Déclaration de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, sur les défenseurs des droits de l'homme, à Bruxelles le 7 octobre 2008.

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Circonstance : Déplacement à Bruxelles à l'occasion du Colloque sur les défenseurs des droits de l'homme, le 7 octobre 2008

Texte intégral

Monsieur le Commissaire européen, Cher Jacques Barrot,
Madame la Présidente, Hélène Flautre
Madame la représentante des Nations unies à Bruxelles, Madame Bassir-Pour,
Mesdames les Présidentes et Messieurs les Présidents d'ONG,
Mesdames et Messieurs,
En prenant la parole devant vous, je songe à la cohorte admirable de celles et de ceux que l'on appelle les "défenseurs des Droits de l'Homme". Dans la nuit des dictatures, ils font luire l'espérance ; dans l'oppression du mensonge, ils font entendre la voix de la conscience et de la vérité. Ces défenseurs, hommes et femmes, sont les irremplaçables et courageuses vigies de ces valeurs universelles consacrées par la Déclaration de 1948 dont nous célébrons le 60ème anniversaire cette année. Anonymes ou célèbres, ils incarnent et portent au fond cet idéal de liberté : les mères de la place de Mai, Mandela, Havel, Sakharov, U Tin Win...
En m'exprimant devant vous, je pense à toutes ces visites réalisées au cours de ces derniers mois, et à toutes ces situations portées à ma connaissance : je pense à la République démocratique du Congo, à ces milliers de femmes violées et mutilées dans l'est du pays, dans les Kivus ; je pense à l'Afghanistan, où les femmes sont assassinées parce qu'elles ont osé promouvoir l'éducation des filles ; je pense au Pakistan, où des femmes, là encore, sont assassinées, enterrées vivantes.
Et dans chacun de ces pays se lèvent pourtant des âmes irréductibles, qui portent témoignage, jamais découragées, solitaires et solidaires.
L'histoire des Droits de l'Homme, comme vous le savez, ce n'est ni l'histoire d'une marche triomphale, ni l'histoire d'une cause perdue d'avance. C'est celle d'un combat, d'un combat quotidien : parfois contre la tradition, contre l'ordre établi, toujours contre l'ignorance et les préjugés.
C'est également l'histoire d'une détermination : celle de femmes et d'hommes originaires des cinq continents qui se retrouvent un jour propulsés "défenseurs des Droits de l'Homme". Par rejet de l'injustice. Par la foi en la dignité de l'homme et en l'existence de droits inaliénables et inhérents à la personne. Ils sont journalistes, syndicalistes, militants associatifs, responsables politiques ou simples citoyens engagés, parfois connus, mais le plus souvent anonymes, ils sont armés de leur seule espérance en un monde plus juste. Dans des conditions extrêmement difficiles, souvent au péril de leur vie, ils se battent jour après jour pour faire prévaloir l'universalité des droits.
Alors, je l'ai dit tout à l'heure, nous célébrons cette année le 60ème anniversaire de la déclaration universelle des Droits de l'Homme. Nous sommes sous sa bannière et je salue ici l'un de ses rédacteurs, Stéphane Hessel, grand résistant et ambassadeur de France. J'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, Monsieur Hessel, mais je crois qu'il n'est pas inutile de réaffirmer la profonde reconnaissance qui est la mienne et celle de la France pour ce que vous avez accompli, aux côtés d'un autre Français d'exception, René Cassin, et d'Eléanor Roosevelt.
Nous célébrons également cette année le 10ème anniversaire de la Déclaration adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies, "sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de société, de promouvoir et protéger les Droits de l'Homme et les libertés fondamentales universellement reconnus", en d'autres termes, la déclaration sur les défenseurs des Droits de l'Homme.
L'existence de cette déclaration ne met pas pour autant les défenseurs à l'abri : ils restent toujours des témoins gênants, des trouble-fêtes des dictatures et de la répression, des "individus isolés" pour reprendre la formule du philosophe Claude Lefort qui traduit si bien la précarité de la condition de celles et ceux qui osent réclamer plus de justice, plus de liberté, plus d'égalité et de fraternité.
