Texte intégral
Mes chers amis,
En ouvrant notre rencontre, j'ai en mémoire une phrase de Jean Monnet : « l'Europe est née dans l'épreuve ; elle grandira dans l'épreuve ». Eh bien, c'est le moment pour nous socialistes européens de le prouver. Rarement depuis 50 ans, nous n'avons fait face à une telle conjonction d'épreuves : la crise financière qui fait vaciller tous les bases de nos économies ; la paralysie politique de l'Union qui l'empêche de trouver des réponses coordonnées ; enfin le recul général de la gauche de gouvernement en Europe qui traduit ses difficultés à concevoir un modèle économique et social plus respectueux des hommes et de l'environnement. C'est le sort de l'Europe, son utilité même qui est en jeu.
Le diagnostic est rude mais il doit être fait si nous voulons trouver ensemble des solutions durables et novatrices à la gravité de la situation.
* La crise financière
N'ayons pas peur des mots : la crise financière est une véritable bombe à fragmentation. La vitesse et l'étendue de sa propagation à l'économie réelle, son impact brutal sur la croissance, l'investissement, l'emploi, le logement, son coût monstrueux pour les entreprises et les états... font planer la menace d'une récession longue et douloureuse.
Nous payons là la faillite d'un système ultra libéral qui a fondé sa prospérité sur ce qui fait aujourd'hui la crise : la déréglementation, la défiscalisation, le surendettement, l'excroissance incontrôlée des produits financiers. La droite en porte l'écrasante responsabilité qui a théorisé, défendu et appliqué cette politique Entendre ses dirigeants appeler aujourd'hui l'Etat au secours est une amère victoire pour la gauche, tant les dégâts économiques et sociaux sont déjà considérables.
Aujourd'hui il faut parer à l'urgence. Empêcher l'écroulement du système bancaire qui entraînerait toute l'économie mondiale dans une longue dépression. De ce point de vue, les gouvernements et les banques centrales ont tiré les leçons de la grande catastrophe de 29. Leur intervention massive sous la forme d'injection de liquidités, de prises de participation publiques, de fusions, de garanties des dépôts a évité le domino des faillites. Je comprends la colère des citoyens outrés de voir leurs impôts secourir des banquiers imprudents ou des spéculateurs. Mais la non intervention conduirait à un désastre économique et financier bien pire pour nos peuples et nos états.
Tout le problème est de ne pas en rester à ces opérations de secours comme ce fut le cas lors de la crise boursière de 87 ou de l'éclatement de la bulle Internet en 2000. La conjonction de la décroissance, de la remontée du chômage, de la stagnation du pouvoir d'achat est la seconde vague du tsunami à laquelle il faut se préparer. S'en tenir aux politiques d'ajustement structurel ou à la logique comptable des critères de déficit reviendrait à faire porter tout le poids de la crise sur les peuples. Aucun socialiste, aucun social-démocrate ne peut l'accepter. Des gouvernements ont mis en place des plans de soutien de leur économie comme en Espagne. Les années 70 ont montré les limites de ces relances nationales.
C'est pour moi la vocation de l'Europe de mutualiser les efforts. Elle seule a la taille pour constituer une force de frappe économique à la hauteur de l'enjeu. Je sais bien que la France est la plus mal placée pour donner des leçons, elle qui ne respecte pas depuis six ans ses engagements en matière de déficits et d'endettement. Mais quand elle veut mobiliser l'Europe au premier rang, je dis qu'elle a raison. Il faut un pilotage économique qui aujourd'hui n'existe pas. Il faut une politique massive d'investissements. Il faut constituer un fond de soutien économique. Oui cela bouscule les dogmes de la concurrence, du zéro endettement, voire de la subsidiarité.
* L'absence de l'Europe
Mais regardons les choses en face. C'est parce qu'elle est morcelée que l'Europe encaisse tous les chocs venus d'ailleurs. C'est parce qu'elle ne parvient pas à fournir des réponses communes qu'elle subit les désordres de l'Amérique et des marchés. Situation invraisemblable. La première zone économique du monde ne fait pas entendre sa voix dans une crise économique mondiale.
