Texte intégral
Monsieur l'Administrateur général,
Madame,
Mesdames, Messieurs, Chers Amis
Permettez-moi tout d'abord de remercier très chaleureusement Nicole Gnesotto pour m'avoir proposé de venir prendre la parole à l'ouverture de ce cycle de conférences sur l'Europe du Conservatoire national des Arts et Métiers. J'y suis très sensible à un double titre. D'abord parce que j'ai beaucoup d'admiration pour le travail de Nicole Gnesotto et je suis donc flatté, pourquoi ne pas le dire, qu'elle ait songé à moi ; ensuite parce que le Conservatoire national des Arts et Métiers est une institution qui a toujours été pour moi exemplaire. Vous êtes les seuls à offrir une formation continue aux adultes. Or l'Europe aura de plus en plus besoin d'adultes formés, expérimentés et prêts à travailler plus longtemps. Vous répondez à cette demande qui ira croissante. C'est une véritable mission de service public que vous remplissez. Sans oublier votre rôle inestimable d'accompagnement de la promotion sociale.
J'ai choisi de vous parler de l'Europe dans la mondialisation. Je voulais vous épargner la recension des priorités de notre Présidence de l'Union européenne. J'ai eu raison, notre Présidence est devenue une présidence de crises, crise institutionnelle, crise en Géorgie, crise financière et économique, crise alimentaire, et même si nous poursuivons imperturbablement nos objectifs initiaux, vous m'auriez trouvé un peu en décalage.
Je voudrais articuler mon propos en deux parties. Tout d'abord, quelle est la place de notre Europe dans le monde ? Et ensuite, quel type de relations l'Europe devrait-elle développer avec son environnement et les grandes puissances émergentes ?
Quelle est la place de notre Europe, aujourd'hui, dans le monde ? Je voudrais partir d'un constat clair, que l'on n'aurait peut-être pas porté il y a seulement quelques années. L'Union européenne a atteint un stade de maturité qui lui permet de s'affirmer comme une puissance globale. Elle en a désormais les principaux attributs.
La Politique européenne de sécurité et de défense est un instrument essentiel de l'influence européenne :
La PESD est l'un des principaux succès de ces dix dernières années. L'Union européenne a conduit une quinzaine d'opérations au titre de la PESD. Les relations entre l'Union européenne et l'OTAN ont été bonnes : deux des quatre opérations militaires PESD ont été conduites avec des moyens de l'OTAN, en Bosnie-Herzégovine et en ARYM. Cela montre qu'il n'y a pas concurrence mais complémentarité avec l'OTAN ; telle est bien notre approche. Il s'agit là d'un domaine où les opinions publiques sont très demandeuses, comme le montrent les sondages.
La PESD a dépassé les débats institutionnels ; aujourd'hui, l'enjeu est la mise en oeuvre des instruments disponibles et la conduite d'opérations de plus en plus complexes compte tenu des attentes envers l'Union européenne. L'ONU fait en effet de plus en plus appel à l'Union européenne, ainsi que l'OTAN comme le montre l'exemple de la relève de la SFOR en Bosnie-Herzégovine. N'oublions pas non plus que les observateurs qui ont été déployés en Géorgie interviennent dans le cadre d'une mission PESD.
Mais l'influence de l'Union européenne ne se réduit pas aux instruments politico-militaires :
La force de l'Union européenne, c'est son caractère polyvalent qui repose sur le fait que les politiques communes, de plus en plus nombreuses, comportent toutes un volet externe qui contribue à l'influence de l'Union européenne dans le monde.
- Ainsi de la politique commerciale où l'Union européenne parle d'une seule voix face aux grands ensembles commerciaux.
- Ainsi de l'énergie et de la lutte contre le changement climatique, enjeu fondamental dans lequel l'Union européenne veut jouer un rôle exemplaire pour mieux peser sur l'élaboration des normes internationales lors des conférences de Poznan et Copenhague.
- Et ainsi également de l'immigration, la recherche, le développement, etc.
Seule l'Union européenne peut mobiliser autant d'instruments à la fois.
Par ailleurs, l'Union européenne émerge comme acteur financier international à part entière :
La crise financière montre que l'Union européenne peut aussi mobiliser des instruments d'intervention d'urgence sur les marchés financiers et participer à l'égal des Etats-Unis au sauvetage du système financier international.
Seul l'avenir nous dira quelle sera la portée effective des événements de ces dernières semaines. Néanmoins, je crois que nous pouvons d'ores et déjà faire quelques constats.
