Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur les réponses apportées par l'Union européenne face à la crise financière internationale, à Bruxelles le 24 septembre 2008.

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Circonstance : Déplacement à Bruxelles à l'occasion de la session plénière du Parlement européen, les 23 et 24 septembre 2008

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Mesdames et Messieurs les Parlementaires européens,
Nous assistons à la fin d'une époque. La finance mondiale ne ressemblera plus dans les prochaines années à celle que nous avons connue.
Ce n'est plus seulement une crise américaine mais une crise du système financier international : aucune région du monde n'est épargnée.
Depuis de nombreuses années, des voix s'étaient élevées pour dénoncer les déséquilibres croissants au sein de la sphère financière, une exposition au risque déraisonnable de nombreux acteurs et la faible capacité des contrôleurs financiers à maîtriser l'introduction rapide de produits financiers de plus en plus complexes.
Les résultats sont là : la sphère financière américaine est dans la tourmente ; les autorités américaines sont amenées à intervenir de manière toujours croissante pour éviter une crise systémique ; l'Europe et l'ensemble du monde subit les retombées de cette crise sans précédent depuis les années 1930.
La Présidence française a la conviction que les événements des jours passés renforcent la nécessité d'une Europe forte et unie dans le domaine économique et financier.
Nous devons d'abord apporter des réponses immédiates aux turbulences financières. L'Union économique et monétaire dispose, avec la Banque centrale européenne, d'une banque centrale puissante qui a su intervenir avec rapidité, détermination et efficacité lorsque les tensions ont été les plus vives, en étroite collaboration avec les autres grandes banques centrales. C'est un atout considérable dans ces temps de turbulence. Nous devons saluer l'action de la BCE qui reste prête à intervenir en toute circonstance.
En outre, face à l'accélération des turbulences dans les derniers jours, les autorités de régulation des marchés dans la plupart des Etats membres ont suivi les autorités américaines dans leur décision d'interdire pour une durée déterminée les "ventes à découvert". Cette mesure d'urgence est bienvenue car elle peut contribuer à calmer les tensions sur les marchés.
Les Etats membres n'envisagent pas à ce stade d'initiative du même type que celle que viennent d'annoncer les autorités fédérales américaines concernant le rachat à grande échelle de produits "toxiques" détenus par les acteurs financiers. Le système financier de l'Union reste globalement solide et n'appelle donc pas ce type de mesures, mais nous devons rester très vigilants et rien ne peut être exclu au nom d'une quelconque idéologie : c'est le réalisme et le pragmatisme qui doivent primer. Nous devrons si nécessaire faire face aux risques systémiques éventuels en utilisant tous les moyens à notre disposition.
Les interventions en urgence des banques centrales et des régulateurs sont cruciales, mais tous les experts reconnaissent qu'elles ne sont pas de nature à résoudre à elles-seules la crise. Il faut que les Européens prennent leurs responsabilités dans les autres domaines d'intervention qui leur incombent.
Nous devons apporter des réponses urgentes au ralentissement économique.
Nous devons aussi agir pour réformer notre système financier, selon deux axes forts.
Premier axe : une action législative et réglementaire rapide pour remettre de la transparence dans le système financier et responsabiliser les acteurs.
Les ministres des Finances ont rappelé à Nice, le 13 septembre, leur détermination à accélérer la mise en oeuvre de la "feuille de route" adopté en 2007 en réponse aux premiers signes de la crise financière.
Cette "feuille de route" pour répondre aux turbulences financières porte sur quatre actions-clés : la transparence, les règles prudentielles, la valorisation d'actifs, et le fonctionnement des marchés, y compris les agences de notation.
Il faut maintenant passer aux actes ; sur le contrôle des agences de notation, la révision des contrôles exercés sur les banques et sur l'adaptation des normes comptables qui ont sans doute joué un rôle procyclique. C'est une priorité forte pour la Présidence française.
Je comprends que la Commission proposera, d'ici peu, de modifier les deux directives sur les exigences en fonds propres, en vigueur depuis 2006. Cet exercice s'inscrira dans le cadre des travaux actuellement en cours dans différentes enceintes pour mieux répondre à la turbulence financière, y incluses les récentes recommandations du Forum pour la stabilité financière (FSF) du G7. Je compte sur la Commission pour présenter sa proposition sans délai et sur le Parlement pour dégager un accord avec le Conseil en première lecture avant la fin de cette législature.