Dans un premier temps, les institutions européennes et les gouvernements nationaux ont sous-estimé la crise des subprimes. Puis quand la tempête boursière a déferlé, chacun a paré au danger en ordre dispersé. Aucune stratégie d'ensemble, aucune réponse collective comme l'a tristement illustrée la dispute autour de la proposition néerlandaise de constituer un fond de garantie pour les banques. Seule la BCE a joué son rôle parce qu'elle dispose d'une direction, d'une stratégie et des moyens de la mettre en oeuvre.
Le sommet de Paris entre la France, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie et les institutions européennes a permis de remettre un peu d'ordre : le soutien aux banques et aux entreprises, l'interprétation souple du pacte de stabilité, le sommet mondial pour moraliser les marchés, toutes ces annonces vont dans le bon sens. A la condition qu'elles ne se limitent pas à une simple déclaration d'intentions comme on en a pris trop souvent l'habitude. A la condition aussi que ce soit un début, pas une fin
Cette crise est le moment ou jamais pour l'Europe de concrétiser son projet de solidarité continentale. De s'émanciper du modèle conservateur américain. L'économie sociale de marché, ce sont des règles, des protections, des sécurités. Ce n'est pas le laisser faire de Wall Street. Que l'Europe cesse de subir des choix et des faillites venus d'ailleurs. Qu'elle défende ses principes chez elle et au niveau mondial.
Oui il faut une législation pour contrôler les fonds spéculatifs, à l'échelle européenne et planétaire, comme vient de le proposer le groupe socialiste au Parlement européen.
Oui il faut organiser un système mondial des changes pour éviter le dumping monétaire.
Oui il faut mettre en place un contrôle public des agences de notation et encadrer strictement les paradis fiscaux.
Oui il faut concevoir une taxation sur les placements à risque parce qu'il est inconcevable que le contribuable soit contraint de payer la faillite des spéculateurs.
Oui il faut plafonner les rémunérations indécentes, les parachutes dorés, les bonus pharaoniques que s'octroient les dirigeants de la sphère économique et financière.
Oui il faut que ça change et en profondeur !
Ce n'est plus là le rêve de doux utopistes. C'est la réalité qui commande ces transformations. Et c'est à la gauche qui les a toujours portées de les imposer. Le PSE devrait prendre l'initiative d'un appel solennel des dirigeants socialistes et sociaux-démocrates à mettre en oeuvre ces propositions.
* Les difficultés de la gauche européenne
C'est le dernier terme de mon propos. Comment ne pas vivre douloureusement la grave crise que traverse la gauche européenne. C'est au moment où ses thèses sur la régulation, l'intervention publique, l'équité sociale, triomphent qu'elle subit ses plus forts revers. Il y a huit ans nous disposions d'une écrasante majorité au Conseil européen : 11 sièges sur 15. Aujourd'hui nous sommes 7 sur 27 (13 en comptant les gouvernements de coalition) et les scores de nos partis ne cessent de s'éroder dans les élections nationales.
A l'évidence cette crise a des racines communes : nos difficultés à préserver l'état social dans la mondialisation ; l'érosion des grandes conquêtes en matière de sécurité du travail, de rémunération, de protections sociales, de redistribution qui nous a coupé progressivement des catégories populaires ; notre impuissance à répondre à l'émergence d'une droite populiste en phase avec la poussée de l'individualisme dans nos sociétés.
Face à cet ébranlement, la gauche européenne de gouvernement est restée murée dans ses différences nationales et identitaires. A quelques trop rares exceptions comme le Constitution européenne ou le processus de Lisbonne, elle n'a jamais su porter un projet collectif qui répondent aux dérèglements de l'Europe et de la mondialisation.
Comme l'Union européenne, j'ai la conviction que la social-démocratie est aujourd'hui à la croisée des chemins. La crise nous dicte un renouvellement de nos idées. Elle demande des réponses collectives et audacieuse qui réorientent en profondeur nos politiques nationales et européennes. Oui il s'agit rien moins que de refonder la social-démocratie, de retrouver ses racines populaires, de lui donner un projet commun qui tire toutes les leçons de la mondialisation et de la crise.
C'est le sens des Etats généraux de la social-démocratie européenne que je propose depuis plusieurs années. Construire une gauche populaire et performante. Définir des réformes de progrès que nous nous engagerons à défendre ensemble dans les instances européennes comme dans nos parlements nationaux.
