Texte intégral
L'Union doit repenser son modèle économique pour mettre la finance au service du développement.
Nous assistons à un tremblement de terre financier. Au train où vont les choses, nous allons vers une contraction sans précédent dans l'histoire du monde financier qui s'était éloigné de l'économie réelle. Cette évolution, sans doute inéluctable, et à certains égards saine, ne sera pas sans conséquence sur l'économie. Il apparaît que ce système capitaliste était vicié par construction, et ses acteurs n'ont pas corrigé le tir suffisamment tôt.
Première erreur : les faiblesses du contrôle des risques, avec des acteurs financiers ne maîtrisant pas les innovations introduites à un rythme accéléré par l'industrie financière. Deuxième erreur : la faiblesse de la gouvernance d'un système opaque qui prétendait s'autoréguler et que certains régulateurs, notamment anglo-saxons, n'ont pas voulu ou su brider dans ses excès.
Troisième erreur, enfin : la faiblesse éthique d'un modèle financier coupable d'avoir fermé les yeux sur une déresponsabilisation généralisée et des pratiques qui s'apparentent à une véritable délinquance financière. Comment qualifier en effet la vente à grande échelle de produits financiers complexes, réputés sans risque, dont la rentabilité reposait en réalité sur un segment du marché immobilier hautement spéculatif ? Nous pensions, après la crise Enron en 2001, que les acteurs financiers avaient compris l'importance de l'éthique.
Trois erreurs de trop qu'il faut maintenant corriger. Or je suis frappé du contraste entre l'éloge fait de la mobilisation européenne pour arrêter un conflit à nos portes et la critique faite à l'Europe d'être pour l'essentiel spectatrice de cette crise financière.
Soyons justes, cette accusation n'est pas fondée. L'Europe répond présent. La Banque centrale européenne (BCE) agit depuis un an en injectant des liquidités sur le marché interbancaire. Le Conseil Ecofin est mobilisé pour préparer les premières réponses communautaires afin de protéger nos pays des répercussions de cette crise. L'Union, sous l'impulsion de Christine Lagarde, prend part à la concertation internationale plus que jamais indispensable.
Mais le moment venu, il faudra aller plus loin. Devant cet ébranlement du monde financier, l'Europe doit se préparer à repenser son modèle économique et la place qu'elle entend accorder à la sphère financière. Les Européens doivent d'abord retrouver les principes qui sont au coeur de leur approche historique du développement économique et financier.
Ces principes sont communs à la plupart des Etats membres et définissent une réelle identité économique européenne. Quels sont-ils ? La transparence, la responsabilité, l'éthique, l'établissement de relations de confiance à long terme entre acteurs financiers et entrepreneurs et le rôle éminent des autorités publiques et des régulateurs, au niveau européen ou national, pour faire respecter, par tous, les règles du jeu. En clair, la finance est au service du développement économique et l'économie ne doit pas être dépendante de la sophistication des produits et de la spéculation financière.
Les Européens doivent ensuite s'engager dans une nouvelle étape de l'intégration économique et financière. Sans quoi un modèle financier proprement européen ne peut pas s'affirmer. C'est en réalité par manque d'intégration de ses marchés bancaires et financiers que l'Europe n'a pas pu atteindre la taille critique qui lui aurait permis de rivaliser avec les Etats-Unis pour attirer la masse des liquidités en provenance des puissances émergentes.
Sans la diplomatie de l'euro que je défends, les Européens se privent de tous les avantages que peut leur procurer une devise qui est déjà la deuxième monnaie de réserve mondiale. Les entreprises européennes doivent davantage libeller leurs contrats en euros. Sans une gouvernance économique et financière forte, les Européens ne pourront pas gérer efficacement les crises. Les Américains ont le courage de mener une purge salutaire tout en "nationalisant" quand il le faut, sous l'efficace férule des autorités fédérales et de la Banque centrale. Cela montre les limites de l'idéologie financière libérale et la nécessité d'un interventionnisme pragmatique.
Pour parer à toutes les éventualités, l'Europe, pour ce qui la concerne, doit se doter très vite : d'un système de régulation mieux structuré et intégré pour superviser des groupes de plus en plus transnationaux ; d'un mécanisme d'alerte précoce et de "conférences de consensus" réunissant les principaux acteurs financiers internationaux pour adopter des mesures d'urgence ; d'une régulation de proximité propre à mesurer précisément les risques encourus par tous les établissements financiers, bancaires ou non ; enfin, de normes comptables qui permettent une valorisation saine des actifs au lieu d'encourager spéculation et volatilité, comme ce fut le cas ces dernières années. Ces mesures sont notamment proposées par René Ricol dans le rapport qu'il a remis, le 2 septembre, au président de la République. C'est à ces conditions que l'Europe pourra rassurer et protéger épargnants et déposants. C'est cela qui est en cause. C'est pourquoi nous sommes tous concernés. C'est pourquoi il faut agir vite. Tout cela veut dire faire de la politique en Europe. Nous voulons faire partager cette conviction à nos partenaires, dès le Conseil européen d'octobre.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 septembre 2008
Nous assistons à un tremblement de terre financier. Au train où vont les choses, nous allons vers une contraction sans précédent dans l'histoire du monde financier qui s'était éloigné de l'économie réelle. Cette évolution, sans doute inéluctable, et à certains égards saine, ne sera pas sans conséquence sur l'économie. Il apparaît que ce système capitaliste était vicié par construction, et ses acteurs n'ont pas corrigé le tir suffisamment tôt.
