Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur la politique commune d'immigration de l'Union européenne, à Bruxelles le 11 septembre 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Rencontre interparlementaire sur le thème "Europe : migrations et intégration", à Bruxelles le 11 septembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Président du Parlement européen,
Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,
Mesdames et Messieurs les Présidents et Présidents de commissions,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Je suis honoré d'avoir été invité à intervenir à l'occasion de ce débat interparlementaire sur les migrations et l'intégration.
La présence conjointe de parlementaires européens et de parlementaires nationaux est une heureuse illustration des bénéfices d'une meilleure coopération entre vos institutions.
Prendre la mesure de la diversité des opinions et des sensibilités nationales et jeter les bases d'un dialogue renforcé est particulièrement indispensable sur les sujets des migrations et de l'intégration, qui soulèvent des débats aussi passionnés que nécessaires, et sur lesquels la bonne conjugaison entre actions au niveau communautaire et au niveau national doit être trouvée.
Comme vous le savez, la Présidence française du Conseil a proposé de faire de ce sujet l'une de ses quatre grandes priorités. De façon générale, notre action s'inscrit pleinement dans la philosophie de l'Approche globale des migrations définie en décembre 2005, et étendue en juin 2007 de l'Afrique à l'Europe du sud-est, mais également dans l'esprit de la communication de la Commission de juin dernier.
Il s'agit de concrétiser le développement d'une politique commune de gestion globale et concertée des migrations, que ce soit au sein de l'Union européenne ou entre l'Union européenne et les pays d'origine et de transit.
I. Le "Pacte européen sur l'immigration et l'asile" sera un instrument essentiel de cette approche.
En effet, avec l'élargissement de l'espace Schengen, la gestion des flux migratoires devient une responsabilité commune : la politique menée dans un Etat a des effets chez tous les autres Etats membres.
Le projet de pacte se présente sous la forme de cinq grandes catégories d'engagements politiques auxquels, je l'espère, les chefs d'Etat et de gouvernement souscriront au Conseil européen d'octobre.
C'est la première fois que dans un même document de nature politique, les Etats membres abordent à la fois les questions traditionnelles de lutte contre l'immigration illégale et de contrôle des frontières, mais aussi les migrations économiques, l'asile et le développement.
Le premier élément mis en avant dans le Pacte est la préparation au défi de l'avenir que représente le vieillissement démographique et la diminution de la population active, et la nécessité, par conséquence, de développer les canaux de migrations économiques.
Sans migrants, la population totale dans l'Union européenne diminuerait de 52 millions pour s'établir à 447 millions en 2050. La politique d'immigration zéro n'existe pas. Il faut au contraire nous préparer, de façon coordonnée, à organiser l'immigration légale de façon ordonnée et responsable, en fonction de tous les besoins du marché du travail et de la volonté d'intégration de chaque Etat membre.
Je note d'ailleurs que le Parlement européen, dans sa résolution du 26 septembre 2007, s'est prononcé en ce sens et a préconisé de ne plus procéder par des régularisations générales et non concertées.
Une telle démarche rend également nécessaire une ambition forte en matière d'intégration, qui peut s'articuler sur la base de valeurs européennes communes et d'efforts significatifs en faveur de la construction de parcours professionnels, de formation linguistique et d'accès au logement, à l'emploi et à l'éducation. Ce sera l'objet d'une conférence qui se tiendra les 3 et 4 novembre prochains.
Les deux grandes orientations suivantes dans le Pacte sont le renforcement des contrôles aux frontières externes de l'Union et la lutte contre l'immigration illégale et les réseaux qui en tirent profit, en privilégiant, lorsque c'est possible, le retour volontaire et en renforçant Frontex. Mais il n'est pas question de faire de l'Europe une forteresse ou une machine aveugle à expulser.
Un quatrième élément consiste à bâtir une véritable Europe de l'asile. Je voudrais ici corriger des inexactitudes relayées par certains médias. Nous n'entendons en aucune manière priver de leurs droits les demandeurs d'asile. Le Pacte indique au contraire explicitement que le renforcement du contrôle aux frontières extérieures ne doit pas empêcher l'accès au territoire de l'Union européenne des personnes fondées à obtenir le statut de réfugié. Nous souhaitons que les statuts de réfugié et de bénéficiaire de la protection subsidiaire soient plus harmonisés et que, progressivement, les jurisprudences des Etats membres se rapprochent.
Les taux d'acceptation des dossiers varient trop fortement d'un Etat à un autre pour des demandes d'asile similaires. L'établissement d'un bureau d'appui européen en 2009, dont le principe a été approuvé lors de la conférence ministérielle qui s'est tenue au début de cette semaine, sera à cet égard un outil essentiel. Il associera le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies. Nous proposons également de favoriser la réinstallation des réfugiés dans l'Union, sur une base volontaire.