Dans son rapport 2006, l'Observatoire mis en place par la Fédération internationale des ligues des Droits de l'Homme et l'Organisation mondiale contre la Torture dont je salue les présidents, Madame Belhassen et Monsieur Sottas, a recensé 17 assassinats et 110 arrestations arbitraires de défenseurs... Le rapport 2007 décrit une situation tout aussi alarmante, tant ce type d'arrestations, les condamnations au terme de procès inéquitables ou encore les placements en résidence surveillée se sont poursuivis.
Est-ce à dire que, nous, nous n'avons pas été, nous gouvernements et responsables politiques, suffisamment actifs pour les aider, pour vous aider ? Que nous n'avons pas su être aux côtés de celles et ceux qui, pour reprendre l'expression utilisée dans le rapport 2007 de l'observatoire, "témoignent au nom des victimes et demandent justice pour les plus faibles" ?
Peut être, car l'ampleur de la tâche est immense. Pour autant, vous le savez, beaucoup est mis en oeuvre.
L'Union européenne, et cela vient d'être rappelé par Jacques Barrot, a fait de la "défense des défenseurs" une de ses priorités. Des lignes directrices sur les défenseurs des Droits de l'Homme, fixant les grandes interventions en leur faveur ont été adoptées en 2004. Elles prévoient notamment que les ambassades des Etats membres européens entretiennent des contacts réguliers avec eux, se préoccupent de leur sort, effectuent lorsque cela est nécessaire des démarches auprès des autorités locales, mais aussi envoient des observateurs aux éventuels procès.
La France, de façon bilatérale ou au niveau de l'Union européenne avec ses partenaires, intervient aussi en faveur des journalistes, des prisonniers politiques, de dissidents, de condamnés à mort qui sont, trop souvent embastillés, pourchassés et malheureusement exécutés parce qu'ils sont simplement défenseurs des Droits de l'Homme. Je discutais hier avec M. Roth de Human Rights Watch, dont l'un des observateurs en Ouzbékistan ne pouvait pas être accrédité. C'est dire l'image, le poids politique sans doute que peuvent revêtir les défenseurs des Droits de l'Homme.
Ainsi la France et l'Union européenne interviennent en moyenne sur une vingtaine de cas par mois, sur tous les continents.
Vous connaissez les exigences de ce travail patient, obstiné, difficile qui est tout aussi essentiel que l'affirmation des principes universels. Et ce travail concret passe par une action de l'ombre, beaucoup de négociations souvent, qui ne souffrent pas toujours de lumière médiatique. Parce que, évidemment, tout ne s'arrête pas aux actions sous les feux de la rampe ou aux discours !
Les ambassades, quant à elles, qui sont au contact du terrain, jouent un rôle essentiel d'alerte et d'accueil pour les défenseurs des Droits de l'Homme.
C'est la raison pour laquelle d'ailleurs j'ai souhaité, avec le ministre Bernard Kouchner, que nos ambassades puissent devenir de véritables Maisons des Droits de l'Homme, que lorsque les défenseurs des Droits de l'Homme dans un pays ont des ennuis, qu'ils puissent taper à la porte de l'ambassade de France et trouver une porte ouverte. Dès que j'ai été alertée du fait que certaines portes étaient restées fermées, nous avons remédié à cela.
Nos ambassades à travers le monde ont donc pour claire instruction de mettre en oeuvre les lignes directrices de l'Union européenne sur les défenseurs des Droits de l'Homme : elles doivent informer de toute menace à leur encontre, les soutenir, et financer les actions de coopération, de formation, ou d'aide à la création d'instances nationales de protection des droits. A titre d'exemple, nous avons soutenu en mars dernier en République démocratique du Congo, l'organisation par l'ONG "Frontline" - dont je salue d'ailleurs l'action formidable sur le terrain - d'un atelier sur les lignes directrices de l'Union européenne sur les défenseurs des Droits de l'Homme. Cette initiative a permis de réunir des personnels de la coopération aux côtés de ces défenseurs congolais afin d'élaborer, ensemble, les stratégies locales de mise en oeuvre de ces orientations.
Rappelons que la France finance également un projet de 2 millions d'euros, mis en oeuvre par la FIDH, de soutien aux défenseurs qui va de la promotion de la justice pénale aux actions d'urgence en faveur des défenseurs en danger, par le renforcement de l'aide aux victimes.
Enfin le prix des Droits de l'Homme de la République française, que nous décernons tous les ans le 10 décembre à cinq ONG, leur permet non seulement de réaliser des projets concrets, mais également de leur garantir une certaine notoriété, ce qui participe de leur protection. Et j'ai proposé que le 10 décembre prochain, le président de la République puisse remettre ce prix très solennellement à l'occasion de ce 60ème anniversaire de la déclaration des Droits de l'Homme.