Première erreur : les faiblesses du contrôle des risques, avec des acteurs financiers ne maîtrisant pas les innovations introduites à un rythme accéléré par l'industrie financière. Deuxième erreur : la faiblesse de la gouvernance d'un système opaque qui prétendait s'autoréguler et que certains régulateurs, notamment anglo-saxons, n'ont pas voulu ou su brider dans ses excès.
Troisième erreur, enfin : la faiblesse éthique d'un modèle financier coupable d'avoir fermé les yeux sur une déresponsabilisation généralisée et des pratiques qui s'apparentent à une véritable délinquance financière. Comment qualifier en effet la vente à grande échelle de produits financiers complexes, réputés sans risque, dont la rentabilité reposait en réalité sur un segment du marché immobilier hautement spéculatif ? Nous pensions, après la crise Enron en 2001, que les acteurs financiers avaient compris l'importance de l'éthique.
Trois erreurs de trop qu'il faut maintenant corriger. Or je suis frappé du contraste entre l'éloge fait de la mobilisation européenne pour arrêter un conflit à nos portes et la critique faite à l'Europe d'être pour l'essentiel spectatrice de cette crise financière.
Soyons justes, cette accusation n'est pas fondée. L'Europe répond présent. La Banque centrale européenne (BCE) agit depuis un an en injectant des liquidités sur le marché interbancaire. Le Conseil Ecofin est mobilisé pour préparer les premières réponses communautaires afin de protéger nos pays des répercussions de cette crise. L'Union, sous l'impulsion de Christine Lagarde, prend part à la concertation internationale plus que jamais indispensable.
Mais le moment venu, il faudra aller plus loin. Devant cet ébranlement du monde financier, l'Europe doit se préparer à repenser son modèle économique et la place qu'elle entend accorder à la sphère financière. Les Européens doivent d'abord retrouver les principes qui sont au coeur de leur approche historique du développement économique et financier.
Ces principes sont communs à la plupart des Etats membres et définissent une réelle identité économique européenne. Quels sont-ils ? La transparence, la responsabilité, l'éthique, l'établissement de relations de confiance à long terme entre acteurs financiers et entrepreneurs et le rôle éminent des autorités publiques et des régulateurs, au niveau européen ou national, pour faire respecter, par tous, les règles du jeu. En clair, la finance est au service du développement économique et l'économie ne doit pas être dépendante de la sophistication des produits et de la spéculation financière.
Les Européens doivent ensuite s'engager dans une nouvelle étape de l'intégration économique et financière. Sans quoi un modèle financier proprement européen ne peut pas s'affirmer. C'est en réalité par manque d'intégration de ses marchés bancaires et financiers que l'Europe n'a pas pu atteindre la taille critique qui lui aurait permis de rivaliser avec les Etats-Unis pour attirer la masse des liquidités en provenance des puissances émergentes.
Sans la diplomatie de l'euro que je défends, les Européens se privent de tous les avantages que peut leur procurer une devise qui est déjà la deuxième monnaie de réserve mondiale. Les entreprises européennes doivent davantage libeller leurs contrats en euros. Sans une gouvernance économique et financière forte, les Européens ne pourront pas gérer efficacement les crises. Les Américains ont le courage de mener une purge salutaire tout en "nationalisant" quand il le faut, sous l'efficace férule des autorités fédérales et de la Banque centrale. Cela montre les limites de l'idéologie financière libérale et la nécessité d'un interventionnisme pragmatique.
Pour parer à toutes les éventualités, l'Europe, pour ce qui la concerne, doit se doter très vite : d'un système de régulation mieux structuré et intégré pour superviser des groupes de plus en plus transnationaux ; d'un mécanisme d'alerte précoce et de "conférences de consensus" réunissant les principaux acteurs financiers internationaux pour adopter des mesures d'urgence ; d'une régulation de proximité propre à mesurer précisément les risques encourus par tous les établissements financiers, bancaires ou non ; enfin, de normes comptables qui permettent une valorisation saine des actifs au lieu d'encourager spéculation et volatilité, comme ce fut le cas ces dernières années. Ces mesures sont notamment proposées par René Ricol dans le rapport qu'il a remis, le 2 septembre, au président de la République. C'est à ces conditions que l'Europe pourra rassurer et protéger épargnants et déposants. C'est cela qui est en cause. C'est pourquoi nous sommes tous concernés. C'est pourquoi il faut agir vite. Tout cela veut dire faire de la politique en Europe. Nous voulons faire partager cette conviction à nos partenaires, dès le Conseil européen d'octobre.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 septembre 2008