Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à RFI le 23 septembre 2008, sur le maintien des troupes françaises en Afghanistan.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Vote de l'Assemblée nationale et du Sénat approuvant le maintien des forces armées françaises en Afghanistan, le 22 septembre 2008

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.- L'Assemblée nationale, puis le Sénat, ont approuvé hier à une large majorité, et sans surprise à vrai dire, le maintien des forces armées françaises en Afghanistan. Le vote a été précédé d'un débat, parfois très vif. On vous a vu presque en colère, répondre aux critiques de l'opposition sur la formation des soldats français engagés en Afghanistan, et aux demandes de retraits exprimées par le groupe des députés communistes et des Verts. Est-ce que le mot "retrait" est tabou à vos yeux ?
 
Comment peut-on penser un seul instant proposer le retrait ? Nous sommes engagés depuis 2001, par une décision conjointe du Premier ministre de l'époque, L. Jospin, et du président de la République, avec 39 pays. Nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, Conseil de sécurité des Nations unies qui chaque année, par une résolution - elle a été votée hier -, redonne mandat à la force internationale d'assistance à la sécurité, un mandat pour un an, votant...
 
Tout en s'inquiétant des pertes civiles...
 
...Votant, dont la Chine et la Russie. Donc ce n'est pas un combat de l'Ouest contre... ou des puissance occidentales ou des puissances américaines. Comment peut-on demander le retrait, alors que nous sommes en exercice à la présidence de l'Union européenne et que 25 pays de l'Union européenne sur 27, sont membres de cette force internationale ? Comment peut-on demander le retrait, alors que nous sommes l'une des quatre ou cinq puissances militaires, cinq premières puissances militaires de la planète ? Si on considère que la France a encore une responsabilité internationale, si on considère que la France a une voix à porter, l'idée même du retrait serait le signe du risque de débandade généralisée, qu'un des membres permanent du Conseil de sécurité, président en exercice de l'Union européenne, puisse dire "je vais me retirer", cela veut dire que l'on ruine l'effort de la Communauté internationale, à court ou moyen terme. Et donc, c'est totalement contraire à l'idée même que l'on peut se faire du rôle de la France dans le monde.
 
Le Parti socialiste, lui, n'a pas demandé le retrait, mais a voté contre le maintien, en expliquant que c'était une façon de dire "non" à la stratégie qui est en oeuvre en Afghanistan, "stratégie qui nous mène à l'enlisement", a dit F. Hollande, "glissement vers une guerre d'occupation", a dit J.-M. Ayrault, le patron des députés du Parti socialiste. "Guerre d'occupation", est-ce qu'effectivement, aujourd'hui, au sein de la population afghane, ce glissement n'est pas en train de se produire dans les esprits ?
 
Le risque, en effet, existe, le risque de la guerre d'occupation. Mais je veux répondre à ce qu'a dit le Parti socialiste. Le risque existe, notamment si nous ne sommes pas d'une vigilance absolue. Quand je dis "nous", ce n'est pas la France, mais quand l'ensemble des pays membres de la Force internationale ne prenne pas les mesures nécessaires pour qu'il y ait le moins possible de dégâts collatéraux. L'idéal serait qu'il n'y en ait aucun. A partir du moment où il y a des opérations militaires et des actes comme ceux-là, il est évident que le risque de dégât collatéral existe toujours. Mais qu'on ait une vigilance et une exigence absolue dans l'engagement des moyens militaires, ça, ça me semble absolument indispensable, parce que quand dans un village, il y a des dégâts collatéraux ou qu'on se trompe de cible - je pense par exemple à ce qui a pu se passer il y a 8 ou 15 jours, sur des tirs américains -, il est évident que ça ne favorise pas l'action de la Communauté internationale en question. Mais moi, ce que je regrette au sein du PS, c'est que quand ils disent "il faut changer de stratégie", mais quelle stratégie, de quoi nous parlent-ils ?! Quelle est leur proposition ? Ils nous disent "stratégie de développement"...
 
Plus politique et moins militaire...
 
Stratégie de développement, 'accord. Comment voulez-vous construire des canaux d'irrigation, des écoles, des hôpitaux, des maisons de santé, des universités, des routes, si vous n'avez pas d'abord la stabilité et la sécurité ? C'est impossible ! Il faut donc commencer par la stabilité et la sécurité, mais on ne fait pas que ça. C'est vrai que l'on pourrait faire plus en termes de développement, d'aide au développement, que ce soit plus majeur, il y a beaucoup d'argent qui est annoncé et les Afghans n'en voient pas toujours le fruit sur le terrain. Il y a eu quand même 4.000 km de routes de construits, il y a aujourd'hui 6 millions d'enfants scolarisés, les petites filles sont scolarisées alors qu'elles ne l'étaient pas, 80 % des Afghans ont accès à la santé, Il y a des choses formidables qui se font, par exemple, à l'hôpital français de Kaboul. Bref, il n'y a pas une ONG - interrogez les ONG, c'est intéressant -, vous ne verrez pas une ONG dire qu'il faut se retirer". Moi, ce que je regrette dans cette affaire, c'est que le PS...
 
Non, mais elles disent beaucoup, effectivement, qu'il faut plus s'associer à la population civile.
 
