la mission du politique est double. Elle consiste d'une part à répondre aux crises quand elles surviennent, mais aussi, et surtout, à proposer et à mettre en oeuvre des solutions qui apportent des réponses pérennes aux grands enjeux de notre société. De surcroît, dans notre monde globalisé d'aujourd'hui, dans lequel les interdépendances entre Etats et continents s'accentuent, le politique doit oeuvrer en concertation et en synergie avec ses partenaires étrangers, dans l'intérêt de la communauté internationale et dans l'intérêt de son pays et de ses compatriotes. Dans cette perspective, il est fondamental que le politique puisse bénéficier de l'éclairage des scientifiques et des experts, notamment dans un dossier aussi complexe que celui qui nous réunit aujourd'hui.
L'Afrique est à 14 kilomètres de l'Europe... C'est sur ce continent que le problème de la faim se pose de la manière la plus aiguë.
Par conséquent, la question de la faim dans le monde recèle des enjeux stratégiques pour notre pays et pour l'Union européenne, dont je vous rappelle que la France assure la présidence jusqu'à la fin de cette année.
Pour répondre à l'urgence de la crise alimentaire de cette année, la France, par la voix de Nicolas Sarkozy, a décidé de doubler son aide alimentaire en la portant à 60 millions d'euros.
Mais au-delà des réponses de nature conjoncturelle, c'est pour apporter des réponses structurelles que le président de la République a lancé des propositions à Rome, le 3 juin dernier, pour rendre plus efficace la mobilisation et l'action internationale sur les moyens et long termes. Depuis, ces propositions font leur chemin. De nombreuses discussions au plus haut niveau ont eu lieu avec les agences internationales et dans le cadre européen. Le G8 de Toyako a adopté une résolution qui va dans le bon sens. De la réunion d'un groupe d'expert du G8 à Tokyo, le 12 septembre, puis de l'Assemblée générale des Nations unies à New York, le 22 septembre, nous espérons voir naître un partenariat mondial pour l'alimentation et l'agriculture ouvert à une pluralité d'acteurs : Etats du Nord et du Sud, secteur privé et société civile.
Ce partenariat s'appuiera sur 3 piliers :
- un groupe international sur la sécurité alimentaire qui regroupera, nous le souhaitons, l'ensemble des parties prenantes en matière de sécurité alimentaire (institutions internationales, ONG, organisations professionnelles agricoles, communautés scientifiques et financeurs). Ce groupe serait le garant de la cohérence globale des décisions et des engagements pris sur les questions relatives à la sécurité alimentaire du monde. La Task Force des Nations unies pour la sécurité alimentaire en assurerait le secrétariat ;
- un panel/groupe international d'expertise sur la sécurité alimentaire (GIESA), pendant alimentaire du GIEC dédié au climat. Les conclusions de cette plate-forme de synthèse des connaissances scientifiques à la composition multidisciplinaire seront rendues publiques ;
- enfin, une Facilité mondiale pour la sécurité alimentaire. Cette facilité financière permettra l'amélioration de la sécurité alimentaire et de l'état nutritionnel à tous les niveaux (ménages, local, national et régional) par le renforcement des filières agricoles fondées sur les exploitations familiales et des dispositifs de proximité pour la prise en charge des populations vulnérables à la malnutrition. Elle interviendra à deux niveaux :
- en soutenant des partenariats entre acteurs privés et publics au service de projets innovants ayant un impact de moyen et long termes sur la sécurité alimentaire (complémentaires des aides d'urgence nécessaires pour juguler les tendances actuelles) ;
- en contribuant à l'amélioration de l'environnement institutionnel, politique et du climat d'investissement.
Cette facilité mondiale pour la sécurité alimentaire est une innovation majeure. Légère dans sa gouvernance, réactive et flexible, elle serait gérée par le FIDA (Fonds international pour le Développement de l'Agriculture) et elle répondrait à des demandes de subventions émanant des pays les plus vulnérables, présentées par les Etats, les ONG ou les organisations professionnelles agricoles.
Au niveau bilatéral, l'Agence française de développement consacrera 1 milliard d'euros au développement rural dans les 5 ans selon une triple approche :
- accompagner l'élaboration de politiques agricoles concertées,
- contribuer à une croissance durable et équitable en zone rurale,
- promouvoir le développement et la gestion équilibrée des territoires ruraux.
Vous le voyez, le gouvernement a mis en oeuvre des réponses aux difficultés conjoncturelles que nous connaissons et a pris à bras le corps le traitement de ce problème de long terme en s'efforçant de traiter les causes structurelles de la faim dans le monde.
