Texte intégral
Monsieur le Ministre, cher Michel,
Monsieur le Sénateur-maire,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le Président,
Mesdames messieurs,
Je suis particulièrement heureuse de faire le déplacement à Strasbourg, parce que ces derniers temps, c'est beaucoup FNE qui est venue à moi. J'aime bien de temps en temps aller à FNE.
Nous avons passé une grande partie de l'année 2007 ensemble, et nous passerons probablement une partie de l'année 2008 à nouveau ensemble. Ensemble avec certains d'entre vous, ou ensemble plus régulièrement encore, avec vos représentants.
L'année 2007 s'est distinguée en effet par un mouvement de rupture, à plusieurs titres, mais notamment dans le mode de relations entre les pouvoirs publics et les associations environnementales, dans la manière de concevoir les politiques publiques en matière d'environnement, dans la manière de travailler et de s'organiser pour travailler de façon permanente, entre associations et autres acteurs.
Nous avons eu l'occasion de nous croiser lors de longues séances de travail partagées. C'est vrai avec toutes les associations de protection de la nature, mais France Nature Environnement y a pris toute sa part et une part toute particulière, du fait de son organisation spécifique, qui plonge ses racines dans les territoires, ce qui rend à la fois son discours riche, plus complexe parfois, plus sophistiqué ; ce qui lui rend probablement aussi la vie plus intéressante - ses ramifications sont nombreuses - et là aussi peut-être plus compliquée dans une consultation comme celle du Grenelle de l'environnement.
En tout cas, l'année 2007 a été riche en contacts et l'année 2008 le sera à nouveau. Pourtant, ce n'était pas gagné d'avance puisque les écueils étaient nombreux. Quand nous avons lancé le Grenelle de l'environnement, les esprits sceptiques étaient plus nombreux que les esprits enthousiastes, mais quelques personnalités au caractère ou au parti pris positif, qui ont choisi d'emblée de faire du Grenelle de l'environnement une réussite, ou en tout cas de tout faire pour que le Grenelle de l'environnement soit une réussite in fine, nous ont permis de gagner ce pari. Parmi eux, France Nature Environnement a été de ceux qui ont aidé à contrecarrer les stratégies de court terme qu'auraient pu avoir certains acteurs pour convaincre finalement tous les participants de s'engager dans cette confrontation d'idées et d'amener chacun vers une issue positive - une issue, il n'y en a pas vraiment, mais une dynamique que nous voulons pérenne et que nous essayons de poursuivre jour après jour, Jean-Louis BORLOO et moi.
Je voudrais partager cette conviction avec vous : ce qui s'est passé cet automne avec le Grenelle de l'environnement est le signe d'une certaine maturité écologique dans notre pays. Il y a eu des mouvements de prise de conscience. Par le passé, des choses se sont produites. Ce n'est pas moi qui dirais le contraire, mais en 2007, il s'est passé quelque chose de l'ordre de la maturation qui nous oblige pour la suite, puisque, ayant atteint l'âge de raison et la maturité, nous avons l'obligation de faire plus, de faire différemment, de faire tout de suite beaucoup mieux et à un niveau bien autre.
Nous avons vu surgir des difficultés. Chacun doit évidemment apporter sa part de solutions non seulement pour le passé, mais doit l'apporter pour la suite. Parmi les difficultés qui sont maintenant sur la table et qui l'étaient depuis le début se pose la question de la représentativité.
J'aborde le sujet d'emblée car je sais que ce sujet est très présent : j'avais eu l'occasion de le constater, il y a environ deux mois, quand vous aviez réuni tous vos cadres intermédiaires à Paris, à l'occasion de cette espèce de processus de recalage entre les discussions nationales sur le Grenelle de l'environnement et ce qui se passait dans les fédérations. Se posait notamment la question de la représentativité des associations : qui a à être autour de la table ? Qui peut être autour de la table ? Comment fonctionner pour la suite dans une période dans laquelle la réforme du Conseil économique et social est envisagée, et donc une période dans laquelle la représentativité des acteurs au niveau régional et national est en discussion de manière évidente, cette question de la représentativité est aujourd'hui posée. Sur ce sujet comme sur les autres, France Nature Environnement a une voix particulière à faire entendre.