Oui... Dans cette affaire, le PS a rompu avec une unité nationale que nous avions depuis 2001 et le PS a rompu pour une seule et bonne raison, c'est que le PS s'est engagé dans un débat et un combat terrible en interne et que dans ce combat interne, qui est le congrès de Reims, l'ensemble des problématiques nationales passe au second plan. C'est parce qu'il ne faut absolument pas montrer la moindre complicité avec la majorité, qu'il faut être dans l'opposition à tout crin, même si c'est pour aller vers des sujets où on voit bien que le PS était vraiment en difficulté ; le discours de J.-M. Ayrault hier, était un discours, honnêtement, où on le sentait vraiment dans l'embarras.
 
 
 
Mais depuis 2001, les choses ont changé, la situation militaire a évolué, les taliban ont repris des forces. Et puis, il y a eu la campagne présidentielle au cours de laquelle N. Sarkozy avait évoqué l'hypothèse du retrait des forces françaises, en disant textuellement que la présence des soldats français dans cette région du monde n'était pas décisive.
 
La présence des soldats français dans cette région du monde, doit être... Il avait dit, « dans le long terme », ce qui veut dire clairement que pour nous, l'effort que nous effectuons, à travers la formation de l'armée nationale afghane, c'était une armée qui n'en était pas une il y a encore un ou deux ans, qui commence à en être une. Moi, je vois - ça fait seize mois que je suis ministre de la Défense - à quel point, à chaque fois que je vais en Afghanistan, je trouve que les soldats afghans, qui étaient des guerriers, sont en train de devenir de vrais soldats, qu'ils commencent à ressembler à ce que peut être une armée. Ça ne peut pas se faire en huit jours ! L'effort que nous effectuons à travers un programme qui s'appelle "Epidote", qui nous a permis de former 4.000 officiers de l'armée nationale Afghane. Interrogez les officiers français, ils vous diront eux-mêmes que ces officiers que nous formons, ont une vraie conscience de l'Afghanistan, de l'unité du pays, de la nécessité de la stabilité, qu'ils ne le font pas uniquement pour des raisons financières ou monétaires, mais qu'ils souhaitent réellement rebâtir leur pays. Et cet effort-là, vous ne reconstruisez pas un pays en l'espace de quelques années. Regardez combien nous avons mis de temps pour assurer la stabilité et la sécurité au sein même du continent européen ! Quand vous voyez ce qui s'est passé en Yougoslavie, combien d'années d'efforts nous avons dû effectuer pour obtenir la stabilisation de la zone des Balkans ? Et vous voudriez qu'un pays, effondré par 20 ou 30 ans de guerre, qu'un pays qui en plus avait des structures qui n'ont rien de comparable avec des structures d'un Etat occidental, puisse se reconstruire en quelques années ? Je pense que l'effort que nous avons effectué, est un effort qui est en train, réellement, de porter ses fruits, même si c'est long. Et c'est vrai que le temps, le temps, ce n'est pas une valeur aujourd'hui des sociétés modernes, où l'on est dans l'immédiateté.
 
Est-ce qu'à l'issue de l'embuscade du 18 août, dans laquelle dix soldats français ont été tués, l'émotion n'a pas pris le pas sur le politique ? Que se passerait-il si demain ou dans un mois, à nouveau, des soldats français tombaient en Afghanistan ?
 
Je crois que la communauté française, les Français, ont découvert ce qu'était l'Afghanistan à ce moment-là, c'est-à-dire que jusqu'alors, c'était une opération extérieure et aujourd'hui, ils ont découvert qu'en Afghanistan, c'était une opération extérieure d'une autre nature que ce que nous faisons traditionnellement. Et ils ont découvert ce qu'était réellement l'Afghanistan. Alors, ils ont découvert cela et en même temps, moi j'ai découvert ce que pouvait être la rumeur, le rôle du Net, la liberté de la presse indispensable, mais aussi l'absence de responsabilité avec laquelle, parfois, on diffuse des informations qui n'ont aucun fondement et qui font beaucoup de mal.
 
Je parlais de l'émotion, quand le président de la République reçoit les familles des victimes. Est-ce que, encore une fois, si d'autres soldats - c'est un scénario qui est envisagé - soldats français tombent en Afghanistan, est-ce qu'à chaque fois il va falloir reprendre, avoir de nouveau ces cérémonies et ces moments d'émotion nationale ?
 
 J'imagine mal comment on ne pouvait pas avoir une cérémonie militaire aux Invalides, lorsque nous perdons dix hommes sur un théâtre d'opérations extérieures. Cela me semble inconcevable qu'il n'y ait pas un moment de fraternité entre nos armées et la Nation. Vous savez, en plus de ça, l'armée française, dans la construction du pays, a un rôle majeur. L'histoire de France et l'histoire militaire se confondent beaucoup.
 
Un mot de la nouvelle mouture du fichier Edvige. Vous aviez été un peu critique, vous aviez parlé d'un "curieux mélange des genres". La nouvelle version exclut le recueil d'informations concernant la santé ou la vie sexuelle, maintien du fichage des mineurs ; ça vous va ?
 
Moi, j'ai toujours dit qu'il fallait des fichiers, qu'il fallait un juste équilibre entre liberté et sécurité. Il me semble que ce qui est sorti de la réflexion du ministère de l'Intérieur assure ce juste équilibre.
 
Donc, vous aurez aidé, finalement, à faire progresser le ministre de l'Intérieur ?
 
C'est vous qui le dites.
 Source : Premier ministre, Servie d'Information du Gouvernement, le 23 septembre 2008