Texte intégral
Q - La crise financière qui bouscule le monde ne fait-elle pas de la lutte pour les Droits de l'Homme un luxe ?
R - C'est l'inverse. Avec le débat sur la moralisation de la vie financière internationale, ce qui est en jeu, ce sont les valeurs qui nous rassemblent. Pourquoi cette crise ? Parce qu'une oligarchie financière a substitué à la devise républicaine "Liberté, égalité, fraternité" sa propre devise : "Irresponsabilité, cupidité, inégalité". Le paradis fiscal de quelques-uns est devenu l'enfer du plus grand nombre.
Q - Nicolas Sarkozy vient à nouveau de partir en Chine et, cette fois encore, vous n'êtes pas à ses côtés...
R - C'est pour y parler de la crise financière. La France et la Chine se retrouveront en novembre, au sommet Union européenne-Chine. Là, j'aurai toute ma place. La question n'est pas de savoir si j'y suis ou pas, mais ce qu'on fait ou ce qu'on ne fait pas. Lorsque le président de la République va à Pékin, il parle chaque fois des Droits de l'Homme.
Q - Et cela avance ?
R - Lentement, pas à pas, oui. Mais je regrette que le dialogue entamé entre Chinois et représentants du Dalaï-Lama n'ait pas été jusqu'ici plus efficace.
Q - Auriez-vous souhaité que le dissident chinois Hu Jia reçoive le prix Nobel de la paix ?
R - Le Parlement européen vient de lui décerner le prix Sakharov pour la liberté de pensée. J'en suis très heureuse. Cela fait des mois que j'écris aux autorités chinoises pour sa libération. Il doit retrouver sa liberté.
Q - Vous irez un jour en Chine ?
R - J'espère. L'ambassadeur de Chine, que j'ai reçu, m'a invitée. On doit pouvoir se parler franchement, comme les Chinois le font avec nous.
Q - Souhaitez-vous que Nicolas Sarkozy rencontre le dalaï-lama ?
R- A titre personnel, oui. Ils auraient beaucoup de choses à se dire. Une rencontre serait, de ce point de vue, merveilleuse.
Q - Beaucoup de pays trouvent qu'il y a une forme d'arrogance française à donner aux autres des leçons sur les Droits de l'Homme...
R - Nous ne cherchons pas à imposer une vision occidentale du monde, mais à promouvoir des valeurs qui sont universelles. Accepter pour d'autres populations un degré de droits inférieur aux nôtres, voilà le comble de l'arrogance !
Q - Etes-vous étonnée de l'intérêt que suscite la candidature Obama ?
R - Obama est devenu une sorte de citoyen mondial. Il appartient un peu à tout le monde. Tous, on observe la scène américaine avec une sorte d'envie car ce qu'ils font, nous, on ne peut pas le faire...
Q - Pas faire quoi ?
R - Pas faire émerger un Obama chez nous ! Pour que j'entre au gouvernement, il a fallu tout le volontarisme de Nicolas Sarkozy pour surmonter les réticences des conservateurs. Ils ont dit : trop ceci, pas assez cela. Et, croyez-moi, ces conservateurs, ils sont toujours là. Nicolas Sarkozy, lui, n'est pas un conservateur ; c'est ce que j'aime chez lui.
Q - Quand vous parlez d'Obama, vous ne parlez que de son âge ?
R - Parce que c'est la première chose qui me frappe chez lui ! Vous voyez autre chose ? Il a trois traits dominants : d'abord, il est très jeune ; ensuite, il n'est pas descendant d'esclaves mais issu, par son père, de la toute récente immigration africaine ; enfin, son parcours politique a commencé très récemment. Or cet homme-là est en passe de devenir président des Etats-Unis. Chez nous, on a l'impression qu'il faut avoir souffert pendant quarante ans, être bardé de cicatrices et avoir été traîné dans la boue pour avoir le droit d'accéder aux plus hautes responsabilités. Et, quand vous y arrivez, vous n'avez même pas droit au bonheur !
Q - Pour vous, le modèle américain reste, sous cet angle, incomparable...
R - L'aventure Obama, oui, voilà ce qui rend l'Amérique magique. C'est pour cela que, pendant toute mon enfance, j'ai rêvé d'Amérique. Pensez que, quand j'étais jeune, le seul Noir que je voyais à la télévision, c'était Michel Leeb, qui imitait les Noirs pour faire rire le public.
Q - Si Obama est élu, ce serait une forme de revanche ?
