Conférence de presse de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur le sida en Afrique, les laboratoires pharmaceutiques et le procès qu'ils intentent contre l'Afrique du Sud et l'action que le PCF se propose de prendre pour lutter contre le sida et la pratique commerciale des laboratoires, Paris, le 12 avril 2001.

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Circonstance : Conférence de presse de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur le sida en Afrique, à Paris, le 12 avril 2001

Texte intégral

En préparant cette conférence de presse, j'ai relu quelques discours du Président Nelson Mandela. Lors de son investiture à la Présidence de la République, le 10 mai 1994, il s'adressait en ces termes au monde: "Nous espérons que vous continuerez à rester près de nous et à relever le défi de la construction d'une société de paix, de prospérité, antisexiste, antiraciste et démocratique".
Sept ans après que Nelson Mandela ait prononcé ces mots, j'ai envie de répondre simplement: nous sommes là, nous sommes toujours là.
Parce que si l'apartheid raciste est tombé, d'autres formes de ségrégation, de discrimination, sont apparues. Les inégalités ont explosé. Et l'Afrique y est au coeur.
36 millions de personnes sont atteintes du virus du Sida, dont 25 millions en Afrique. Seules 5 % de ces personnes ont accès aux traitements anti-VIH. 12 millions d'Africains sont morts du Sida. Et les perspectives sont terrifiantes.
On craint tout simplement qu'un tiers des adolescents de ce continent meurent du sida (dont 2/3 seront des filles).
Dans les pays les plus touchés, le sida va faire baisser l'espérance de vie de vingt ans en moyenne, ces prochaines années.
Devant un tel drame, se dresse un cynisme criminel en disant cela, je pense à l'attitude scandaleuse des grands groupes pharmaceutiques qui non seulement refusent de soutenir ce continent pour combattre un tel fléau, refusent de produire à des prix raisonnables les médicaments nécessaires pour lutter contre la maladie, mais osent traîner en justice les pays qui ont l'audace de rechercher des solutions autres que celles imposées par la loi du profit.
C'est ainsi que 39 laboratoires pharmaceutiques intentent un procès contre l'Afrique du Sud pour lui interdire d'importer des médicaments à bas prix. Cette menace vise aussi le Brésil (qui lui est poursuivi par les Etats-Unis), l'Inde et tous les pays qui prétendent produire ou acquérir des médicaments génériques anti-VIH..
Ce comportement est insupportable.
Voilà pourquoi nous avons décidé de lancer une grande campagne de mobilisation pour contribuer, en convergence d'ailleurs avec beaucoup d'autres initiatives importantes - je pense aux actions menées par "Médecins sans frontières" ou "Act-Up" -, à ce que les laboratoires pharmaceutiques renoncent à leur attitude scandaleuse.
Notre objectif est double.
Il est d'abord de contribuer à l'expression de l'indignation de l'opinion en France et au-delà, jusqu'à faire reculer les firmes pharmaceutiques, et qu'elles retirent leur plainte contre l'Afrique du Sud.
A ce propos d'ailleurs, nous portons une attention particulière à la position d'Aventis, qui bien que ne produisant pas de médicaments anti-HIV, est partie prenante de la plainte déposée contre le gouvernement sud-africain. Ce qui, on l'admettra, est pour le moins incompréhensible et c'est un euphémisme.
Ensuite, nous inscrivons notre action en France, au gouvernement, au Parlement français et européen, et en relation avec d'autres forces politiques et sociales dans le monde, dans l'ambition que soit adoptée une réglementation internationale. Celle-ci devrait autoriser, face aux grands groupes pharmaceutiques, le droit de copie, de production, d'importation et d'exportation de traitements anti-HIV. Il s'agit de favoriser des politiques de coopération qui aident la recherche dans les pays du Sud.
C'est pourquoi, nous lançons un appel mondial avec le soutien de forces politiques de l'Inde, du Brésil, et de l'Afrique du Sud, pays qui sont sur la ligne de front face aux multinationales du médicament.
Cet appel intitulé "Nous accusons" (qui va vous être distribué) prendra la forme d'une pétition internationale dont nous souhaitons qu'elle soit de grande ampleur pour soutenir cette action, nous éditons une affiche que vous voyez là. Elle exprime dans toute sa crudité, l'arrogance des grands laboratoires pharmaceutiques quand ils lancent cet ultimatum aux pays les plus pauvres: "Paye ou crève".
