Interview de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à France Inter le 1er octobre 2008, sur l'action de l'Union européenne face à la crise financière internationale.

Prononcé le 1er octobre 2008

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand   L'invité de France Inter est, ce matin, précisément le Secrétaire   d'Etat aux Affaires européennes. J.-P. Jouyet, bonjour. Pour   paraphraser B. Guetta, d'un mot : la crise "une chance", entre   guillemets, pour l'Union ?  
 
Ecoutez, la crise ce n'est jamais une chance pour les citoyens, pour   ceux qui en sont victimes. Mais en tout cas, comme B. Guetta l'a   souligné, cela a montré, à travers les exemples de politique extérieur, la   guerre entre la Géorgie et la Russie, et d'autre part, ce qui est en train   de se passer sur le plan financier, que l'Union était en train de réviser   un certain nombre de ses dogmes, qu'elle était capable d'agir, et qu'elle   était capable d'agir rapidement, et il faut bien le constater, qu'avant   tout, la présidence française est devenue une présidence de gestion de   crise, voilà.  
 
Pour ce qui est des dogmes, est-ce que la Banque centrale   européenne va voir son statut ou sa politique évoluer sous la   pression politique, justement ?  
 
La Banque centrale européenne a déjà vu sa politique évoluer, elle a fait   preuve de pragmatisme. Quand vous mettez 120 milliards de liquidités   dans l'économie, lorsque vous assurez par là le fonctionnement du   marché bancaire, qui souffre aujourd'hui plus que tout d'un manque de   liquidités, vous réagissez. Après, c'est à la Banque Centrale européenne   qu'il [appartiendra] an vue de ce qu'est l'impact de la crise, à la fois,   sur le niveau des prix et à la fois sur le niveau d'activité, de dire quelles   conséquences elle en tire, en ce qui concerne le niveau de ses taux   d'intérêt.  
 
Ce sujet est sur la table du G4 de samedi, si je ne m'abuse ?  
 
Il y a plusieurs séquences à bien avoir en tête. La première est tout ce   qui a trait aux propositions - et B. Guetta y a fait allusion - qui vont   toucher à la coordination internationale. C'est-à-dire que, face à cette   crise, il faut une régulation internationale qui va se cristalliser,   notamment lors des réunions du G7 des ministres de l'Economie et des   Finances, qui aura lieu dans une semaine, en marge des assemblées   annuelles du Fonds monétaire et de la Banque mondiale. Pour préparer   ces réunions, il est légitime que les Etats de l'Union européenne et les   institutions qui participent à cette réunion se coordonnent auparavant,   c'est-à-dire, la France, l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, ainsi   que le président de la Commission, le président de l'Eurogroupe, qui   représente notre monnaie commune, l'euro, et bien évidemment, le   président de la Banque centrale européenne, pour préparer ce que   l'Europe va dire à ses partenaires, américains et japonais, la semaine   prochaine. Et puis, il y a une seconde séquence, qui est la préparation   des mesures que l'Europe devra prendre, au stricte niveau européen, et   qui devront être prises en vue du Conseil européen du 15 octobre qui   sera en grande partie consacré, d'une part, à l'analyse que font les chefs   d'Etat et de Gouvernement de la situation économique et financière.   Deuxièmement, au renforcement des mesures de régulation qui devront   être prises - B. Guetta l'a également indiqué - plus de régulation et de   contrôle des risques...  
 
Ça veut dire un gendarme européen, par exemple ?  
 
Ça voudrait dire, vous avez tout à fait raison, que nous devons aller vers   un gendarme européen, en ce qui concerne le fonctionnement des   marchés, en ce qui concerne la supervision des banques et des   assurances. Ça voudrait dire un renforcement de régulateurs européens   dans tout ce qui concerne les mécanismes financiers, je ne veux pas être   trop technique.  
 
Nos partenaires sont d'accord là-dessus ou pas ?  
 
Je pense qu'il y a un large accord pour dire que, aujourd'hui n'est plus   comme hier, et que les dogmes qui ont valu au niveau européen, en ce   qui concerne la libre concurrence, en ce qui concerne le fait qu'on   s'interdirait d'avoir des aides d'Etat, en ce qui concerne le fait qu'il n'y   a que les régulations au niveau financier alors que les groupes sont   essentiellement transnationaux, travaillent dans différents pays, que les   risques qui peuvent affecter les Pays-Bas, la Belgique, l'Irlande, le   Royaume-Uni, affectent la France également, nécessitent une autre   organisation de la régulation au niveau européen. Et là, effectivement,   on manque d'un gendarme et d'une organisation...   
 
D'une agence de notation, aussi ?  
 
D'une agence de notation ? Non. Ce qu'il faut pour les agences de   notation, c'est qu'elles soient davantage contrôlées dans leur activité,   qu'elles soient davantage transparentes, et qu'on puisse les enregistrer.   Il y a un mécanisme d'enregistrement des agences de notation, que l'on   sache effectivement comment elles fonctionnent, où elles fonctionnent,   et ce sur quoi elles fonctionnent.  
 
Quand vous dites qu'il appartient à la Banque centrale européenne   de tirer les conséquences de la crise des marchés financiers sur les   taux, vous voulez dire quoi précisément ?  
 
