Texte intégral
Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET
En matière de développement durable, on ne peut pas parler d'un désengagement de l'Etat, mais d'une réorganisation de l'Etat. Si on regarde le budget « écologie » à périmètre strict de l'année dernière par rapport à l'année courante, il a fait + 25%. En revanche, ce qui est vrai, c'est que les structures - et pour répondre à certains problèmes que vous souleviez - sont en train d'être modifiées en profondeur. Cela va prendre plusieurs années pour rentrer dans les moeurs. Elles ont été modifiées d'emblée, conformément aux engagements du Président de la République dès le mois de mai avec la création d'un grand ministère qui a vu son périmètre encore légèrement modifié et renforcé au mois de mars, dans lequel on retrouve, sous le signe du développement durable, l'écologie, l'énergie, l'aménagement du territoire, les transports, tout ce qui ressemble à une infrastructure en fait et à une vision territoriale d'aménagement.
Cela a été un choix qui mérite d'ailleurs de nous y attarder une minute parce qu'il n'est pas anodin : cela fait quinze ans qu'il était question de rapprocher de l'environnement de l'une ou l'autre des institutions ou des politiques.
Il y a eu la grande époque environnement et santé : nous voulions rapprocher l'environnement du ministère de la Santé. Ceci était intéressant du point de vue de la gestion du risque mais ce qui posait un problème, c'est que la santé c'est la CNAM. La CNAM c'est beaucoup d'argent, beaucoup de déficits. Cela signifiait mettre le petit budget environnement à l'ombre de la CNAM, soit un vrai problème de déséquilibre. Il y a eu une tendance qui était de faire environnement/agriculture. Intéressant pour certains sujets très ciblés, sur certains types de problématique. Finalement, la cohérence choisie est une cohérence vis-à-vis du territoire. Nous sommes en plein dans le sujet d'aujourd'hui, et une cohérence vis-à-vis du changement climatique. Quand vous lisez bien la façon dont est défini le nouveau périmètre du ministère, il y a une cohérence forte vis-à-vis du changement climatique : vous avez à la fois les négociations internationales en matière de changement climatique, le plan climat, les transports, l'habitat, donc beaucoup de déterminants de cette problématique. Cela rentre progressivement dans les moeurs, et est appelé à s'inscrire profondément dans les territoires à travers les administrations déconcentrées de l'Etat qui vont se rapprocher : certaines ont déjà mis en oeuvre des expérimentations, qui vont voir leur mission s'ensemencer les uns les autres.
Du point de vue conceptuel, c'est évident. Du point de vue technique, c'est beaucoup plus compliqué parce qu'il y a des problèmes de statuts, ainsi que des problèmes de cohérence personnelle. Il n'est pas évident de dire à un technicien qui toute sa vie a calculé l'angle de versement d'une route, et comment il fallait faire le rond-point pour que cela circule bien, de lui dire que maintenant, il allait peut-être faire un peu la même chose, mais plutôt faire de l'urbanisme et que, de toute façon, ce serait sous l'angle du développement durable.
Je prends un exemple comme cela, je ne stigmatise pas particulièrement la direction des routes : ceci est vrai dans les autres directions.
C'est ce que vous déploriez, mais il y a une logique derrière : l'administration française a été construite et même reconstruite ainsi après la guerre. Des administrations qui ont des missions très claires, avec des engagements très forts des personnels derrière cette mission, avec des engagements pour certains qui tiennent du sacerdoce. Quand vous êtes dans la mission route, c'est faire passer le plus possible de véhicules sur la route dans les meilleures conditions de sécurité possible. Quand vous essayez de croiser cela avec des objectifs en matière de développement durable, vous avez des problèmes techniques, mais également humains. C'est ce que nous essayons de mettre progressivement en oeuvre dans la réorganisation
M. Denis CHEISSOUX, Animateur
Comment faire pour irriguer cela ? Nous savons qu'il y a à peu près 2 500 km d'autoroutes ou de merveilleuses rocades dans les cartons. Par ailleurs, quand nous construisons une autoroute, cela va
aspirer soit du camion, soit de la voiture. Comment fait-on pour arriver à mettre cela en musique ?
J'ai bien compris que ce rôle transversal n'est pas simple : vous l'avez très bien expliqué, c'est-à-dire que nous avons des cultures qui sont là, mais arrive-t-on à irriguer cela ?
Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET
Nous jouons sur deux axes, et nous aurions tort d'en oublier un des deux. Celui qui apparaît le plus évident est l'axe technique : comment fusionner les différentes administrations ? Quel organigramme faire ? Comment s'arranger quand il y a 80 000 fonctionnaires d'un côté et 6 000 de l'autre pour que personne ne se sente absorbé par l'autre ? Cela peut paraître paradoxal, mais ce n'est pas évident. L'administration de l'équipement était un peu en perte de sens, avec la transmission des routes aux collectivités. Une administration en perte de sens est fragile et peut avoir tendance à se rétracter sur elle-même. Si vous changez le nom de son ministère en la mettant sous le sigle de l'écologie, les ministres ne parlent plus que d'écologie. Ce sont eux qui ont l'impression de se faire manger, alors qu'ils sont 80 000, par les 6 000 autres. Du côté des 6 000 autres, qui d'un point de vue statutaire ne sont pas forcément mieux lotis - en général, ils le sont moins - pour des raisons de nombre et géographiques, eux ont l'impression de se faire absorber. De vrais problèmes techniques se posent.