- L'euro donne une force formidable à l'Europe. Ce n'est pas un hasard si la réponse décisive à la crise dans les dernières semaines a été apportée par l'Eurogroupe en étroite collaboration avec la BCE. Notre banque centrale a assuré le fonctionnement des marchés. Les quinze Etats de la zone euro ont collectivement la masse critique nécessaire pour peser sur les équilibres économiques et financiers.
- La crise révèle la capacité de l'Europe à agir sur la mondialisation : celle de proposer des normes de référence pour l'ensemble des acteurs mondiaux. Nous avons l'opportunité de peser sur la refondation à moyen et long terme du système financier international. Nous le verrons lors de la réunion du G20 organisée le 15 novembre prochain à Washington ou New York.
- Le sommet de l'Eurogroupe a montré la nécessité d'une entente étroite entre les Etats membres. La coopération a été payante. La division nous condamne à l'impuissance face à un défi de dimension mondiale. L'entente entre les plus grands Etats membres est particulièrement indispensable pour faire avancer collectivement les Européens. Sans la Grande-Bretagne, sans la Présidence française de l'Union européenne, et sans l'appui décisif de l'Allemagne, rien n'aurait été possible. Sans unité européenne, bien sûr, l'influence de l'Union décroît.
J'ajoute qu'avoir un Eurogroupe mieux organisé politiquement n'est dirigé contre personne, et surtout pas les Tchèques. C'est tirer les leçons de la gestion de la crise. C'est assumer le fait que nous partageons les mêmes solidarités économiques et financières, plus que jamais à développer en période de crise.
La crise en Géorgie a montré que l'élargissement avait été un atout et non une faiblesse :
Je voudrais revenir sur l'émergence de l'Europe au cours de cette crise entre la Géorgie et la Russie. A quinze, l'Europe n'aurait pas eu le même poids ni la même légitimité pour intervenir. Pour la première fois, l'Union européenne s'est imposée comme un acteur majeur des relations internationales. L'Europe, il faut en avoir conscience, a arrêté une guerre. Elle a su agir dans l'urgence et faire face, dans la concertation, aux exigences de la situation.
L'Union européenne, enfin, est devenue un modèle d'intégration régionale, repris par l'ensemble des continents, avec naturellement des degrés d'avancement très inégaux :
L'Union européenne est par nature une "puissance délibérante", fondée sur la démocratie, le respect de valeurs fondamentales et le rôle primordial du Droit, ce qui contribue à lui donner un poids important dans un monde que nous voulons fonder sur le multilatéralisme ;
L'Europe doit s'affirmer davantage comme puissance normative, corollaire de l'espace unique de droit et de démocratie dont elle est l'exemple.
Quel type de relations l'Europe devrait-elle développer avec son environnement et les grandes puissances émergentes ?
J'observe tout d'abord, qu'il nous faut déjà gérer l'attractivité de l'Union européenne :
Le succès de l'Union entraîne ainsi des responsabilités nouvelles.
La première conséquence de l'attractivité de l'Union européenne a été l'élargissement. Le mouvement a été évident pour l'Europe centrale et baltique ; il est tout aussi naturel aujourd'hui pour les pays des Balkans occidentaux avec toutefois la nécessité pour ces pays de mener les réformes qui s'imposent, notamment dans la lutte contre la criminalité organisée, et de favoriser la coopération régionale. Nous devrons aussi gérer de la manière la plus responsable possible la candidature de la Turquie, dès lors que ce pays accélère les réformes et reconnaît, bien sûr, la République de Chypre.
Au-delà des Balkans, le recours à l'élargissement ne peut pas être la seule réponse pour assurer la stabilité de notre voisinage, à l'Est comme au Sud. La question est désormais : que faire des voisins de l'Union européenne sans être contraints par l'alternative entre adhésion/pas d'adhésion ?
La politique de voisinage est une première réponse. Mais l'enjeu est désormais de mettre en oeuvre une différenciation au profit des voisins les plus dynamiques (Maroc, Ukraine) ; et de favoriser la coopération régionale entre les Etats voisins (Maghreb, Caucase). L'Union pour la Méditerranée, proposée par la France, y contribuera et donnera à la Méditerranée une enceinte de coopération régionale qui lui fait défaut.
C'est ainsi que l'Europe pourra exporter sa stabilité, sans remettre en cause sa cohésion.
