Texte intégral
O. Galzi.- Bonjour William, bonjour à vous. Bonjour monsieur Thibault. Bonjour. L'économie mondiale traverse une crise exceptionnelle, "la pire depuis les années 30", a dit le Chef de l'Etat, qui doit prononcer un discours, ce soir, à Toulon, très attendu. Vous en attendez quoi, vous, de ce discours ?
Eh bien, déjà, qu'il permette de ne pas se tromper sur le diagnostic. J'ai entendu les premières déclarations du chef de l'Etat qui, sur cette crise, cherche d'abord à trouver des coupables. Je pense que l'on ne peut pas laisser entendre qu'il suffirait de trouver des responsables, pris individuellement, indépendamment de l'analyse que nous avons à faire sur le système économique mondial, qui est très critiquable - et le mouvement syndical à l'échelle de la planète le dénonce depuis de longues années - qui est critiquable en ce sens où l'on privilégie la financiarisation de l'économie, ce sont les marges financières qui guident les décisions économiques, dans certains Etats, de certains établissements financiers, naturellement, au détriment du facteur social et du développement durable. Il y a donc un système économique à repenser. Nous ne sommes pas à l'abri, loin s'en faut, en Europe, contrairement, je crois, à ce que dit la ministre de l'Economie, selon laquelle nous serions un peu plus protégés que les autres. Non, je pense que l'on n'est pas du tout au bout de nos peines vis-à-vis de cette crise. Ça doit donc être une opportunité pour se re-pencher sur des modifications fondamentales du système économique.
Alors, sur le contenu, et c'est assez secret, mais le chef de l'Etat pourrait revenir sur l'interdiction des fameux parachutes dorés, ces bonus accordés aux patrons qui ont échoué, finalement. C'est quelque chose que vous réclamez, ça ?
Il y a longtemps que nous dénonçons le niveau des rémunérations exorbitantes, parfois, que bénéficient les chefs d'entreprise. Mais, je dirais que par rapport à la crise internationale, ça deviendrait accessoire que de ne se pencher que sur ce facteur-là. Moi, j'aimerais bien que le Président reprenne l'examen d'une des suggestions que nous faisons depuis des années à la CGT, la constitution d'un pôle public de financement dans l'économie, notamment pour permettre des investissements productifs, pour investir sur la formation des hommes, sur les nouvelles technologies. Je remarque que cette crise aux Etats-Unis est surprenante, à maints égards : lorsque ça va bien, il y a des profits, les actionnaires engrangent leurs plus-values ; lorsque ça va mal, il y a une catastrophe pour ces établissements financiers ou les actionnaires, on demande à l'Etat de combler les pertes, autrement dit on nationalise les pertes et on privatise les profits.
Eh bien, finalement, vous dites la même chose que le chef de l'Etat, c'est ce qu'il a dit à New York.
Oui, mais je pense que le chef de l'Etat ne peut pas s'étonner de l'effet d'un système, dont, en tant que responsable politique, il a largement contribué, par ses propres choix et son approche, à façonner. Les responsables politiques s'aperçoivent qu'ils sont des spectateurs d'un système économique qui leur échappe. Mais c'est aussi le résultat de choix qu'ils ont eux-mêmes portés, une certaine conception de l'économie.
Alors, pour que les syndicats ne soient pas spectateurs de ce nouveau système mondialisé, qu'est-ce que vous comptez faire ?
Eh bien nous sommes en train de préparer, concours de circonstances, une grande journée de mobilisation mondiale, ça va être une première, le 7 octobre, pour la défense du travail décent, dans le monde entier. Pour la première fois, dans une centaine de pays, l'ensemble des syndicats va se mobiliser. Six syndicats français sur huit appellent à faire de cette journée, le 7 octobre, une grande journée de mobilisation, sur des questions de salaire, questions de pouvoir d'achat, sur des questions d'emploi, de défense des services publics, et nous serons avec des millions de salariés d'autres continents, à dénoncer des mécanismes économiques, qui jouent au détriment du social et du développement durable.
Et la capitale de cette initiative, ce sera la France. C'est quelque chose que vous voulez pérenniser, ça, une sorte de mondialisation de l'action syndicale ?
Progresser sur la capacité du syndicalisme, face à une économie de plus en plus mondialisée, face à des multinationales qui, on le voit, raisonnent indépendamment des territoires, elles raisonnent sur l'implantation de leur activité, en fonction de leurs propres intérêts, indépendamment des répercussions qu'elles génèrent, par des fermetures, des délocalisations d'entreprises. Nous devons et nous avons à progresser sur cette capacité du mouvement syndical, à coordonner des messages, des initiatives et aussi des actions à l'échelle mondiale. C'est ce qui va se faire le 7 octobre, et j'espère que les salariés français répondront massivement à cet appel.
Alors, pour parler de la France, vous appelez à la grève chez Renault ; aujourd'hui, le groupe doit détailler son plan. 2 000 suppressions de postes, 900 en France. Quelle est votre position là-dessus ?
C'est assez révélateur du phénomène de crise globale que nous rencontrons. Renault est une entreprise de l'industrie automobile, naturellement, qui dégage des marges, en produisant des voitures aujourd'hui. Ce pourquoi, d'après la direction de Renault, il faut restructurer, voire fermer les unités de production, c'est pour accroître les marges financières.
Mais les marges c'est bien, c'est la compétitivité des entreprises françaises, c'est important les marges.