L'année dernière, la commission nationale consultative des Droits de l'Homme française avait tenu à distinguer en particulier des défenseurs agissant pour la liberté d'expression et d'information. Je sais qu'il s'agira aussi d'un sujet de la session de demain et je voulais marquer l'importance que revêt ce thème.
En effet, comment y aurait-il de véritable démocratie sans liberté d'expression des citoyens et, plus encore, sans media ni journalistes libres et indépendants ?
N'oublions pas que la Cour européenne des Droits de l'Homme a défini précisément, et justement, les journalistes comme les "chiens de garde" de la démocratie.
Certains d'entre eux, sont particulièrement visés ces temps-ci : je pense aux dessinateurs de presse ! Ce ne sont pas Plantu et Dilem, qui sont deux artistes engagés dans le très beau projet de "Cartooning for Peace", qui vont le démentir. Quelle place leur restera-t-il si l'on censure la liberté d'expression au nom d'un supposé respect absolu de croyances ou si l'on entérine, comme d'aucun le souhaitent, un concept de "diffamation des religions" ?
En parlant de liberté d'expression, j'ai également une pensée pour les avocats chinois, les "avocats aux pieds nus", tels Chen Guangcheng l'avocat aveugle, ou encore à tous ces responsables du Théâtre libre de Minsk qui ont reçu d'ailleurs l'année dernière le fameux prix des Droits de l'Homme dont je vous ai parlé.
J'ai aussi une pensée toute particulière pour Anna Politovskaya, assassinée il y a deux ans, jour pour jour, le 7 octobre 2006 à Moscou, et dont j'ai reçu le fils vendredi dernier à Paris. Je lui ai rappelé notre engagement sans faille dans la lutte contre l'impunité, contre ceux qui ont assassiné lâchement sa mère ou ceux qui exécutent froidement les syndicalistes, les militants des Droits de l'Homme, les journalistes en Colombie, en Asie centrale, ou encore au Darfour ou ailleurs.
Je parlais à l'instant des actions menées en faveur des défenseurs.
Mais je crois que nous pouvons aller au-delà : c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité à la fin du mois d'août, à l'occasion de la conférence des ambassadeurs français, que Paris soit plus que jamais la capitale de la liberté : j'ai proposé que l'on réfléchisse à la création d'une sorte de "Villa Medicis" des Droits de l'Homme, c'est-à-dire une nouvelle Académie de France qui accueillerait, pour de courts séjours, des défenseurs des droits, en danger ou à la recherche d'un asile réparateur. J'espère avoir tout votre soutien, vos conseils pour travailler à la concrétisation de cette idée dans les prochains mois.
Comme vous le savez, la France occupe depuis juillet dernier la Présidence française de l'Union européenne. Et a ce titre, il me revient de vous rappeler les deux priorités que j'ai choisies en matière de Droits de l'Homme durant cette Présidence.
Inévitablement la question des femmes, parce que ce sont d'abord elles dont il s'agit de défendre les valeurs. Elles sont les premières victimes des sociétés en crise et en même temps, signe d'espoir, elles sont les premières actrices de la reconstruction. Et c'est pour cela que les droits des femmes sont une priorité et en particulier la lutte contre les violences qui leur sont faites.
A la série d'orientations concernant les Droits de l'Homme et qui portent sur 5 thèmes que vous connaissez (la peine de mort, la torture, les dialogues avec les pays tiers, les enfants face aux conflits armés et les défenseurs des Droits de l'Homme), j'ai souhaité ajouter des lignes directrices sur les femmes, sur les violences faites aux femmes. Et ce texte fixera les critères d'interventions de l'Union européenne sur les droits des femmes sur le même modèle que ce qui existe pour les défenseurs. Les ambassadeurs des pays membres de l'Union devront être mobilisés, exercer une vigilance du réseau diplomatique et faire des droits des femmes une priorité de leur action en matière de Droits de l'Homme, priorité politique mais aussi financière qui permettra de financer en fait davantage de projets concrets pour reconstruire ces femmes.
Un texte est en cours de discussion avec nos partenaires européens. J'ai bon espoir que sa rédaction soit achevée à la fin du mois de novembre.
