Déclaration de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, sur les initiatives internationales de lutte contre l'utilisation des enfants dans les conflits armés, à New York le 26 septembre 2008.

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Circonstance : Déplacement à New York à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies du 22 au 27 septembre-réunion ministérielle de suivi des principes et engagements de Paris sur les enfants soldats, le 26 septembre 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres
Madame la Représentante spéciale,
Madame la Directrice exécutive,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Près d'un an après la réunion ministérielle de suivi de la conférence de Paris "libérons les enfants de la guerre", qui s'était tenue ici-même en octobre 2007 et à laquelle nombre d'entre vous avaient pris part, nous voici ensemble à nouveau pour évoquer le sort tragique des enfants soldats. Votre participation témoigne de notre détermination commune à continuer à lutter contre ce fléau. Je veux saluer cette constance dans le combat, notre persévérance dans l'action.
On estime à environ 250.000 le nombre d'enfants enrôlés de gré ou de force dans des groupes armés, des milices paramilitaires, et même parfois dans des unités régulières : c'est un effectif énorme, celui d'une véritable armée, malheureusement constituée de jeunes garçons et filles qui, une fois asservis, deviennent des tueurs, des espions, des messagers ou des domestiques à tout faire, quand ils ne sont pas transformés en esclaves sexuels.
Ils ne connaîtront jamais "le vert paradis des amours enfantines", dont parler Charles Baudelaire. Leur innocence a été en effet méthodiquement détruite par la folie meurtrière des adultes. Une fois les conflits achevés, leur réinsertion s'avère particulièrement difficile, tant en raison des traumatismes subis, que de l'ostracisme dont ils font le plus souvent l'objet de la part de leurs aînés. Il est de notre devoir de briser ce cercle vicieux de la violence et de l'indifférence.
Alors, face à l'ampleur et à la gravité de ce phénomène, qu'avons-nous fait depuis un an ? Sommes-nous restés les bras croisés ?
Non, depuis la réunion ministérielle de suivi de l'an dernier, nous ne sommes pas demeurés inactifs, loin de là, comme en témoignent les multiples initiatives prises tout au long de l'année écoulée.
Le groupe de travail du Conseil de sécurité, que mon pays a l'honneur de présider depuis sa création, a substantiellement avancé dans la réalisation de son programme de travail. Onze situations problématiques ont été d'ores et déjà traitées. Le groupe de travail devrait prochainement se pencher sur les trois derniers cas en suspens, dont deux ne sont apparus que récemment. En outre, des progrès concrets et significatifs ont pu être enregistrés sur le terrain grâce à son action. Plusieurs milliers d'enfants ont ainsi été libérés et sont désormais en voie de réintégration. Pour la première fois, l'ensemble des parties belligérantes précédemment pointées du doigt dans un pays, à savoir la Côte d'Ivoire, ont été rayées de la liste des situations problématiques.
Ces avancées substantielles n'auraient pu être réalisées sans la détermination des membres du Conseil de sécurité, que je salue. Mais nous savons qu'elles doivent aussi beaucoup à la représentante spéciale du Secrétaire général sur les enfants dans les conflits armés, Mme Coomaraswamy, ainsi qu'à l'Unicef, auxquels je tiens à rendre hommage. Je souhaite également souligner la coopération, pour certains d'entre eux sur une base volontaire, de l'ensemble des pays affectés par ce fléau. Qu'ils en soient chaleureusement remerciés !
La justice pénale internationale a quant à elle marqué cette année de nouveaux points dans la lutte contre l'impunité, notamment avec l'arrestation du chef de guerre congolais Mathieu Ngudjolo Chui, désormais inculpé pour le recrutement et l'utilisation d'enfants de moins de quinze ans. La Cour pénale internationale nous rappelle opportunément que la lutte contre l'impunité n'est pas un mot creux et que ceux qui détruisent l'humanité auront à répondre de leurs crimes, quel que soit leur rang. Permettez-moi de m'en réjouir. Il n'y a pas de dissuasion sans sanction. Il n'y aura pas de paix durable, de justice pour les enfants, sans sanction pour leurs bourreaux.
L'Union européenne a pour sa part décidé en décembre dernier d'étendre à dix-neuf pays la liste des situations prioritaires qu'elle suivra et où elle interviendra à l'avenir. Elle a par ailleurs procédé à l'actualisation de ses lignes directrices sur ce sujet afin de renforcer son implication dans ce combat.