Nous n'avons plus le temps de nous perdre dans l'attentisme et le bavardage. Nous, parlementaires de la gauche européenne, sommes en première ligne des difficultés. C'est aussi à nous de forcer l'histoire.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 9 octobre 2008
En ouvrant notre rencontre, j'ai en mémoire une phrase de Jean Monnet : « l'Europe est née dans l'épreuve ; elle grandira dans l'épreuve ». Eh bien, c'est le moment pour nous socialistes européens de le prouver. Rarement depuis 50 ans, nous n'avons fait face à une telle conjonction d'épreuves : la crise financière qui fait vaciller tous les bases de nos économies ; la paralysie politique de l'Union qui l'empêche de trouver des réponses coordonnées ; enfin le recul général de la gauche de gouvernement en Europe qui traduit ses difficultés à concevoir un modèle économique et social plus respectueux des hommes et de l'environnement. C'est le sort de l'Europe, son utilité même qui est en jeu.
Le diagnostic est rude mais il doit être fait si nous voulons trouver ensemble des solutions durables et novatrices à la gravité de la situation.
* La crise financière
N'ayons pas peur des mots : la crise financière est une véritable bombe à fragmentation. La vitesse et l'étendue de sa propagation à l'économie réelle, son impact brutal sur la croissance, l'investissement, l'emploi, le logement, son coût monstrueux pour les entreprises et les états... font planer la menace d'une récession longue et douloureuse.
Nous payons là la faillite d'un système ultra libéral qui a fondé sa prospérité sur ce qui fait aujourd'hui la crise : la déréglementation, la défiscalisation, le surendettement, l'excroissance incontrôlée des produits financiers. La droite en porte l'écrasante responsabilité qui a théorisé, défendu et appliqué cette politique Entendre ses dirigeants appeler aujourd'hui l'Etat au secours est une amère victoire pour la gauche, tant les dégâts économiques et sociaux sont déjà considérables.
Aujourd'hui il faut parer à l'urgence. Empêcher l'écroulement du système bancaire qui entraînerait toute l'économie mondiale dans une longue dépression. De ce point de vue, les gouvernements et les banques centrales ont tiré les leçons de la grande catastrophe de 29. Leur intervention massive sous la forme d'injection de liquidités, de prises de participation publiques, de fusions, de garanties des dépôts a évité le domino des faillites. Je comprends la colère des citoyens outrés de voir leurs impôts secourir des banquiers imprudents ou des spéculateurs. Mais la non intervention conduirait à un désastre économique et financier bien pire pour nos peuples et nos états.
Tout le problème est de ne pas en rester à ces opérations de secours comme ce fut le cas lors de la crise boursière de 87 ou de l'éclatement de la bulle Internet en 2000. La conjonction de la décroissance, de la remontée du chômage, de la stagnation du pouvoir d'achat est la seconde vague du tsunami à laquelle il faut se préparer. S'en tenir aux politiques d'ajustement structurel ou à la logique comptable des critères de déficit reviendrait à faire porter tout le poids de la crise sur les peuples. Aucun socialiste, aucun social-démocrate ne peut l'accepter. Des gouvernements ont mis en place des plans de soutien de leur économie comme en Espagne. Les années 70 ont montré les limites de ces relances nationales.
C'est pour moi la vocation de l'Europe de mutualiser les efforts. Elle seule a la taille pour constituer une force de frappe économique à la hauteur de l'enjeu. Je sais bien que la France est la plus mal placée pour donner des leçons, elle qui ne respecte pas depuis six ans ses engagements en matière de déficits et d'endettement. Mais quand elle veut mobiliser l'Europe au premier rang, je dis qu'elle a raison. Il faut un pilotage économique qui aujourd'hui n'existe pas. Il faut une politique massive d'investissements. Il faut constituer un fond de soutien économique. Oui cela bouscule les dogmes de la concurrence, du zéro endettement, voire de la subsidiarité.
* L'absence de l'Europe
Mais regardons les choses en face. C'est parce qu'elle est morcelée que l'Europe encaisse tous les chocs venus d'ailleurs. C'est parce qu'elle ne parvient pas à fournir des réponses communes qu'elle subit les désordres de l'Amérique et des marchés. Situation invraisemblable. La première zone économique du monde ne fait pas entendre sa voix dans une crise économique mondiale.
Dans un premier temps, les institutions européennes et les gouvernements nationaux ont sous-estimé la crise des subprimes. Puis quand la tempête boursière a déferlé, chacun a paré au danger en ordre dispersé. Aucune stratégie d'ensemble, aucune réponse collective comme l'a tristement illustrée la dispute autour de la proposition néerlandaise de constituer un fond de garantie pour les banques. Seule la BCE a joué son rôle parce qu'elle dispose d'une direction, d'une stratégie et des moyens de la mettre en oeuvre.