Cette démarche répond à un impératif moral; il est inacceptable que la loi des profits l'emporte sur la défense de la vie humaine;
J'ajoute que les accords de l'OMC relatifs à la propriété intellectuelle -les accords TRIPS de 1994- prévoient qu'en cas d'urgence nationale, les Etats peuvent décréter souverainement le droit de copie gratuite des médicaments. Il y a donc là un fond juridique qui permet de marquer des points.
J'ajoute que, pour ces laboratoires, le marché africain ne représente que 1% de leurs bénéfices globaux. Par conséquent, ce qu'ils craignent en réalité, c'est surtout que soit révélé au grand jour le coût réel de ces médicaments, et donc le scandale des profits faramineux qu'ils réalisent, au mépris de la vie de millions et de millions d'êtres humains.
Enfin, nous voulons prendre notre part d'un mouvement aux dimensions mondiales qui soutient les initiatives de l'ONU en cette matière. Et dans les jours qui viennent, nous allons nous adresser à nos partenaires européens, pour que l'Union européenne prenne une position nette et ferme, face aux exigences américaines et à l'action des laboratoires.
Puisque j'évoque l'ONU, je vous indique que nous souhaitons faire du mois de juin, période où se tiendra l'Assemblée générale de l'ONU sur le Sida, un temps fort de l'initiative que je vous présente aujourd'hui, et qui vise à faire reculer les multinationales du médicament.
Elle s'inscrit par ailleurs dans une campagne de longue portée "Ensemble pour l'Afrique" que nous avions annoncé lors de notre Conseil national, en janvier dernier. Je souhaite juste évoquer les axes de cette campagne et ses moments forts.
Nous faisons de l'annulation de la dette et du doublement de l'aide publique au développement une priorité de nos interventions. De très grands mouvements s'organisent autour de ces exigences. Il faut maintenant passer des déclarations aux actes, avec notamment l'augmentation jusqu'à 0,7 % du PNB consacré à l'aide publique au développement, conformément aux engagements pris. Je note d'ailleurs avec une grande satisfaction qu'une majorité de français considèrent que l'aide au développement doit être une priorité (selon le sondage publié dans la Croix le 29 mars).
Nous prendrons des initiatives pour l'aide à l'éducation et à la formation, pour le développement dans toutes ses dimensions - agriculture, eau, énergie, infrastructures - et nous porterons une attention particulière à la dimension culturelle des échanges et des coopérations.
Cela devrait nous amener à avoir avec nos interlocuteurs africains eux-mêmes, un grand débat citoyen sur une réorientation en profondeur, de la politique de coopération de la France. Afin que l'Afrique reste bien une priorité pour notre pays et que redéploiement ne signifie pas désengagement. Cette campagne "Ensemble pour l'Afrique" doit susciter une multitude d'initiatives partout en France, en s'appuyant sur l'extraordinaire réseau de relations qui existent, en impliquant les jeunes, et en prenant appui sur le travail remarquable accompli par les collectivités territoriales avec les coopérations décentralisées.
Quelques moments forts qui rythmeront cette campagne.
En juin, à la veille de l'Assemblée générale de l'ONU sur le Sida, une quinzaine pour l'Afrique sera organisée, ici place du Colonel Fabien, avec exposition, débat et un grand concert le 21 juin.
La Fête de l'Humanité accordera une place privilégiée à l'Afrique dans son espace international. Ce sera l'occasion d'un Forum ouvert autour des questions que j'ai évoquées.
Enfin, dans la perspective début 2002, d'un Forum franco-africain auquel nous travaillons avec nos amis sud-africains, nous organiserons diverses réunions, rencontres et délégations. Moi-même je me rendrai en Afrique.
J'aurai l'occasion de revenir sur les dimensions fortes de cette campagne.
Je souhaite juste souligner combien pour nous communistes, cette campagne et ces initiatives s'inscrivent dans une vision de ce qu'il faut changer absolument dans le monde, et combien elles sont enracinées dans l'identité anticoloniale et de solidarité internationale du Parti communiste. Je vous remercie pour votre attention.
(source http://www.pcf.fr, le 18 avril 2001)