C'est pourquoi nous devons aussi donner un sens à son avenir en réfléchissant à ce qu'elle pourrait être dans les vingt prochaines années, à ce que seront ses politiques, ses relations avec ses voisins, sa place dans le monde. C'est le sens du Comité des sages confirmé au dernier Conseil européen, présidé par Felipe Gonzalez et dont sera membre Nicole Notat.
S'agissant des relations de l'Union européenne avec les grands pays émergents (Chine, Brésil, Inde...) cinq données essentielles peuvent les orienter aujourd'hui.
Ces pays détiennent, à l'évidence, la clé de la réponse à la plupart des grands enjeux globaux (lutte contre le changement climatique, prix de l'énergie, stabilité financière...).
Les pays émergents ne forment pas un "bloc homogène", comme l'a montré, entre autres, la divergence d'intérêts entre l'Inde et le Brésil sur les négociations à l'OMC.
Les pays émergents présentent un "double visage", avec des zones développées et une classe moyenne en expansion, mais aussi des poches de pauvreté et de sous-développement. Cette identité ambiguë rend difficile à tracer la frontière entre ce qui relève, d'une part de flexibilités ou dérogations légitimes aux normes multilatérales (climat, commerce etc.) et, d'autre part, de pratiques concurrentielles déloyales.
Ces pays sont en phase de reconquête de leur souveraineté nationale et sont tentés d'utiliser les flux économiques comme un élément d'affirmation de leur puissance politique là où l'Europe, par contraste, a cherché après la Seconde Guerre mondiale à déconnecter l'économie des politiques de puissance et à considérer les limitations de souveraineté comme un instrument de pacification des relations entre Etats.
Il conviendra d'examiner les conséquences de la crise financière sur ces grands pays émergents. Certains souffriront du rapatriement des capitaux extérieurs. C'est le cas de l'Inde et du Brésil. D'autres gardent des réserves très importantes (Chine) ou des instruments d'intervention susceptibles de leur faire acquérir bien des entreprises européennes après la crise. Nous aurons donc à gérer la division entre émergents, ceux qui le seront un peu moins, ceux qui le seront un peu plus.
Dans ce contexte, que peut faire l'Union européenne ?
Tout d'abord, cheminer vers des règles partagées avec ces pays émergents. Autrement dit, accepter de leur donner davantage de pouvoirs dans les organisations internationales, ce qui n'est pas évident, ni consensuel. Mais je vous renvoie à l'organisation du G20 sur la "refondation" du capitalisme.
Essayer d'établir un "jeu à somme positive" avec ces pays, en établissant des liens entre des thèmes (commerce, climat, investissements, énergie, propriété intellectuelle...) habituellement traités de façon cloisonnée. Il est évident que la crise rendra dans certains cas les négociations plus faciles (propriété intellectuelle) et dans d'autres moins faciles (climat, commerce).
Nous devons dans cet environnement nouveau nous répartir les tâches avec les Etats-Unis d'Amérique et, pour cela, lancer un dialogue renouvelé avec les USA. Quelles sont les complémentarités et différences en matière de sécurité ? Comment amener les USA vers plus de multilatéralisme ? Comment surmonter dans un contexte dépressif nos divergences commerciales ? Comment coopérer dans le long terme pour assurer une meilleure régulation économique et financière? Telles sont les principales questions que nous aborderons avec la nouvelle administration américaine.
Je conclurai sur le Traité de Lisbonne car je suis plus que jamais convaincu que nous ne pouvons en faire l'économie pour renforcer notre main dans la mondialisation. Pourquoi ?
Parce que les innovations sont particulièrement significatives dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité :
- Le nouveau Haut représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, qui portera également le titre de vice-président de la Commission, assurera davantage de cohérence et de coordination entre des services aujourd'hui éclatés entre la Commission et le Conseil.
- A l'extérieur, le Service européen d'action extérieure permettra à l'Union européenne d'agir de manière cohérente avec l'ensemble des instruments dont elle dispose.
- Le traité contient enfin des innovations institutionnelles dans le domaine de la Politique européenne de sécurité et de défense, à travers la possibilité pour les Etats désireux se s'engager dans le développement de leurs capacités de former une "coopération structurée permanente", en complément aux coopérations renforcées traditionnelles.
Nous aurons ainsi une action plus visible, mi-communautaire, mi-gouvernementale, qui combine les moyens de la Commission et la tradition diplomatique et de sécurité des Etats membres.
Enfin et surtout, c'est le Traité qui permettra d'assurer la continuité de l'action extérieure dont nous avons plus que jamais besoin dans les périodes de grande turbulence dans lesquelles nous entrons.
Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 2008
Madame,
Mesdames, Messieurs, Chers Amis
Permettez-moi tout d'abord de remercier très chaleureusement Nicole Gnesotto pour m'avoir proposé de venir prendre la parole à l'ouverture de ce cycle de conférences sur l'Europe du Conservatoire national des Arts et Métiers. J'y suis très sensible à un double titre. D'abord parce que j'ai beaucoup d'admiration pour le travail de Nicole Gnesotto et je suis donc flatté, pourquoi ne pas le dire, qu'elle ait songé à moi ; ensuite parce que le Conservatoire national des Arts et Métiers est une institution qui a toujours été pour moi exemplaire. Vous êtes les seuls à offrir une formation continue aux adultes. Or l'Europe aura de plus en plus besoin d'adultes formés, expérimentés et prêts à travailler plus longtemps. Vous répondez à cette demande qui ira croissante. C'est une véritable mission de service public que vous remplissez. Sans oublier votre rôle inestimable d'accompagnement de la promotion sociale.
J'ai choisi de vous parler de l'Europe dans la mondialisation. Je voulais vous épargner la recension des priorités de notre Présidence de l'Union européenne. J'ai eu raison, notre Présidence est devenue une présidence de crises, crise institutionnelle, crise en Géorgie, crise financière et économique, crise alimentaire, et même si nous poursuivons imperturbablement nos objectifs initiaux, vous m'auriez trouvé un peu en décalage.
Je voudrais articuler mon propos en deux parties. Tout d'abord, quelle est la place de notre Europe dans le monde ? Et ensuite, quel type de relations l'Europe devrait-elle développer avec son environnement et les grandes puissances émergentes ?
Quelle est la place de notre Europe, aujourd'hui, dans le monde ? Je voudrais partir d'un constat clair, que l'on n'aurait peut-être pas porté il y a seulement quelques années. L'Union européenne a atteint un stade de maturité qui lui permet de s'affirmer comme une puissance globale. Elle en a désormais les principaux attributs.
La Politique européenne de sécurité et de défense est un instrument essentiel de l'influence européenne :
La PESD est l'un des principaux succès de ces dix dernières années. L'Union européenne a conduit une quinzaine d'opérations au titre de la PESD. Les relations entre l'Union européenne et l'OTAN ont été bonnes : deux des quatre opérations militaires PESD ont été conduites avec des moyens de l'OTAN, en Bosnie-Herzégovine et en ARYM. Cela montre qu'il n'y a pas concurrence mais complémentarité avec l'OTAN ; telle est bien notre approche. Il s'agit là d'un domaine où les opinions publiques sont très demandeuses, comme le montrent les sondages.
La PESD a dépassé les débats institutionnels ; aujourd'hui, l'enjeu est la mise en oeuvre des instruments disponibles et la conduite d'opérations de plus en plus complexes compte tenu des attentes envers l'Union européenne. L'ONU fait en effet de plus en plus appel à l'Union européenne, ainsi que l'OTAN comme le montre l'exemple de la relève de la SFOR en Bosnie-Herzégovine. N'oublions pas non plus que les observateurs qui ont été déployés en Géorgie interviennent dans le cadre d'une mission PESD.
Mais l'influence de l'Union européenne ne se réduit pas aux instruments politico-militaires :
La force de l'Union européenne, c'est son caractère polyvalent qui repose sur le fait que les politiques communes, de plus en plus nombreuses, comportent toutes un volet externe qui contribue à l'influence de l'Union européenne dans le monde.
- Ainsi de la politique commerciale où l'Union européenne parle d'une seule voix face aux grands ensembles commerciaux.
- Ainsi de l'énergie et de la lutte contre le changement climatique, enjeu fondamental dans lequel l'Union européenne veut jouer un rôle exemplaire pour mieux peser sur l'élaboration des normes internationales lors des conférences de Poznan et Copenhague.
- Et ainsi également de l'immigration, la recherche, le développement, etc.
Seule l'Union européenne peut mobiliser autant d'instruments à la fois.
Par ailleurs, l'Union européenne émerge comme acteur financier international à part entière :
La crise financière montre que l'Union européenne peut aussi mobiliser des instruments d'intervention d'urgence sur les marchés financiers et participer à l'égal des Etats-Unis au sauvetage du système financier international.
Seul l'avenir nous dira quelle sera la portée effective des événements de ces dernières semaines. Néanmoins, je crois que nous pouvons d'ores et déjà faire quelques constats.