Je veux dire que, ce qu'elle... elle l'a déjà fait, en injectant massivement   des liquidités. La Banque centrale européenne a trois types de   fonctions. La première c'est d'assurer la liquidité du marché, c'est fait,   120 milliards à mettre en rapport avec un plan qui n'est pas encore voté,   j'allais dire malheureusement, aux Etats-Unis, de 700 milliards de   dollars. Deuxièmement, elle a pour vocation d'assurer la supervision   des établissements bancaires européens en liaison avec les banques   centrales nationales, et cela doit être renforcé. C'est pour ça aujourd'hui   que vous avez des mesures nationales, et des mesures qui sont   coordonnées au niveau européen, et qu'il n'y a pas encore au niveau de   l'Europe intégrée une réponse qui soit donnée à la situation des   établissements financiers, parce qu'il n'y a pas encore d'intégration   financière et économique qui soit suffisante. Et le troisième point, c'est   bien sûr, ce qu'elle doit tirer comme conséquences au niveau de la   gestion des prix et des taux d'intérêt.  
 
Ce qui veut dire ?  
 
Ce qui veut dire...  
 
Baisser ?  
 
...vous ne me ferez pas aller au-delà de ce que je peux indiquer dans   mes fonctions, c'est que, c'est à la Banque centrale européenne, compte   tenu de l'impact qu'a la crise financière sur l'économie réelle, sans   doute plus forte en Europe qu'aux Etats-Unis, à cause d'un paradoxe,   c'est que nos banques sont plus saines, c'est que nos banques sont plus   fortes, ce sont des banques de dépôts, aux Etats-Unis, vous avez des   banques d'investissement, des banques spécialisées dans   l'hypothécaire, en Europe, vous avez des banques généralistes, comme   il existe des médecins généralistes, des médecins spécialistes. Et en   gros, les médecins généralistes aujourd'hui soignent mieux. Bon.   Compte tenu de cela, il se peut aussi que nos banques aient   effectivement, pour consolider leur position, pour être saines, une   certaine tendance à restreindre le crédit qui est offert ou à renchérir le...   
 
C'est un vrai risque.  
 
Oui, c'est un risque qui existe aujourd'hui en Europe, il a existé aux   Etats-Unis, il existe en Europe, mais sans qu'il y ait de conséquences   systémiques, si vous voulez, parce que ce qu'il faut noter c'est que, à la   grande différence, et dire à nos auditeurs, par rapport à ceux qui ont des   emprunts, par rapport à ceux qui ont des prêts immobiliers, c'est que la   grande différence par rapport aux Etats-Unis, par rapport au monde   anglo-saxon, c'est qu'en France, les trois-quarts des crédits que vous et   moi on contracte, ce sont des crédits à taux fixe, ce ne sont pas des   crédits à taux variables. Donc, de ce point de vue-là, nous sommes   mieux protégés des effets de la crise que nos voisins outre-Atlantique.  
 
Vous quittez le Gouvernement ?  
 
Il n'est pas du tout question de quitter le Gouvernement, il est question   dans cette situation-là, d'être véritablement impliqué dans l'action, de   gérer la crise financière, et de faire en sorte d'être le plus utile au   Gouvernement, au président de la République, et au Premier ministre en   faisant en sorte de faire un certain nombre de propositions et d'être dans   l'action.  
 
Vous démentez donc les informations du Parisien ce matin qui   disent que vous quitterez le Gouvernement au terme de la   présidence française de l'Union, c'est-à-dire, en 2009 ?  
 
Ce que j'ai dit, et B. Guetta me connaît bien, c'est que j'ai davantage   une vocation d'être serviteur de l'Etat, que je remplirai ces fonctions là   où on me demandera de les conduire, que vocation à faire véritablement   de la politique active. C'est tout ce que j'ai dit.  
 
Mais ça veut dire, hors ou en-dehors du Gouvernement ?  
 
Ca, il appartient au président de la République et au Premier ministre de   l'indiquer.  
 
Mais vous avez tout de même voix au chapitre, ou une petite   préférence ?  
 
J'ai bien sûr voix au chapitre et une préférence. Ce que je dis c'est que,   le plus utile c'est qu'aujourd'hui, je suis dans l'action, ce sont des sujets   qui me passionnent, je crois avoir une valeur ajoutée. Tout ce qui sert   l'Europe, tout ce qui concourt véritablement au renforcement de la   régulation financière, ce sont des sujets qui me passionnent, je remplirai   les missions qui sont celles qui me seront confiées par le président de la   République et le Premier ministre.  
 
Mais alors, dites-le nous ! Vous quittez le Gouvernement ou pas   alors ?  
 
Non, non, je vous réponds très clairement, non !  
 
Vous ne quittez pas le Gouvernement ?  
 
Non, voilà !  
 
Donc, vous démentez l'information du Parisien ce matin, vous dites   que...  
 
Je ne l'ai même pas lue !  
 
Je vous la lis : "Démission en 2009. Début 2009, après la présidence   française de l'Union, J.-P. Jouyet quitte le Gouvernement".  
 
On va voir, d'une part, ce qui se passera et quels seront les choix du   président de la République...  
 
Vous ne démentez pas... 
 
 ...au début de l'année, quels seront les choix du président de la   République au début de l'année, en 2009. En ce qui me concerne, je   suis dans ces fonctions engagé dans le traitement de cette crise   financière qui me paraît objectivement, par rapport à nos auditeurs,   beaucoup plus important que ce que peut...  
 
Oui, mais on peut savoir s'il y a un pilote dans l'avion européen ?  
 
Il y a un pilote dans l'avion européen. Il est clair qu'il s'appelle N.   Sarkozy, c'est bien comme ça, il a très bien géré la crise géorgienne, il   est très impliqué dans la crise financière, et de ce point de vue-là, pour   répondre à votre question très directement, ce n'est pas le problème du   pilote qui se pose actuellement.  
 
Bon, dans dix minutes, vous êtes encore Secrétaire d'Etat aux   Affaires européennes, pour répondre aux auditeurs de France   Inter ?  
 
Oui, et pour beaucoup plus longtemps.  
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 octobre 2008