La deuxième priorité, à part les droits des femmes, dans le cadre de cette PFUE, c'est la lutte contre l'homophobie. Je pars d'un constat : il y a 90 pays qui, dans le monde, pénalisent l'homosexualité. C'est-à-dire que l'on est pas libre parce qu'on est homosexuel, tout simplement. Et 6 de ces pays, de ces 90 pays, prévoient même la peine de mort ! Alors on est là dans le domaine du droit fondamental et cela justifie que les gens puissent quand même être libres quelle que soit leur identité sexuelle.
J'ai choisi une méthode spécifique qui est de porter à l'Assemblée générale des Nations unies une déclaration appelant à la dépénalisation universelle de l'homosexualité. Et pour cela, avant d'en arriver à cette déclaration avant la fin du mois de décembre, l'idée est de mener une campagne qui est en cours en ce moment auprès des autres Etats et notamment de ces 90 pays pour en inciter, ne serait-ce que certains, à rejoindre cette déclaration appelant à la dépénalisation universelle de l'homosexualité.
Alors, avant de conclure, je souhaite tout particulièrement saluer votre travail, le travail que vous mené en tant que défenseurs des Droits de l'Homme, en tant qu'ONG.
Beaucoup d'entre vous sont en première ligne sur le front de cette défense, que ce soient les droits civils et politiques, les droits économiques et sociaux et culturels bien sur et enfin de la 3ème génération des droits. Parce que vous êtes attentifs à leurs violations, vous êtes souvent les premières à sonner l'alarme et à attirer l'attention des pouvoirs publics.
Vous êtes aussi à la pointe de la progression du droit puisque les Droits de l'Homme commencent souvent d'abord, et on l'oublie trop, par le droit. Que ce soit le Traité de Rome qui a instauré la Cour pénale internationale ou la Convention contre les disparitions forcées dont j'ai pu déposer les instruments de ratification à New York il y a quelques jours, ces deux instruments internationaux doivent beaucoup aux coalitions d'ONG qui se sont mobilisés comme la FIDH, Amnesty ou encore Human Rights Watch. On pourrait également citer la Convention d'Ottawa sur l'interdiction des mines anti-personnel.
Je tiens aussi à saluer le travail accompli par Hina Jilani, qui, pendant 8 ans, a occupé le poste de Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU sur la situation des défenseurs des Droits de l'Homme. Au cours de son mandat, elle a envoyé plus de 2 000 communications à 120 pays sur la situation de plus de 3.300 défenseurs, dont 22% étaient des femmes...Et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg ! Je veux dire aussi à Margaret Sekaggya, qui prend sa suite, qu'elle pourra toujours compter sur l'appui de la France - et de l'Union Européenne- pour l'aider dans ses missions. Les mécanismes de protection des droits existent. Ils doivent, pour atteindre toute leur effectivité, être mieux coordonner pour qu'on puisse agir en synergie.
Je voudrais enfin, avant d'en rester là, remercier Idrissa Ouedraogo, qui est aujourd'hui le porte-parole d'une belle initiative qui mêle Droits de l'Homme et cinéma. Je parlais, il y a quelques instants, de l'importance de la liberté d'expression. Elle passe aussi, la liberté d'expression, par le cinéma et je suis persuadée que le cinéma peut appeler directement aux consciences de milliers de spectateurs qui sont tous, potentiellement, des défenseurs des Droits de l'Homme. Il est donc plus que jamais nécessaire de marteler ce message de mobilisation en faveur de l'universalité et je suis sure que le cinéma peut y contribuer.
Les manifestations qui émailleront d'ici à la fin de l'année le 60ème anniversaire de la déclaration des Droits de l'Homme doivent aussi être l'occasion, et j'en termine par là, de rappeler l'attention sur la situation de ceux des défenseurs qui continuent à être inquiétés pour leurs actions en faveur de la liberté. Je pense à Hu Jia, à Aung San Suu Kyi, à Taslima Nasreen, à Emaddedine Baghi. J'espère que l'un d'entre eux, puisqu'on est à la veille de l'attribution du prix Nobel de la paix, j'espère qu'il y a un des récipiendaires qui est parmi eux ou parmi tous les autres qui attendent que nous nous mobilisions pour eux.
Je vous assure que vous trouverez toujours en la France, au premier rang, un soutien indéfectible.
Merci beaucoup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2008