Pour surmonter ces problèmes techniques, nous avons besoin de mettre beaucoup de sens, de sens de l'ordre du symbolique, mais aussi de sens de l'ordre du projet. C'est aussi la force du Grenelle de l'Environnement : évidemment, le grand public ne s'intéresse pas forcément à tout ce que je dis. Le Grenelle de l'Environnement, c'est la refondation des politiques publiques en France, mais pour une administration qui est en train de se réorganiser entièrement pour se mettre au service du développement durable, c'est retrouver du sens, une dynamique, parce que se réorganiser avec une dynamique, avec un objectif dont on acquiert la conviction qu'il est le grand enjeu du XXIe siècle, nous avons une chance de réussir, alors que si c'est se réorganiser dans l'appauvrissement du sens, nous sommes morts.
M. Denis CHEISSOUX, Animateur
Nous l'avons compris en vous écoutant et en écoutant les discours des uns et des autres : le nouvel enjeu va être le nouvel exercice démocratique. Le ministre d'aujourd'hui et de demain aura-t-il un rôle incitateur ? Je reprends l'expression du Grenelle, c'est-à-dire « mettre de l'huile dans les rouages ». Votre rôle ne va-t-il pas changer ? Ces politiques environnementales ne seront-elles pas décidées « main dans la main », autour d'une table entre les syndicats, les ONG, le MEDEF, l'Etat et les élus locaux ?
Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,
Cela nous va bien. C'est très intéressant. Je vais vous raconter une histoire. Au début du Grenelle de l'Environnement, quand nous avons mis en place les ateliers, nous avons dit qu'il y avait six ateliers et cinq collèges : les élus, les associations, les syndicats, les collectivités territoriales et un collège Etat. Vous commencez à discuter et c'est une discussion libre. Nous avons dit au collège Etat : « La parole est libre, donc vous pouvez mettre des papiers blancs, vous les mettez sur la table. La parole est libre, vous vous exprimez, vous faites vos propositions. Vous devez être très créatifs. » Au bout de trois semaines, nous avons vu certains représentants des autres collèges qui revenaient nous voir en disant : « L'Etat ne dit rien, nous faisons des propositions, mais c'est un peu décevant. Ils ne répondent pas. Comment faisons-nous ? ». Le retour que nous avions de la part du collège Etat était : « Quand est-ce que nous faisons la réunion interministérielle pour savoir ce que nous disons ? ».
C'est cela aussi le Grenelle de l'Environnement, c'est changer une façon de faire pour l'Etat, c'est accepter de passer d'un système dans lequel nous arbitrions. Nous arbitrions des intérêts, des conflits entre les administrations et entre les administrations et d'autres. A un moment, les fonctionnaires étaient ceux qui exprimaient l'arbitrage et ceux qui mettaient en oeuvre l'arbitrage. Donc sortir de ce système pour aller vers un système dans lequel l'Etat exprime l'autorité, éventuellement, fait référence aux textes légaux pour les faire appliquer - tout cela ne disparaît pas bien sûr - mais l'Etat a aussi un rôle de facilitateur. Il doit faire émerger un consensus, une meilleure solution entre les différents acteurs. Cela nécessite de faire glisser le rôle des uns et des autres, cela nécessite des talents un peu différents. Certains se révèlent, d'autres sont moins à l'aise. Cela prendra quelques années.
M. Denis CHEISSOUX, Animateur
Nous allons jouer sur les deux casquettes. Vous êtes fraîchement élue Maire de Longjumeau, est-ce que vous ne pensez pas parfois avoir plus de pouvoir en tant qu'élue comme Maire, ou bien effectivement, en tant que Ministre, ou bien éventuellement, vous Maire de Longjumeau, qu'est-ce que vous demanderiez au ministre de l'Environnement ?
Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,
J'ai plein de choses à demander au ministre de l'Environnement.
M. Denis CHEISSOUX, Animateur
Comme vous les connaissez assez bien.
Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,
Ce que j'ai toujours trouvé, dans mes différents mandats, celui-là et l'autre, c'est que ce qui était le plus intéressant, c'est la tension entre le mandat national et le mandat local. Quand vous n'êtes que dans le mandat national, cela devient très virtuel. Vous avez toujours des bonnes raisons pour lesquelles, cela ne peut pas se faire, ils n'ont pas compris. Vous entrez dans une forme de virtualité. Quand vous n'êtes que dans le mandat local, vous passez votre temps à vous justifier, à partir des carences du national, de ne pas avoir pu faire votre local : « Je voudrais bien, mais l'Etat, mais la collectivité... ». Avoir les deux, quelque part c'est plus dur, parce que c'est avoir la double exigence. Vous ne pouvez pas répondre localement à vos habitants : « Je ne peux pas parce que l'Etat me l'interdit », et au national, vous ne pouvez pas dire que « vous ne saviez pas ».