Nous devons résoudre plusieurs questions. Nous devons rechercher et nous mettre d'accord, dans la mesure du possible de manière consensuelle - vous savez comme moi que c'est difficile - sur des critères de représentativité. Les idées qui courent - je les lance toutes là - sont nombreuses : la compétence - tout le monde peut se mettre d'accord sur celui-là - l'indépendance - c'est déjà plus sujet à contentieux quand on y réfléchit parce que l'indépendance par rapport à qui, à quoi et sur quels critères. Il y a la capacité de mobilisation : est-ce le nombre d'adhérents, la bonne gestion, la transparence, l'absence de droit d'usage sur les intérêts défendus ; et l'activité effective, l'expérience, le respect des valeurs républicaines - c'est la moindre des choses, mais là aussi, il peut exister des situations assez contentieuses. Le respect de la liberté d'association, le fonctionnement démocratique de l'association, sa capacité à animer un débat environnemental et citoyen. Je vois Allain BOUGRAIN-DUBOURG qui se renfrogne en se disant « tout cela est bon pour nous ». Cela fera un grand débat. Nous travaillons activement en ce moment avec vos représentants. Ce sera sans doute un sujet entre vous aujourd'hui, et c'est bien parce que ces questions conditionnent d'autres engagements, comme la réforme du Conseil économique et social.
Il y a des moments dans l'histoire dans lesquels les mouvements se fondent et se refondent. Le mouvement associatif dans le domaine de l'environnement est bien présent, bien vivant. Cela fait des décennies qu'il est là, il est fort, mais à un moment, il a besoin pas forcément de s'institutionnaliser - le mot est un peu fort : sa légitimité passe par la mise en place de critères de représentativité. Tous les mouvements sont passés par-là. Les syndicats y sont passés, les entreprises également. Chaque mouvement doit se poser la question de la représentativité de ses acteurs. Pour les associations environnementales, le temps est venu aujourd'hui.
Il me semble nécessaire que cela se passe aujourd'hui, alors que le Grenelle de l'environnement n'est pas fini et ne fait que commencer. Le Grenelle de l'environnement est une dynamique, une rupture avec une façon de faire : les politiques environnementales entre soi, entre les uns et les autres, entre les pouvoirs publics et l'un ou l'autre des acteurs. C'est une façon de faire plus collective, plus transparente, plus ouverte. Pour que cela marche, il faut que nous soyons d'accord sur les partenaires et la légitimité des différents partenaires. Il faut que vous soyez d'accord sur qui sont vos partenaires et qui sont ceux qui sont légitimes parmi vos partenaires.
Je voudrais revenir au sujet de cette assemblée générale « Quels TerritoireS pour demain ? » et partager avec vous quelques réflexions sur ce thème.
Un livre de Jared DIAMOND m'a beaucoup troublée - je suis sûre que beaucoup parmi vous l'ont lu, je le recommande à ceux qui ne l'ont pas lu - « Effondrement comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie ». Je sais que Nicolas HULOT l'a lu : il le conseille d'ailleurs beaucoup. Ce livre démontre que, au travers de l'Histoire, le comportement de l'Homme avec son environnement peut devenir dangereux dans l'ordre du systémique : toutes les sociétés qui n'ont pas réussi à avoir une relation apaisée et durable avec leur territoire ont disparu. Elles ont disparu sur des motifs très particuliers : c'est ce qui est intéressant dans ce livre. Il présente de nombreux exemples : chaque exemple est différent, chaque exemple est fatal selon un cheminement particulier.
La question se pose aujourd'hui de savoir si nous ne sommes pas en train d'expérimenter un nouveau de ces cheminements qui ont conduit certaines sociétés locales par le passé vers leur perte. Evidemment, nous l'expérimenterions à un moment où nous sommes une société globale, ce qui poserait un problème de survie pour l'ensemble de l'humanité. Les territoires et les collectivités territoriales, tout échelon confondu, sont au coeur de cette problématique. D'ailleurs, la place faite, lors des dernières élections municipales à la thématique du développement durable, en témoigne de la plus belle des manières. La fondation Nicolas HULOT a lancé le guide de l'éco-électeur, qui a été téléchargé en 300 000 exemplaires ! Ce petit guide était seulement un guide à l'usage du citoyen sur comment interpeller vos candidats sur les questions relatives au développement durable. Ces questions intéressent et font plus qu'intéresser : elles sont devenues des éléments majeurs d'interpellation. C'est bien parce que les territoires constituent une échelle appropriée pour combattre et conjurer ce risque, auquel je faisais référence à propos du livre de Jared DIAMOND sur l'effondrement des civilisations.
Le Grenelle de l'environnement essaie de prendre en compte cette problématique et nous allons pouvoir la prendre en compte de manière encore plus efficace avec l'arrivée, dans le grand ministère d'un Secrétaire d'Etat en charge de l'Aménagement du territoire, ce qui nous permettra de couvrir plus efficacement l'ensemble de ces sujets, tant ils sont vastes.