A titre bilatéral, la France a créé deux postes d'attachés de coopération régionale en Afrique qui sont chargés de suivre de manière spécifique la question des enfants dans les conflits armés et de mettre sur pied, grâce à une dotation globale de deux millions d'euros, divers projets en faveur des enfants soldats, qui répondront aux exigences énoncées par les engagements et principes de Paris. La France a par ailleurs décidé de contribuer aux programmes de réintégration d'anciens enfants soldats menées par l'Unicef à hauteur de deux cent mille euros au Burundi.
J'ai le plaisir de vous annoncer aujourd'hui que la France affectera sept cent mille euros supplémentaires aux actions de réintégration menées par l'Unicef en RDC, cent cinquante mille euros à celles réalisées au Tchad, et deux cent mille euros à celles mises en oeuvre au Népal, notamment en faveur des jeunes filles.
En dépit de notre engagement commun, beaucoup reste à faire.
Réapparition des enfants sur les champs de bataille à chaque fois que les combats reprennent, que ce soit en République démocratique du Congo, ou au Soudan, présence persistante de ceux-ci en Birmanie, inscription cette année sur la liste du Conseil de sécurité des situations préoccupantes en République centrafricaine et en Afghanistan : ces nombreux éléments nous rappellent quotidiennement le caractère éternellement inachevé de ce combat contre la tragédie des enfants soldats. Comme toujours, la communauté internationale doit rester mobilisée et redoubler d'efforts.
C'est pourquoi nous avons pris l'initiative avec l'Unicef et la représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants dans les conflits armés de mettre sur pied le forum de suivi des Engagements de Paris : c'est ce nouveau cadre qui nous réunit aujourd'hui-même. Il procède d'un constat simple : en dépit de son efficacité grandissante, le dispositif de lutte contre les enfants soldats tel qu'il existe actuellement vise davantage à les libérer qu'à assurer leur retour à la vie civile. Or, les programmes de réinsertion sont un élément capital pour éviter durablement le recrutement d'enfants et éradiquer définitivement ce fléau. Cette indispensable réinsertion doit associer des actions en matière de santé, d'éducation, et d'emploi et des financements de long terme, souvent difficiles à garantir.
Le forum de suivi doit jouer à cet égard un rôle particulièrement utile. Deux fois par an, il sera un lieu de rencontre entre les besoins existants en matière de réinsertion et l'offre des donateurs ainsi que d'échanges d'informations. Dans ce cadre :
- les Etats affectés par ce drame pourront annoncer les mesures prises en faveur de la réintégration des enfants, mais également indiquer leurs besoins d'assistance non couverts ;
- l'Unicef, en liaison avec les Etats affectés, les autres agences des Nations unies et les ONG, y présentera, ce que fera tout à l'heure la directrice exécutive, des projets de démobilisation et de réintégration requérant des financements ;
- les donateurs pourront indiquer les programmes qu'ils ont récemment financés et s'engager le cas échéant à contribuer au financement de projets présentés lors du forum ;
- les participants pourront coordonner leurs programmes de réinsertion, que ce soit au stade de l'étude ou à celui de la mise en oeuvre, et partager leur expérience ainsi que des bonnes pratiques en matière de réinsertion et de réintégration des enfants associés aux conflits armés.
Enfin, le forum de suivi pourra également servir de lieu d'annonce et d'enregistrement des nouveaux soutiens aux Engagements de Paris. Je me réjouis que plusieurs d'entre vous aient décidé d'annoncer aujourd'hui leur adhésion à ces Engagements.
Outre le bilan de ces Engagements, le forum permettra également de dresser celui de la mise en oeuvre des Principes de Paris, lesquels constituent une actualisation plus qu'opportune des principes du Cap, mettant l'accent sur la nécessité de programmes pluriannuels et associant les communautés locales, la difficile question des jeunes filles, ainsi que sur celles de la justice et des enfants réfugiés ou déplacés. Les partenaires les plus impliqués, réunis au sein d'un "comité de pilotage sur les principes de Paris", se sont d'ores et déjà attelés à la tâche et, une représentante de l'International Rescue Committee nous exposera dans quelques instants les principales conclusions de l'étude menée sur l'application de ces principes et engagements.
L'esprit de ce forum, son objectif, est d'assurer que nous tous, donateurs, pays affectés, organisations internationales, ONG, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour coller au plus près des réalités du terrain et pour que notre action commune réponde aux besoins et attentes des enfants.
En cette année du soixantième anniversaire des Droits de l'Homme, à un an du vingtième anniversaire de la Convention relative aux droits de l'enfant, l'éradication de ce fléau qui touche tant d'enfants, est une exigence. Il n'avancera pas sans notre capacité d'indignation, sans notre mobilisation, à toutes et à tous.
Je vous remercie de votre attention et j'ai le plaisir maintenant de donner la parole à la représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés, Mme Radhika Coomaraswamy.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2008