Le sommet de Paris entre la France, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie et les institutions européennes a permis de remettre un peu d'ordre : le soutien aux banques et aux entreprises, l'interprétation souple du pacte de stabilité, le sommet mondial pour moraliser les marchés, toutes ces annonces vont dans le bon sens. A la condition qu'elles ne se limitent pas à une simple déclaration d'intentions comme on en a pris trop souvent l'habitude. A la condition aussi que ce soit un début, pas une fin
Cette crise est le moment ou jamais pour l'Europe de concrétiser son projet de solidarité continentale. De s'émanciper du modèle conservateur américain. L'économie sociale de marché, ce sont des règles, des protections, des sécurités. Ce n'est pas le laisser faire de Wall Street. Que l'Europe cesse de subir des choix et des faillites venus d'ailleurs. Qu'elle défende ses principes chez elle et au niveau mondial.
Oui il faut une législation pour contrôler les fonds spéculatifs, à l'échelle européenne et planétaire, comme vient de le proposer le groupe socialiste au Parlement européen.
Oui il faut organiser un système mondial des changes pour éviter le dumping monétaire.
Oui il faut mettre en place un contrôle public des agences de notation et encadrer strictement les paradis fiscaux.
Oui il faut concevoir une taxation sur les placements à risque parce qu'il est inconcevable que le contribuable soit contraint de payer la faillite des spéculateurs.
Oui il faut plafonner les rémunérations indécentes, les parachutes dorés, les bonus pharaoniques que s'octroient les dirigeants de la sphère économique et financière.
Oui il faut que ça change et en profondeur !
Ce n'est plus là le rêve de doux utopistes. C'est la réalité qui commande ces transformations. Et c'est à la gauche qui les a toujours portées de les imposer. Le PSE devrait prendre l'initiative d'un appel solennel des dirigeants socialistes et sociaux-démocrates à mettre en oeuvre ces propositions.
* Les difficultés de la gauche européenne
C'est le dernier terme de mon propos. Comment ne pas vivre douloureusement la grave crise que traverse la gauche européenne. C'est au moment où ses thèses sur la régulation, l'intervention publique, l'équité sociale, triomphent qu'elle subit ses plus forts revers. Il y a huit ans nous disposions d'une écrasante majorité au Conseil européen : 11 sièges sur 15. Aujourd'hui nous sommes 7 sur 27 (13 en comptant les gouvernements de coalition) et les scores de nos partis ne cessent de s'éroder dans les élections nationales.
A l'évidence cette crise a des racines communes : nos difficultés à préserver l'état social dans la mondialisation ; l'érosion des grandes conquêtes en matière de sécurité du travail, de rémunération, de protections sociales, de redistribution qui nous a coupé progressivement des catégories populaires ; notre impuissance à répondre à l'émergence d'une droite populiste en phase avec la poussée de l'individualisme dans nos sociétés.
Face à cet ébranlement, la gauche européenne de gouvernement est restée murée dans ses différences nationales et identitaires. A quelques trop rares exceptions comme le Constitution européenne ou le processus de Lisbonne, elle n'a jamais su porter un projet collectif qui répondent aux dérèglements de l'Europe et de la mondialisation.
Comme l'Union européenne, j'ai la conviction que la social-démocratie est aujourd'hui à la croisée des chemins. La crise nous dicte un renouvellement de nos idées. Elle demande des réponses collectives et audacieuse qui réorientent en profondeur nos politiques nationales et européennes. Oui il s'agit rien moins que de refonder la social-démocratie, de retrouver ses racines populaires, de lui donner un projet commun qui tire toutes les leçons de la mondialisation et de la crise.
C'est le sens des Etats généraux de la social-démocratie européenne que je propose depuis plusieurs années. Construire une gauche populaire et performante. Définir des réformes de progrès que nous nous engagerons à défendre ensemble dans les instances européennes comme dans nos parlements nationaux.
Nous n'avons plus le temps de nous perdre dans l'attentisme et le bavardage. Nous, parlementaires de la gauche européenne, sommes en première ligne des difficultés. C'est aussi à nous de forcer l'histoire.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 9 octobre 2008