Dans une ville comme Longjumeau, par exemple, mon problème est de réussir à faire une réhabilitation thermique, de grande qualité sous l'angle du développement durable, de logements HLM dans lequel la priorité des personnes qui y sont, c'est que les charges n'augmentent pas et que nous fassions de la dératisation, parce que les rats sont gros et font peur à tout le monde. Je leur dis que nous allons enlever les rats, mais il faudra le faire avec une rénovation thermique. Nous allons mettre des énergies renouvelables : à terme, cela fera baisser les charges et du point de vue sanitaire, ce sera beaucoup mieux.
C'est d'associer des contraintes très locales, des contraintes très nationales et de montrer qu'en plus tout cela est cohérent. Je crois que c'est beaucoup plus intéressant. C'est au frottement entre le national et le local que les choses les plus intéressantes se passent.
M. Denis CHEISSOUX, Animateur
Dernière question, à la Ministre cette fois...
Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,
N'allez pas croire que les rats sont partout à Longjumeau, j'ai un problème de dératisation dans un immeuble, c'est pour cela que j'y pense. J'ai une cage d'escalier sur laquelle nous avons un souci de dératisation. Longjumeau est une ville agréable, dans laquelle il fait bon vivre et nous n'avons pas de problème sanitaire. Les choses doivent être claires.
M. Denis CHEISSOUX, Animateur
Qu'attendez-vous des ONG en tant que Ministre ? Qu'elles puissent vous épauler, vous soutenir ? A une époque, il y a eu une certaine distance, aujourd'hui les choses sont en train de changer depuis le Grenelle.
Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,
Les ONG prennent la mesure des nouvelles responsabilités. Le Grenelle de l'Environnement était un appel au secours lancé aux ONG. C'était une façon de dire : « Les politiques environnementales s'épuisent, les enjeux sont tels que nous n'y arriverons pas seuls. Il faut se mettre tous autour de la table et vous devez venir dans un esprit positif. Nous avons besoin de vous ». Le Grenelle de l'Environnement était une demande des ONG, mais en fait c'était aussi une demande des autres partenaires faite aux ONG.
C'est très compliqué pour tout le monde, nous avons besoin de réussir à institutionnaliser un processus qui avait quelque chose de révolutionnaire. Je crois qu'au Mexique, vous avez le parti révolutionnaire institutionnel, je trouve que les termes sont intéressants. Nous devons réussir à trouver une relation avec les ONG dans laquelle nous sommes bien dans la dynamique, dans cette part du conflit qui permet de rester dans la dynamique et en même temps dans le constructif. Nous mettons tellement d'énergie dans le Grenelle qu'il y a des soirs où Jean-Louis me dit : « Après tout ce que nous avons fait aujourd'hui, ils ne sont encore pas contents ». Nous devons être à la fois dans le conflit et dans l'exigence et en même temps dans la reconnaissance de ce qui se fait de positif.
M. Denis CHEISSOUX, Animateur
Et sur la représentativité ?
Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET
Sur la représentativité, nous avons besoin des ONG, parce que la balle est dans le camp des ONG. Sur la représentativité, chacun des collèges, à un moment, a eu sa crise et a choisi son mode de représentativité. Pour les syndicats, l'Histoire a choisi pour eux, parce que cela s'est passé après la guerre dans les conditions que nous savons. C'est normal que chacun des collèges choisisse son mode de représentativité. C'est normal que des tensions existent entre les associations. C'est normal que l'Etat intervienne et tranche, mais cela doit se passer dans la douleur et entre vous. Si c'est nous qui tranchons d'emblée, la légitimité ne se fera pas.
M. Denis CHEISSOUX, Animateur
Vous l'avez dit, nous sommes dans la coconstruction. Nathalie, un grand merci à vous, il est 12 h 22, c'est bien. Ils vous attendent, allez-y.
Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET
Excusez-moi de ne pas pouvoir rester jusqu'au bout, c'est un peu compliqué.
M. Denis CHEISSOUX, Animateur
Nous ne pouvons pas vous en vouloir, vous avez été là ce matin pour l'ouverture et pour ce débat, merci beaucoup Nathalie.
M. Denis CHEISSOUX, Animateur
Il manque des femmes, je suis d'accord avec vous. Nous allons faire jouer notre part féminine. Didier Jouve, question que j'avais commencée à esquisser tout à l'heure, maintenant nous avons des éléments de réponse, nous allons vous demander sûrement de plus en plus, au niveau des régions, des territoires, responsabilités et droits aussi. N'avez-vous pas peur, parce que maintenant vous serez pointé plutôt que l'Etat. Ca va changer également dans la culture des fédérations, ce ne sera pas simplement de dire : « L'Etat n'est pas capable de... ». En matière d'Aménagement du territoire vous allez être plus sollicité. Je ne sais pas si vous avez une appréhension par rapport à cela, quelle est votre façon de penser ?
Source http://www.fne.asso.fr, le 22 septembre 2008