Texte intégral
Monsieur le président, cher Jacques Fansten
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureuse de vous retrouver aujourd'hui au Vieux Colombier, après avoir échangé avec certains d'entre vous il y a dix jours à Dijon, pour les Rencontres de l'ARP.
Ce que je voudrais vous dire d'abord, c'est l'importance que le gouvernement attache à remettre l'auteur au coeur de la politique de la création audiovisuelle et cinématographique.
I - Création et Internet
D'abord en restaurant la dignité de leurs droits. Je ne vous apprends rien, ces droits sont aujourd'hui mis à mal, ignorés et dilués dans l'univers du numérique. Ce nouvel univers doit se construire sur les bases qui ont été patiemment édifiées au fil des siècles, dès lors que les oeuvres de l'esprit sont devenues aussi des oeuvres marchandes, et qu'a été enfin reconnu un droit de propriété inaliénable de l'auteur sur ses oeuvres.
Contrairement à ce que l'on a pu entendre et que l'on risque d'entendre de plus belle ces prochaines semaines avec la présentation du projet de loi Création et Internet au Sénat le 29 octobre, défendre le droit d'auteur, ce n'est pas défendre les privilèges obsolètes d'une poignée de nantis. Ceux qui soutiennent cela méconnaissent ou feignent d'ignorer la réalité du secteur des industries culturelles, dont les indépendants représentent une part déterminante.. Et ce sont ces petites entreprises et les artistes et techniciens qu'elles emploient qui sont aujourd'hui les plus menacés par le piratage. Comme vous l'êtes aussi dans l'exercice de votre talent et de votre expression artistique. Ces risques ne sont malheureusement plus des fantasmes : la vente des DVD suit la même pente, catastrophique que celle des CD. La fréquentation des salles ne progresse plus. Le compte de soutien s'en ressent et c'est grave.
Cette critique à l'encontre du projet de loi Création et Internet est la première d'une liste de caricatures et de récriminations plus démagogiques les unes que les autres. Mais, justement parce qu'elles sont démagogiques, elles ont la peau dure : qui, parmi nous, n'a pas eu ce débat avec un ami ou un proche, convaincu de son bon droit. Ou pire convaincu, même, qu'il faisait presque un acte de résistance en piratant ? Résistance à tous ces artistes qui gagnent déjà leur vie de façon indécente ou inversement, résistance, au nom des artistes, aux producteurs qui se font de l'argent sur leur dos sans lever le petit doigt. Il y aura toujours des Robins des Bois dans l'âme pour expliquer, le coeur sur la main, qu'ils font ça au nom des consommateurs ou même - un comble - des artistes ! Comme il y aura toujours des pirates dits « occasionnels » pour expliquer qu'un téléchargement illégal, de temps en temps, ne va pas ruiner toute l'économie du disque ! Et que cela ne fait pas d'eux des criminels. Sans calculer que des millions de pirates « occasionnels », cela donne, mécaniquement, un piratage de masse.
Je crois qu'il faut être très conscients de ces arguments qui vont nous être opposés. Il ne s'agit pas de faire la guerre aux pirates endurcis, à ceux qui en font commerce, ceux-là tombent déjà sous le coup du délit classique de contrefaçon. Il s'agit d'ouvrir les yeux aux pirates dits « ordinaires » qui, s'ils savent que leur geste est répréhensible, ne sont pas toujours conscients de la gravité de ses conséquences.
Le projet de loi que je présenterai la semaine prochaine devant le Sénat privilégie la pédagogie, et vise justement à empêcher qu'un pirate du dimanche se retrouve traduit devant le tribunal correctionnel, voit son domicile fouillé, son matériel informatique saisi, et toute la procédure rendue publique. Qui ne voit que des messages d'avertissement, puis une lettre recommandée, puis une suspension d'abonnement - dont la durée peut être réduite si l'on s'engage à ne plus recommencer - tout cela est préférable à trois mois d'emprisonnement et à 300 000 euros d'amende - ce que risquent aujourd'hui les internautes qui piratent ?
Cela a pourtant échappé à l'attention d'un député européen qui s'est récemment emparé du sujet pour dénoncer un texte à caractère liberticide. Il a cru pouvoir lui faire barrage en faisant voter par le Parlement européen un amendement au « Paquet télécom ». Plutôt ironique, soit dit en passant, pour un député qui clame que ce texte est téléguidé par les majors du disque, de remettre in fine le sort des créateurs entre les mains des ministres de l'industrie et des télécoms ! Belle façon de défendre l'exception culturelle...