R - Non. Obama n'est pas dans une démarche conflictuelle. Et moi non plus. Quand j'ai été nommée secrétaire d'Etat, le président m'a dit : "N'oublie pas que tu n'es pas là pour représenter les minorités, mais pour représenter la France". Il me regardait dans mon humanité, pas par le petit bout de la lorgnette. Et, quand je me suis retrouvée pour la première fois au siège du Conseil de sécurité de l'ONU à New York et que Ban Ki-moon, se tournant vers moi, m'a demandé : "Quelle est la position de la France ?", et la France, c'était moi ! Cela a été un des moments les plus extraordinaires de ma vie ! C'est cela le post-racial, le post-conflit !
Q - Souhaitez-vous vous présenter à une élection ?
R - Je l'ai déjà fait. Je voudrais renforcer ma légitimité locale. Et, à partir de là, pouvoir représenter un maximum de Français.
Q - Que vous inspire l'affaire Dominique Strauss-Kahn ?
R - D'une part, c'est sa vie privée. En même temps, je vois la nocivité de la rumeur, qui peut avoir un impact sur la représentation de la France à l'étranger. Il est important qu'on soit exemplaire et, en même temps, qu'il n'y ait pas de lynchage. Quand Dominique Strauss-Kahn reconnaît les faits, j'ai envie de dire : "Faute avouée est à demi pardonnée..."
Q - Tenez-vous compte, dans vos combats, de la realpolitik ?
R - Je ne suis pas naïve : je sais qu'il faut tenir compte de nos intérêts. Cela dit, il y a sûrement des mauvais génies ici ou là qui estiment que les Droits de l'Homme, c'est gênant, et donc moi avec !
Q - Craignez-vous, en cas de remaniement, une suppression de votre secrétariat d'Etat ?
R - Ce n'est pas mon secrétariat d'Etat, je n'en ai que la responsabilité. Mais peut-on imaginer qu'il ait été créé pour, dix-huit mois plus tard, estimer que le travail est terminé ? Je ne le crois pas. Le président et le Premier ministre sont des hommes de conviction et les Droits de l'Homme, ce ne sont pas quelques belles paroles de temps en temps, c'est surtout un inlassable travail de fourmi.
Q - Vous souhaitez continuer ?
R - C'est le président qui décide. Comme chaque ministre, mon sort gouvernemental est entre ses mains. J'ai toute confiance en lui.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 2008
R - C'est l'inverse. Avec le débat sur la moralisation de la vie financière internationale, ce qui est en jeu, ce sont les valeurs qui nous rassemblent. Pourquoi cette crise ? Parce qu'une oligarchie financière a substitué à la devise républicaine "Liberté, égalité, fraternité" sa propre devise : "Irresponsabilité, cupidité, inégalité". Le paradis fiscal de quelques-uns est devenu l'enfer du plus grand nombre.
Q - Nicolas Sarkozy vient à nouveau de partir en Chine et, cette fois encore, vous n'êtes pas à ses côtés...
R - C'est pour y parler de la crise financière. La France et la Chine se retrouveront en novembre, au sommet Union européenne-Chine. Là, j'aurai toute ma place. La question n'est pas de savoir si j'y suis ou pas, mais ce qu'on fait ou ce qu'on ne fait pas. Lorsque le président de la République va à Pékin, il parle chaque fois des Droits de l'Homme.
Q - Et cela avance ?
R - Lentement, pas à pas, oui. Mais je regrette que le dialogue entamé entre Chinois et représentants du Dalaï-Lama n'ait pas été jusqu'ici plus efficace.
Q - Auriez-vous souhaité que le dissident chinois Hu Jia reçoive le prix Nobel de la paix ?
R - Le Parlement européen vient de lui décerner le prix Sakharov pour la liberté de pensée. J'en suis très heureuse. Cela fait des mois que j'écris aux autorités chinoises pour sa libération. Il doit retrouver sa liberté.
Q - Vous irez un jour en Chine ?
R - J'espère. L'ambassadeur de Chine, que j'ai reçu, m'a invitée. On doit pouvoir se parler franchement, comme les Chinois le font avec nous.
Q - Souhaitez-vous que Nicolas Sarkozy rencontre le dalaï-lama ?
R- A titre personnel, oui. Ils auraient beaucoup de choses à se dire. Une rencontre serait, de ce point de vue, merveilleuse.
Q - Beaucoup de pays trouvent qu'il y a une forme d'arrogance française à donner aux autres des leçons sur les Droits de l'Homme...