A cet égard, la Commission européenne a proposé de prélever 1 milliard d'euros complémentaire sur le budget de la PAC pour répondre à la crise alimentaire. La France, en tant que présidente en exercice de l'Union européenne, plaide pour que l'utilisation de cette somme se fasse au service de politiques de moyen et long termes permettant une véritable structuration de filières agricoles. Pour la France, cette initiative représente un effort financier de 174 millions d'euros.
Mesdames, Messieurs,
La crise alimentaire à laquelle sont confrontés certaines régions du monde est une crise de l'accès à la nourriture, plus qu'une crise de l'offre. Il nous faut, pour résorber la faim de manière pérenne, développer l'économie des pays du Sud, augmenter les revenus des ménages, notamment urbains, de ces pays, tout en nous efforçant d'imaginer des formes de régulation internationale qui permettent de lisser les variations de prix sur les marchés.
Dans cette perspective, je vous rappelle que la France dans le cadre des négociations de l'OMC défend résolument le principe d'une exception alimentaire.
Produire plus pour faire face à l'accroissement de la demande est nécessaire mais pas suffisant. La question de la sécurité alimentaire n'est donc pas qu'une question agricole mais aussi une question économique, sociale, sanitaire, juridique et doit par conséquent être traitée selon une approche multi-sectorielle. Les pays du Sud ont aujourd'hui besoin d'une véritable "révolution agriculturelle", selon l'excellente expression de Mireille Guigaz, ambassadeur de France auprès de la FAO, du PAM et du FIDA.
Au mois de juin dernier, j'ai lancé 8 grands chantiers pour l'Afrique. Cette redéfinition des contours de l'action de notre pays auprès de nos partenaires africains, baptisée "Cap 8", comporte un chantier directement dédié à la relance de l'agriculture. Cette nouvelle politique africaine comporte aussi des actions qui contribueront indirectement à l'émergence d'une agriculture africaine solide et pérenne. Par exemple, les chantiers dédiés au soutien de la croissance, à l'augmentation de la part des ONG dans l'aide bilatérale, au triplement des volontaires internationaux et à la valorisation du rôle des femmes dans l'économie contribueront à relance et à la consolidation du secteur agricole en Afrique.
De même, le développement des infrastructures routières, des équipements hydrauliques, barrages et irrigation, que j'ai pu apprécier au Sénégal, et l'appui à une meilleure gestion de l'eau, dont j'ai pu mesurer l'importance lors du sommet de l'Autorité du Bassin du Niger, à Niamey, sont des facteurs déterminants de lutte contre la faim.
Lors de mes voyages en Afrique, j'ai rencontré des entrepreneurs dans le secteur agricole qui réussissent, qui procurent par leurs initiatives des revenus pour des familles et qui contribuent à la croissance agricole et économique de leur pays.
Vous savez l'importance que j'attache à l'investissement des entreprises et notamment des PME françaises en Afrique. Je dois vous avouer que je suis ébahi du potentiel d'investissement que j'ai pu constater en Afrique au cours de mes voyages. Ce potentiel existe particulièrement dans le secteur agroalimentaire qui est un domaine d'excellence de nos entreprises.
En effet, favoriser l'augmentation des revenus des exploitations familiales en Afrique, c'est favoriser l'émergence de filières agricoles et agroalimentaires. L'augmentation des cours des produits agricoles n'est pas qu'une mauvaise nouvelle. Elle peut aussi être l'occasion de faire décoller l'agriculture africaine en augmentant les revenus des agriculteurs, en créant des emplois, de la richesse. Parallèlement, ce mouvement peut être aussi, par les besoins qu'il induit, l'occasion de développer les infrastructures dans les pays du Sud. Bref, prendre à bras le corps la crise d'aujourd'hui peut nous permettre de créer des marchés importants et diversifiés.
Les initiatives de la France tant au niveau national, européen, qu'international et les objectifs de la France dans le cadre de la négociation des APE, peuvent nous permettre d'engager le cercle vertueux de la croissance et du développement. Il y a là pour les entreprises françaises des perspectives d'investissement à fort rendement compte tenu de leur expertise.
Comme je le réaffirmais il y a deux jours à des entrepreneurs français en Afrique, le ministère des Affaires étrangères et européennes est votre partenaire résolu dans les initiatives que les entreprises françaises mènent et mèneront dans les pays du Sud au service du développement économique.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er septembre 2008