Mais passons. L'essentiel, c'est que cet amendement ne s'oppose en rien à l'approche graduée prévue dans le projet de loi. Il précise qu'il ne peut être apporté de restrictions aux « droits et libertés fondamentaux » des internautes que sur le fondement d'une décision des autorités judiciaires. Mais à supposer que disposer du Web à domicile constitue un « droit fondamental » - ce que rien, dans le droit positif, ne vient confirmer - une liberté, pour être fondamentale, n'en est pas pour autant absolue. Elle est bornée par les autres droits. Autrement dit, la liberté de communication ne peut être invoquée pour faire échec aux droits de propriété intellectuelle.
C'est donc, je le répète, un coup d'éclat un peu vain, mais cela montre bien que les adversaires de ce texte sont prêts à faire feu de tout bois. Et j'ai donc vraiment besoin de votre mobilisation, à tous, pour expliquer votre métier, pour combattre les caricatures, pour montrer que le droit d'auteur n'a rien d'un combat d'arrière-garde mais qu'il est au contraire le socle sur lequel repose toute l'économie de la création.
Mais, nous le savons, si la lutte contre le piratage est aujourd'hui une priorité pour permettre le développement d'une offre légale riche et diverse sur les nouveaux supports, elle n'en reste pas moins un simple préalable à une nécessaire re-fondation de l'économie de la création.
II - La refondation de l'économie de la création :
A la faveur du projet de loi sur l'audiovisuel public, nous devrions pouvoir ouvrir ensemble de nouveaux horizons d'innovation à tous les auteurs. J'ai trop entendu s'exprimer les auteurs de télévision sur leur aspiration à plus de créativité, plus de liberté, pour ne pas penser que réduire la pression purement commerciale qui pèse encore - qu'on le veuille ou non - sur les antennes des chaînes publiques, ne leur sera pas favorable.
Ce sont des conditions radicalement nouvelles qui vont s'offrir à eux, avec un beau défi : capter les audiences les plus larges tout en prenant des risques qui ne seront pas, qui ne seront plus sanctionnés financièrement. C'est une vraie carte blanche qui leur est donnée.
Par ailleurs, comment ne pas voir que cette réforme s'avère de jour en jour plus indispensable ? Que constations-nous au début de l'année ?
Une télévision publique qui souhaitait plus de recettes publicitaires dans un marché en raréfaction. Des chaînes privées sur lesquelles sont assises une part non négligeable du financement de la création et dont le chiffre d'affaires publicitaire s'effritait lui aussi dangereusement. Bref, une urgence à refinancer tout un secteur qui représente le poumon même de la création. Si le politique n'avait pas eu la volonté de rétablir les équilibres, nous étions de toute évidence sur une très mauvaise pente.
Tout le dispositif que constitue l'ensemble de la loi audiovisuelle réformant France télévision, la transposition de la directive SMA et son corollaire, l'assouplissement des règles de diffusion de la publicité sur les chaînes privées, la rénovation complète des relations entre producteurs, auteurs (désormais parties à cette régulation) et chaînes de télévision participe d'une démarche globale et cohérente qui vise à redynamiser un secteur en grande fragilité ; à recentrer les investissement des diffuseurs dans le coeur de la création, comme l'avait voulu le législateur en 2007 en mettant l'accent sur les oeuvres patrimoniales ; et enfin à libérer le secteur public de ses contraintes commerciales, d'abord sur la soirée puis en 2012 sur l'ensemble de la journée.
Cet ensemble cohérent de mesures comporte donc quatre volets sur lesquels je formulerai les commentaires suivants :
1) Tout d'abord, la réforme de France Télévisions et la garantie de financement des chaînes publiques sur fonds publics. Je ne crois pas central le débat autour de la couleur de l'argent public (redevance plutôt que taxes). L'essentiel, c'est la consolidation et la dynamique de croissance du financement de France télévision Il faut effectivement veiller à ce que ces nouveaux financements soient dynamiques : la taxe sur les télécoms est à cet égard une garantie, tout comme l'indexation de la redevance sur l'inflation - pourquoi ne pas l'avoir fait il y a dix ans ? - et la logique de retour d'une croissance du marché publicitaire sur les chaînes privées, du fait du décret publicité.