Une proposition relative aux agences de notation est également attendue de la Commission d'ici quelques semaines. Cette proposition fera suite à l'invitation du Conseil ECOFIN de juillet 2008. Je compte sur la bonne volonté du Parlement européen pour arriver à un accord sur une proposition ambitieuse dans les meilleurs délais.
En outre, je note avec satisfaction qu'il a été décidé d'établir un groupe de travail pour étudier la façon dont la supervision prudentielle doit prendre en compte le caractère cyclique des évolutions. Des mesures concrètes devront en découler.
Ces éléments d'une réforme du secteur financier sont indispensables. Ils devront probablement être complétés par d'autres initiatives au gré de la poursuite de la réflexion européenne sur la crise financière. Le Parlement européen doit, dans ce cadre, jouer tout son rôle et la Présidence a pris note avec attention des récentes contributions des parlementaires. Je pense aux fonds spéculatifs (hedges funds), dont certains experts nous disent qu'ils sont les prochaines victimes de la crise. Je pense à la question des normes comptables, à la question des rémunérations dans le secteur financier dont nous devons nous saisir sans hésiter.
Dire, comme je l'ai entendu, de certains responsables européens, que le laissez-faire doit se poursuivre et qu'aucune réglementation ne s'impose est plus qu'une faute. Je le dis sans ambages : s'il faut réfléchir à une réglementation des hedges funds, l'Union européenne doit le faire.
Deuxième axe fondamental : le renforcement de notre dispositif de supervision financière.
Les ministres des Finances se sont félicités de l'accord des comités européens de régulateurs sur l'unification, d'ici 2012, des exigences relatives aux donnés transmises par les banques européennes aux autorités de supervision (unification des reportings). Ce sont de premiers résultats importants, mais ils doivent être suivis par d'autres.
Les ministres sont convenus de poursuivre les efforts visant une amélioration de la coordination du contrôle et de la supervision des acteurs financiers. La Présidence française attend des Etats membres et du Parlement européen une mobilisation forte sur le renforcement de l'intégration du contrôle prudentiel pour les groupes transfrontaliers. Il s'agit d'une priorité évidente à la lumière des derniers événements. L'Union doit se doter d'un système de supervision plus efficace et plus intégré pour être mieux en mesure d'affronter les crises financières. Les discussions de Nice ont permis de mesurer les attentes de tous les Etats membres, notamment s'agissant d'un équilibre satisfaisant dans la répartition des compétences entre superviseurs locaux et le superviseur de groupe. La Présidence est déterminée à tout mettre en oeuvre pour aboutir à un accord sur ces bases s'agissant des directives sectorielles en discussion (assurances et banques).
Mesdames et Messieurs les Parlementaires européens,
La France préside le Conseil de l'Union européenne en un moment de grandes turbulences. Dans ces circonstances difficiles, elle a pleinement conscience de ses responsabilités.
Le temps est venu de prendre des décisions importantes s'agissant de l'organisation de notre système financier, de sa place dans l'économie européenne et de son rôle au service du financement de la croissance.
L'Union n'a pas été inactive dans les douze derniers mois. La Présidence française peut donc s'appuyer sur les réflexions et les travaux déjà conduits. Le rapport que M. René Ricol a adressé au début de ce mois à la Présidence française reprend l'essentiel de ces réflexions et ajoute certaines propositions nouvelles. La Présidence compte s'appuyer sur ce rapport pour nourrir le débat avec le Parlement et les Etats membres.
Le Conseil européen d'octobre donne une première occasion de donner, au niveau européen, des orientations fortes.
Comme l'a indiqué le président de la République hier aux Nations unies, nous proposons également la réunion d'ici la fin de l'année d'une réunion internationale réunissant autour du G8 de grands pays émergents et les autorités de régulation financière. Notre but est de contribuer à dégager de premiers principes et de nouvelles règles communes au plan international pour refonder le système financier international. Par une telle initiative, l'Union européenne manifeste son attachement à une gouvernance mondiale rénovée et équilibrée.
La réponse européenne et internationale à la crise financière, doit être conçue à court, moyen et long terme. A court terme pour les interventions d'urgence. A moyen terme pour la rénovation de notre législation. A long terme pour conduire une réflexion plus globale sur la place de la finance dans notre modèle économique, en faveur de la croissance et de l'emploi.
Je vous remercie.