- L'euro donne une force formidable à l'Europe. Ce n'est pas un hasard si la réponse décisive à la crise dans les dernières semaines a été apportée par l'Eurogroupe en étroite collaboration avec la BCE. Notre banque centrale a assuré le fonctionnement des marchés. Les quinze Etats de la zone euro ont collectivement la masse critique nécessaire pour peser sur les équilibres économiques et financiers.
- La crise révèle la capacité de l'Europe à agir sur la mondialisation : celle de proposer des normes de référence pour l'ensemble des acteurs mondiaux. Nous avons l'opportunité de peser sur la refondation à moyen et long terme du système financier international. Nous le verrons lors de la réunion du G20 organisée le 15 novembre prochain à Washington ou New York.
- Le sommet de l'Eurogroupe a montré la nécessité d'une entente étroite entre les Etats membres. La coopération a été payante. La division nous condamne à l'impuissance face à un défi de dimension mondiale. L'entente entre les plus grands Etats membres est particulièrement indispensable pour faire avancer collectivement les Européens. Sans la Grande-Bretagne, sans la Présidence française de l'Union européenne, et sans l'appui décisif de l'Allemagne, rien n'aurait été possible. Sans unité européenne, bien sûr, l'influence de l'Union décroît.
J'ajoute qu'avoir un Eurogroupe mieux organisé politiquement n'est dirigé contre personne, et surtout pas les Tchèques. C'est tirer les leçons de la gestion de la crise. C'est assumer le fait que nous partageons les mêmes solidarités économiques et financières, plus que jamais à développer en période de crise.
La crise en Géorgie a montré que l'élargissement avait été un atout et non une faiblesse :
Je voudrais revenir sur l'émergence de l'Europe au cours de cette crise entre la Géorgie et la Russie. A quinze, l'Europe n'aurait pas eu le même poids ni la même légitimité pour intervenir. Pour la première fois, l'Union européenne s'est imposée comme un acteur majeur des relations internationales. L'Europe, il faut en avoir conscience, a arrêté une guerre. Elle a su agir dans l'urgence et faire face, dans la concertation, aux exigences de la situation.
L'Union européenne, enfin, est devenue un modèle d'intégration régionale, repris par l'ensemble des continents, avec naturellement des degrés d'avancement très inégaux :
L'Union européenne est par nature une "puissance délibérante", fondée sur la démocratie, le respect de valeurs fondamentales et le rôle primordial du Droit, ce qui contribue à lui donner un poids important dans un monde que nous voulons fonder sur le multilatéralisme ;
L'Europe doit s'affirmer davantage comme puissance normative, corollaire de l'espace unique de droit et de démocratie dont elle est l'exemple.
Quel type de relations l'Europe devrait-elle développer avec son environnement et les grandes puissances émergentes ?
J'observe tout d'abord, qu'il nous faut déjà gérer l'attractivité de l'Union européenne :
Le succès de l'Union entraîne ainsi des responsabilités nouvelles.
La première conséquence de l'attractivité de l'Union européenne a été l'élargissement. Le mouvement a été évident pour l'Europe centrale et baltique ; il est tout aussi naturel aujourd'hui pour les pays des Balkans occidentaux avec toutefois la nécessité pour ces pays de mener les réformes qui s'imposent, notamment dans la lutte contre la criminalité organisée, et de favoriser la coopération régionale. Nous devrons aussi gérer de la manière la plus responsable possible la candidature de la Turquie, dès lors que ce pays accélère les réformes et reconnaît, bien sûr, la République de Chypre.
Au-delà des Balkans, le recours à l'élargissement ne peut pas être la seule réponse pour assurer la stabilité de notre voisinage, à l'Est comme au Sud. La question est désormais : que faire des voisins de l'Union européenne sans être contraints par l'alternative entre adhésion/pas d'adhésion ?
La politique de voisinage est une première réponse. Mais l'enjeu est désormais de mettre en oeuvre une différenciation au profit des voisins les plus dynamiques (Maroc, Ukraine) ; et de favoriser la coopération régionale entre les Etats voisins (Maghreb, Caucase). L'Union pour la Méditerranée, proposée par la France, y contribuera et donnera à la Méditerranée une enceinte de coopération régionale qui lui fait défaut.
C'est ainsi que l'Europe pourra exporter sa stabilité, sans remettre en cause sa cohésion.