Je vous relis l'engagement n° 170 du Grenelle de l'environnement :
« En la matière, le rôle stratégique des régions en matière d'aménagement du territoire, d'infrastructures, de transports interurbains ou de plans climat énergie régionaux (susceptibles d'être opposables) est reconnu. Mais dans une démarche avec l'Etat et les autres collectivités, il revient aux départements, aux communes et aux structures intercommunales d'être les opérateurs décisifs en matière de plans climat territoriaux, de « bilan carbone », d'agendas 21 locaux, de logements et d'urbanisme, d'éclairage public...»
Bref, tout le monde est responsable, chacun à son niveau. La loi Grenelle, que nous discuterons au moins en première lecture avant l'été, fera sans doute évoluer, et pour les renforcer, certaines de ces responsabilités. Les territoires seront les moteurs qui permettront de réaliser les opérations exemplaires qui essaimeront, qui intègreront les trois piliers du développement durable, et qui finalement nous permettront de diffuser à travers le territoire les principes et les objectifs du Grenelle de l'Environnement.
Pour mener à bien ces objectifs, il nous faut de nouveaux outils, de nouvelles structures ou le renforcement des structures évidentes. Il y a les Conseils économiques et sociaux régionaux, avec la nécessaire participation d'acteurs environnementaux représentatifs, pour reprendre les termes chers à FNE, mais aussi en soignant le processus de consultation des CESR pour éviter toute consultation alibi - parce que tout n'est pas seulement dans les personnes membres.
La question se pose aussi des processus et de la réalité du travail qu'on leur fait faire. Le simple fait de rendre obligatoire la publication des suites données à un avis du CESR - évidemment pas seulement l'avis - et que le choix des suites données soit obligatoirement motivé me semble en soi un choix très efficace, parce que cela permet d'obliger au débat et à la poursuite du débat quand il ne s'est pas manifestement éteint.
En ce qui concerne le principe de concertation au plan local, au sein des agglomérations, le comité opérationnel du Grenelle sur les institutions et la représentativité des acteurs qui est présidé par le député Bernard PANCHER trouve un champ d'exploration particulièrement riche. France Nature Environnement a participé et participera à ces réflexions.
Il existe des réussites locales. Si ce n'était pas le cas, nous n'insisterions pas autant sur la nécessité d'approfondir les travaux avec les territoires. L'Alsace est un bel exemple de réussite. Je ne sais pas si c'est la raison pour laquelle le choix a été d'organiser le congrès ici, mais ce qui est certain, c'est que l'Alsace en est un bel exemple ; en même temps, les menaces qui pèsent sur nos territoires ici et ailleurs sont nombreuses.
Nous sommes actuellement dans le moment de l'Histoire où il y a une prise de conscience de chacun d'entre nous et la possibilité d'une action publique renforcée. Un ouvrage vient de sortir qui s'intitule « L'arbre, la rivière et l'homme ». Il a été publié par le Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité, sous l'égide du Professeur Yvon LE MAHO sur la question des corridors rivulaires. Avec beaucoup de pédagogie, on y apprend à reprendre conscience de la valeur collective très élevée d'espaces que nous avons progressivement négligés au cours des dernières décennies, parce que nous les considérions comme non productifs.
Enfin, dans cette perspective, il me semble opportun de replacer au sommet de notre agenda la gestion environnementale des territoires en en faisant un axe fort de la présidence française de l'Union européenne.
Comme vous le savez, il s'agira d'une période déterminante, une opportunité cruciale pour nous pour renforcer la prise en compte de l'environnement, pour lui donner une place majeure dans le débat politique français et européen. C'est pour répondre à cet enjeu redoutable, et dans le prolongement des travaux du Grenelle, que nous sommes réunis sur ce thème des territoires.
Je sais que nous pouvons compter sur vous, comme nous avons pu compter sur vous tout au long du Grenelle. Je peux vous faire la promesse ou la prédiction, que si l'année 2007 a été riche avec le Grenelle lui-même, l'année 2008 avec la mise en oeuvre du Grenelle, avec la présidence française de l'Union européenne, avec tous les comités opérationnels et leurs déclinaisons qui nous attendent, le sera plus encore. Elle le démontrera magistralement à tous ceux qui ont voulu croire que, pour l'année 2007, ce n'était qu'un effet de mode, dû à la candidature, à l'élection de Nicolas HULOT au début, au fil de Al Gore ensuite - j'ai vu passer des articles sur le thème : « il s'est passé quatre ou cinq choses en 2007 qui faisaient qu'on allait parler de l'environnement, mais que cela se calmerait ». Nous pouvons tous ensembles, collectivement, démontrer qu'en 2008 il s'est passé encore plus de choses et que loin de se calmer, c'est un mouvement qui se renforce. Nous ne sommes plus dans la vaguelette, mais dans la grande vague, et cela va continuer.
Merci à tous.
Source http://www.fne.asso.fr, le 22 septembre 2008