R - Nous ne cherchons pas à imposer une vision occidentale du monde, mais à promouvoir des valeurs qui sont universelles. Accepter pour d'autres populations un degré de droits inférieur aux nôtres, voilà le comble de l'arrogance !
Q - Etes-vous étonnée de l'intérêt que suscite la candidature Obama ?
R - Obama est devenu une sorte de citoyen mondial. Il appartient un peu à tout le monde. Tous, on observe la scène américaine avec une sorte d'envie car ce qu'ils font, nous, on ne peut pas le faire...
Q - Pas faire quoi ?
R - Pas faire émerger un Obama chez nous ! Pour que j'entre au gouvernement, il a fallu tout le volontarisme de Nicolas Sarkozy pour surmonter les réticences des conservateurs. Ils ont dit : trop ceci, pas assez cela. Et, croyez-moi, ces conservateurs, ils sont toujours là. Nicolas Sarkozy, lui, n'est pas un conservateur ; c'est ce que j'aime chez lui.
Q - Quand vous parlez d'Obama, vous ne parlez que de son âge ?
R - Parce que c'est la première chose qui me frappe chez lui ! Vous voyez autre chose ? Il a trois traits dominants : d'abord, il est très jeune ; ensuite, il n'est pas descendant d'esclaves mais issu, par son père, de la toute récente immigration africaine ; enfin, son parcours politique a commencé très récemment. Or cet homme-là est en passe de devenir président des Etats-Unis. Chez nous, on a l'impression qu'il faut avoir souffert pendant quarante ans, être bardé de cicatrices et avoir été traîné dans la boue pour avoir le droit d'accéder aux plus hautes responsabilités. Et, quand vous y arrivez, vous n'avez même pas droit au bonheur !
Q - Pour vous, le modèle américain reste, sous cet angle, incomparable...
R - L'aventure Obama, oui, voilà ce qui rend l'Amérique magique. C'est pour cela que, pendant toute mon enfance, j'ai rêvé d'Amérique. Pensez que, quand j'étais jeune, le seul Noir que je voyais à la télévision, c'était Michel Leeb, qui imitait les Noirs pour faire rire le public.
Q - Si Obama est élu, ce serait une forme de revanche ?
R - Non. Obama n'est pas dans une démarche conflictuelle. Et moi non plus. Quand j'ai été nommée secrétaire d'Etat, le président m'a dit : "N'oublie pas que tu n'es pas là pour représenter les minorités, mais pour représenter la France". Il me regardait dans mon humanité, pas par le petit bout de la lorgnette. Et, quand je me suis retrouvée pour la première fois au siège du Conseil de sécurité de l'ONU à New York et que Ban Ki-moon, se tournant vers moi, m'a demandé : "Quelle est la position de la France ?", et la France, c'était moi ! Cela a été un des moments les plus extraordinaires de ma vie ! C'est cela le post-racial, le post-conflit !
Q - Souhaitez-vous vous présenter à une élection ?
R - Je l'ai déjà fait. Je voudrais renforcer ma légitimité locale. Et, à partir de là, pouvoir représenter un maximum de Français.
Q - Que vous inspire l'affaire Dominique Strauss-Kahn ?
R - D'une part, c'est sa vie privée. En même temps, je vois la nocivité de la rumeur, qui peut avoir un impact sur la représentation de la France à l'étranger. Il est important qu'on soit exemplaire et, en même temps, qu'il n'y ait pas de lynchage. Quand Dominique Strauss-Kahn reconnaît les faits, j'ai envie de dire : "Faute avouée est à demi pardonnée..."
Q - Tenez-vous compte, dans vos combats, de la realpolitik ?
R - Je ne suis pas naïve : je sais qu'il faut tenir compte de nos intérêts. Cela dit, il y a sûrement des mauvais génies ici ou là qui estiment que les Droits de l'Homme, c'est gênant, et donc moi avec !
Q - Craignez-vous, en cas de remaniement, une suppression de votre secrétariat d'Etat ?
R - Ce n'est pas mon secrétariat d'Etat, je n'en ai que la responsabilité. Mais peut-on imaginer qu'il ait été créé pour, dix-huit mois plus tard, estimer que le travail est terminé ? Je ne le crois pas. Le président et le Premier ministre sont des hommes de conviction et les Droits de l'Homme, ce ne sont pas quelques belles paroles de temps en temps, c'est surtout un inlassable travail de fourmi.
Q - Vous souhaitez continuer ?
R - C'est le président qui décide. Comme chaque ministre, mon sort gouvernemental est entre ses mains. J'ai toute confiance en lui.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 2008