Enfin, dernier élément du Pacte, nous favoriserons une politique ambitieuse de développement en étroite concertation avec les pays d'origine.
Bernard Kouchner et Brice Hortefeux organisent à cet effet, en novembre prochain, une grande conférence euro-africaine sur la migration et le développement. Elle doit donner une impulsion nouvelle pour développer des axes d'action concrets, maximiser les bénéfices des migrations pour les pays de destination, les pays d'origine et les migrants eux-mêmes, en veillant en particulier à ne pas assécher le potentiel d'intelligence et de croissance des pays d'origine.
Dans cette perspective, nous proposerons par exemple de faciliter les transferts d'épargne vers ces pays et des actions de développement dans les domaines de la santé, de l'éducation et de la gouvernance. Nous proposerons également, sur la base des travaux préparatoires qui ont réuni experts européens et africains, d'identifier les secteurs en forte perte d'emploi, en vue de la mise en oeuvre de programmes euro-africains de dynamisation ou de protection de l'emploi, et d'intégrer le phénomène de fuite de cerveaux dans les documents nationaux stratégiques de développement économique et dans les documents de programmation de l'aide au développement.
II. Au-delà du Pacte, nous suivons très attentivement les travaux du Parlement européen et les observations des Parlements nationaux sur les propositions législatives de la Commission.
La "carte bleue", proposée par la Commission en septembre dernier, est un dispositif utile.
Aux Etats-Unis, il y a 3,2 % d'étrangers hautement qualifiés. Il y en a même 7,3 % au Canada. En Europe, nous ne disposons d'aucun mécanisme général et coordonné, alors que la taille de notre marché du travail est comparable à celui de ces deux pays. Nous serions perdants si nous ne mettions pas en place des mécanismes adaptés. L'Union européenne doit être attractive, et donner une image d'ouverture et de dynamisme.
La proposition est par ailleurs équilibrée. Elle est suffisamment flexible pour tenir compte de l'hétérogénéité des besoins du marché du travail dans les Etats membres.
Elle ne contribue par ailleurs en aucun cas à alimenter la "fuite des cerveaux", car l'accès au territoire européen est temporaire. Cependant ce phénomène existe et nous proposerons de mieux appréhender les secteurs dans lesquels il peut se manifester et de prendre les mesures nécessaires lors de la conférence euro-africaine.
Je me réjouis que le rapport de Mme Klamt et l'avis de M. Masiel soutiennent la proposition de la Commission et permettent d'envisager un travail fructueux avec le Conseil sur la carte bleue d'ici la réunion des ministres de fin novembre.
La directive sur les sanctions en matière de travail illégal est également un chantier important.
C'est un instrument qui confère une crédibilité à la démarche de lutte contre l'emploi illégal tout en évitant de sanctionner les travailleurs. Au contraire, elle favorise le recouvrement de leurs arriérés de salaires et de cotisations sociales.
Le Conseil sera heureux de pouvoir travailler avec M. Fava et Mme Bauer afin de dégager un accord, si possible en première lecture. Je ne vous cache pas cependant que les débats au Conseil restent difficiles sur la question de la base juridique, de l'opportunité des sanctions et des charges administratives pesant sur les entreprises et les inspections du travail, ainsi que de la responsabilité des sous-traitants.
Nous espérons que l'unanimité pourra être atteinte au Conseil sur la directive sur l'élargissement du statut des résidents longue durée, sur laquelle le Parlement européen s'est déjà prononcé sur le rapport de Mme Roure. Il est en effet indispensable d'harmoniser les droits des réfugiés et des bénéficiaires de la protection internationale, dans le souci de favoriser leur intégration.
La procédure unique qui permet de fusionner l'autorisation de travail et le permis de séjour sera un pas important vers la simplification administrative au profit des migrants économiques. Les discussions sont sur ce point moins avancées, et le travail à accomplir reste encore important. Il se poursuivra probablement sous Présidence tchèque.
Enfin, sur les instructions consulaires communes, nous avons bien pris en compte la position du Parlement européen en première lecture qui vient d'être votée le 10 juillet dernier en plénière sur le rapport de Mme Ludford. Nous ferons notre possible pour que les positions du Parlement européen et du Conseil se rapprochent pour un accord en seconde lecture dans un calendrier permettant le déploiement du système d'information sur les visas dans les délais prévus.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Nous avons, tous ici, la responsabilité de trouver les réponses et les compromis nécessaires pour faire avancer une Europe qui prépare son avenir et une Europe concrète, ouverte sur le monde et soucieuse de ses responsabilités.
Je suis persuadé que les Parlements nationaux et le Parlement européen travailleront ensemble pour préparer notre société de demain.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 septembre 2008