Oui, mais la compétitivité n'a aucun sens, la preuve, ça peut aboutir à des crises considérables, si on n'est que sur des compétitivités de nature financière, si c'est la marge financière qui guide les choix. Notre pays est très impacté par ce qui se fait au plan industriel. D'ailleurs, dans les demandes que nous formulons, nous souhaiterions qu'une conférence sur l'avenir industriel de notre pays soit organisée par les pouvoirs publics ; il ne suffit pas de dénoncer les dégradations, encore faut-il que les responsables politiques soient aux manettes, soient à l'initiative. Il y a à réfléchir sur l'avenir des emplois industriels, 4 millions d'emplois industriels directs, et donc dix à douze millions d'emplois concernés par ce qui se fait dans l'industrie. Lorsque Renault supprime une unité de production, ça a un impact considérable sur des régions très importantes.
La Poste, un quart des postiers se sont mobilisés mardi, un peu plus selon vos chiffres. Ça vous convient, comme chiffres, ou...
Je pense que comme première journée de mobilisation, c'était important d'avoir ce niveau de participation.
C'est beaucoup moins, quand même, que ce que l'on avait connu en 95 ou en 2003 pour les retraites.
Non, mais, ne comparons pas des périodes qui n'ont pas à être comparées. 40 % de grévistes pour cette première journée, c'est important. Les enquêtes d'opinion qui montrent qu'une majorité de Français ne souhaite pas un changement du statut de La Poste, souhaite son maintien en statut public et des missions de service public, je pense que maintenant il faut continuer à ancrer la mobilisation de la population, des élus locaux - je remarque d'ailleurs que des élus locaux de tout bord se mobilisent, parce qu'ils sont aussi soucieux de la disparition de services publics tels que La Poste, tels que l'hôpital, parfois des activités ferroviaires sur leur circonscription. Donc, je pense que cette pression est nécessaire, elle doit s'accroître, dans cette séquence où pour l'instant il n'y a pas de décision politique prise par le Gouvernement. Il y a une observation.
Le Gouvernement, par la voix de L. Chatel, a dit : il n'y a pas de remise en cause des points de vente de La Poste, il n'y a pas de remise en cause du service public. Ça ne vous rassure pas ?
Chacun sait bien que ça n'est déjà pas la réalité aujourd'hui. Il y a un vrai besoin de débat public sur les finalités, les attentes de nos concitoyens sur La Poste, quelles doivent être ses missions, quelle doit être la consistance du réseau, comment réunir les moyens financiers correspondant à ses missions, en étant d'accord sur la nature des investissements ? Il serait inutile, par exemple, que La Poste réunisse des moyens financiers ou que la collectivité confie à La Poste des moyens de financement public plus importants, si c'est pour faire des opérations hasardeuses, ça n'est vraiment pas le moment, aujourd'hui.
Il faudra bien, quand même, que La Poste s'adapte à la concurrence qui arrive, concurrence totale à partir de 2011.
Oui, mais justement, c'est le débat que nous souhaitons avoir. Comment La Poste, entreprise publique, avec des missions de service public, va pouvoir davantage mieux répondre aux attentes de nos citoyens ? C'est ce débat-là que nous voulons avoir.
Un mot sur l'Union des industries et des métiers de la métallurgie, l'UIMM, qui doit décider ce matin de l'affectation de ses réserves, 600 millions d'euros. Une partie devrait partir à la Caisse d'entraide pour les patrons, en cas de grève. Ça vous choque ?
Oui, ça me choque, depuis l'origine. C'est un scandale et je redis ce matin qu'il n'est pas normal qu'il n'y ait pas d'investigations sur le procédé qui a consisté pendant des dizaines d'années, à ce qu'une organisation patronale puisse prélever des fonds anti-grève. Ce ne sont pas des cotisations à une organisation...
C'est prévu par le droit du travail.
Non !
Ça s'appelle une caisse de mutualisation. Ça existe en Finlande...
Ça, il s'agit de... Non, mais, je ne sais pas quel est le système qui existe en Finlande...
Ou en Allemagne.
Moi, je veux savoir comment il est possible qu'en France, pendant des décennies, une organisation puisse détourner des dizaines de millions d'euros, pour une caisse noire. C'est de l'argent prélevé sur le compte des entreprises. On nous parle de transparence sur beaucoup de sujets, pourquoi il est impossible de connaître quelles sont les entreprises qui ont donné de l'argent, sur quels comptes sont prélevés ces moyens et pour quelle finalité ? Il n'y a pas, il n'y a pas eu d'investigation jusqu'à ce jour sur les mécanisme de financement de cette caisse opaque, alors que, selon moi, ça peut s'approcher, ça peut s'apparenter, de l'abus de bien social.
Dernière question. Ça fera un an demain que le scandale de l'UIMM a éclaté. On ne sait toujours pas, vous l'avez dit, qui a profité des 19 millions d'euros, en espèces, qui ont été versés. Dans son livre, F. Chérèque, votre confrère de la CFDT, parle d'une amnistie qui serait préparée par le président de la République. Vous en avez entendu parler, une amnistie générale ?
Non, il a démenti. Bon, F. Chérèque a relaté des conversations qu'il avait eues avec le président de la République, et je ne suis pas le témoin de ces conversations.
Elle vous choquerait, cette amnistie, si elle avait lieu ? Vous la dénonceriez ?
Eh bien je pense qu'il ne pourrait pas y avoir. Ce que je demande, moi, c'est qu'il y ait une ouverture de procédure pour démonter le mécanisme de financement de cette caisse noire de l'UIMM, dont la CGT et les militants de la CGT ont été très longtemps les victimes, voire les cibles. Ça a été une caisse antigrève, c'est d'ailleurs repris en ces termes, ce matin, par plusieurs de vos confrères de la presse écrite. Rien n'a été fait dans ce domaine, c'est dire que l'on ne peut pas, en plus, envisager une amnistie de ceux qui auraient été à l'origine de détournements de fonds des entreprises.
Merci monsieur Thibault.
Merci.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 25 septembre 2008