C'est pourquoi nous devons aussi donner un sens à son avenir en réfléchissant à ce qu'elle pourrait être dans les vingt prochaines années, à ce que seront ses politiques, ses relations avec ses voisins, sa place dans le monde. C'est le sens du Comité des sages confirmé au dernier Conseil européen, présidé par Felipe Gonzalez et dont sera membre Nicole Notat.
S'agissant des relations de l'Union européenne avec les grands pays émergents (Chine, Brésil, Inde...) cinq données essentielles peuvent les orienter aujourd'hui.
Ces pays détiennent, à l'évidence, la clé de la réponse à la plupart des grands enjeux globaux (lutte contre le changement climatique, prix de l'énergie, stabilité financière...).
Les pays émergents ne forment pas un "bloc homogène", comme l'a montré, entre autres, la divergence d'intérêts entre l'Inde et le Brésil sur les négociations à l'OMC.
Les pays émergents présentent un "double visage", avec des zones développées et une classe moyenne en expansion, mais aussi des poches de pauvreté et de sous-développement. Cette identité ambiguë rend difficile à tracer la frontière entre ce qui relève, d'une part de flexibilités ou dérogations légitimes aux normes multilatérales (climat, commerce etc.) et, d'autre part, de pratiques concurrentielles déloyales.
Ces pays sont en phase de reconquête de leur souveraineté nationale et sont tentés d'utiliser les flux économiques comme un élément d'affirmation de leur puissance politique là où l'Europe, par contraste, a cherché après la Seconde Guerre mondiale à déconnecter l'économie des politiques de puissance et à considérer les limitations de souveraineté comme un instrument de pacification des relations entre Etats.
Il conviendra d'examiner les conséquences de la crise financière sur ces grands pays émergents. Certains souffriront du rapatriement des capitaux extérieurs. C'est le cas de l'Inde et du Brésil. D'autres gardent des réserves très importantes (Chine) ou des instruments d'intervention susceptibles de leur faire acquérir bien des entreprises européennes après la crise. Nous aurons donc à gérer la division entre émergents, ceux qui le seront un peu moins, ceux qui le seront un peu plus.
Dans ce contexte, que peut faire l'Union européenne ?
Tout d'abord, cheminer vers des règles partagées avec ces pays émergents. Autrement dit, accepter de leur donner davantage de pouvoirs dans les organisations internationales, ce qui n'est pas évident, ni consensuel. Mais je vous renvoie à l'organisation du G20 sur la "refondation" du capitalisme.
Essayer d'établir un "jeu à somme positive" avec ces pays, en établissant des liens entre des thèmes (commerce, climat, investissements, énergie, propriété intellectuelle...) habituellement traités de façon cloisonnée. Il est évident que la crise rendra dans certains cas les négociations plus faciles (propriété intellectuelle) et dans d'autres moins faciles (climat, commerce).
Nous devons dans cet environnement nouveau nous répartir les tâches avec les Etats-Unis d'Amérique et, pour cela, lancer un dialogue renouvelé avec les USA. Quelles sont les complémentarités et différences en matière de sécurité ? Comment amener les USA vers plus de multilatéralisme ? Comment surmonter dans un contexte dépressif nos divergences commerciales ? Comment coopérer dans le long terme pour assurer une meilleure régulation économique et financière? Telles sont les principales questions que nous aborderons avec la nouvelle administration américaine.
Je conclurai sur le Traité de Lisbonne car je suis plus que jamais convaincu que nous ne pouvons en faire l'économie pour renforcer notre main dans la mondialisation. Pourquoi ?
Parce que les innovations sont particulièrement significatives dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité :
- Le nouveau Haut représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, qui portera également le titre de vice-président de la Commission, assurera davantage de cohérence et de coordination entre des services aujourd'hui éclatés entre la Commission et le Conseil.
- A l'extérieur, le Service européen d'action extérieure permettra à l'Union européenne d'agir de manière cohérente avec l'ensemble des instruments dont elle dispose.
- Le traité contient enfin des innovations institutionnelles dans le domaine de la Politique européenne de sécurité et de défense, à travers la possibilité pour les Etats désireux se s'engager dans le développement de leurs capacités de former une "coopération structurée permanente", en complément aux coopérations renforcées traditionnelles.
Nous aurons ainsi une action plus visible, mi-communautaire, mi-gouvernementale, qui combine les moyens de la Commission et la tradition diplomatique et de sécurité des Etats membres.
Enfin et surtout, c'est le Traité qui permettra d'assurer la continuité de l'action extérieure dont nous avons plus que jamais besoin dans les périodes de grande turbulence dans lesquelles nous entrons.
Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 2008