2) Le décret publicité : ce décret vise à assouplir les règles, sans toutefois aller jusqu'au maximum autorisé par les normes européennes, afin de rendre le marché publicitaire de la télévision plus attractif, alors qu'il est de plus en plus concurrencé par Internet. Ces assouplissements sont rendus d'autant plus nécessaires par la crise financière actuelle et les conséquences qu'elle a déjà sur les budgets des annonceurs et donc sur les recettes publicitaires des télévisions. Je le répète : des chaînes privées dépend une part importante du financement de la création et il est donc dans l'intérêt de tous qu'elles soient en bonne santé. Je sais que certains d'entre vous, attachés à certains aspects du droit moral, s'inquiètent des conséquences d'une seconde coupure des films et téléfilms de plus de 52 minutes. Je les comprends, mais je ne peux pas me résigner à voir disparaître ces oeuvres des grilles de programmes des chaînes privées, sous prétexte que d'autres programmes à commencer par les fictions courtes, sans parler des programmes de flux, sont soumis à moins de contraintes. On a assisté à une chute de 40% des longs métrages diffusés en première partie de soirée sur les chaînes historiques, publiques et privées, ces dix dernières années. Il ne faut pas se résigner à ce que ce retrait se poursuive.
3) Les décrets Tasca, ensuite, seront rénovés sous la forme « d'accords professionnels préalables » : c'est une méthode qui marche, elle a fait ses preuves depuis longtemps pour la régulation des rapports entre Canal + et le cinéma. A l'heure où je m'exprime, les chaînes publiques et deux diffuseurs privés sont sur le point de signer un accord. L'objectif prioritaire est de recentrer la contribution des diffuseurs vers les oeuvres patrimoniales, avec des engagements clairs et chiffrés. Par ailleurs les chaînes seront mieux incitées à développer l'innovation , notamment en matière de fiction (les pilotes de nouvelles séries étant mieux valorisés). Ce sont des avancées significatives pour les auteurs. Pour ceux qui hésiteraient à négocier un accord de gré à gré, c'est un décret qui fixera leurs obligations. Inutile de vous dire que je préfère la première méthode à la seconde, mais s'il faut y recourir, je suis prête à le faire.
4) La transposition de la directive services de médias audiovisuels, enfin, qui vise à créer par la loi un cadre d'obligations pour les services non linéaires. Je crois qu'on peut se féliciter qu'une directive européenne permette de poser un cadre réglementaire dans ce domaine et d'assurer la promotion des oeuvres européennes. Je sais que Viviane Reding a beaucoup contribué à ce que cette directive aille dans le bon sens, il faut l'en remercier. Et je forme le voeu que son soutien soit aussi actif en matière de lutte contre la piraterie des oeuvres sur Internet, car évidemment les deux sujets sont liés.
L'ensemble de ces mesures visent à créer un cadre favorable au financement de la création française. Je le redis : si nous n'avions pas pris les devants, nous serions aujourd'hui devant un avenir très inquiétant.
III- Politique en faveur des auteurs
A côté de cette entreprise de re-fondation de l'économie de la création, je me suis attachée, depuis mon arrivée rue de Valois, à réévaluer et à améliorer les conditions du soutien de l'Etat au travail des auteurs, à revaloriser leur travail dans l'économie de la production. Ainsi, depuis deux ans, les aides à l'écriture, au développement et à l'innovation ont augmenté de près de 40%.
C'est une réponse au rapport du club des 13, qui avait mis l'accent de manière assez convaincante sur les difficultés du travail d'écriture et de son financement, dans le domaine du cinéma. Pour la télévision, les attentes sont autres mais elles existent aussi. J'ai été attentive également à la demande de création d'un « compte automatique auteurs », qu'il faudra expertiser. Je sens bien qu'un besoin s'exprime dans ce domaine , il faut trouver la mesure la plus adaptée pour y répondre.
Je n'ai pas de religion sur la meilleure formule à adopter en ce domaine mais je suis convaincue de l'utilité de ces aides et je souhaite qu'on mène un premier bilan des effets de l'augmentation de leurs budget ces derniers mois. S'il faut les modifier, les perfectionner, pour mieux les adapter à leurs objectif, j'y suis tout à fait favorable.
Je souhaite d'ailleurs organiser dès le début 2009 une journée de réflexion autour du travail des scénaristes et de leur statut, qui devrait nous permettre d'y voir plus clair sur cette étape essentielle de la création audiovisuelle et cinématographique. Il faudra en tirer des conclusions concrètes. Vous savez que sur chacun des dossiers où nous sommes parvenus à des conclusions communes je me suis toujours attachée à les traduire rapidement en actes.
Mesdames et Messieurs, beaucoup de chantiers nous attendent. Les uns soumis au débat démocratique, les autres à l'exercice par l'Etat de son pouvoir de régulation, les autres enfin au dialogue des professions et des métiers.
L'ambition est unique : c'est celle de stimuler une création française vivante, diverse, innovante, qui constitue un patrimoine audiovisuel et cinématographique dont nous soyons fiers, et qui contribue pleinement à notre culture. C'est mon ambition, je sais que c'est la vôtre aussi, et je veux que nous la portions ensemble.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 21 octobre 2008