Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "France 2" le 23 octobre 2008, sur la question de l'imposition de sommes versées au titre d'indemnités pour préjudice et sur le plan gouvernemental de soutien aux banques.

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Média : France 2

Texte intégral

F. Laborde.- Avec E. Woerth, ce matin, nous allons parler du budget qui est en discussion en ce moment à l'Assemblée nationale. Nous allons parler évidemment aussi de conjoncture économique et puis d'autres mesures qui sont annoncées. Bonjour E. Woerth, merci d'être avec nous. Avant de parler de... un mot de conjoncture quand même. Ce qui s'est passé cette nuit, avec ce qu'on appelle déjà "l'amendement Tapie", si je puis dire, c'est-à-dire que les députés ont décidé que seraient soumises à l'impôt toutes les indemnités payées par la justice au justiciable au-delà de 200.000 euros et on se rappelle que B. Tapie avait, entre guillemets, reçu ou va recevoir 280 millions d'euros au titre du préjudice subi par lui et 45 millions d'euros au titre du préjudice moral. Va-t-il devoir payer de l'impôt sur ces sommes B. Tapie ?

Les députés ont souhaité faire en sorte que... enfin la compensation d'un préjudice moral ça c'est le tribunal qui donne cela et qui décide de fixer le montant d'un préjudice moral. Jusqu'à présent, il n'y avait pas d'impôt, puisque c'est un préjudice moral, c'est une compensation. Il y a une jurisprudence constante. Les députés ont souhaité qu'au-delà de 200.000 euros, ce soit taxable. Dont acte. Moi j'ai indiqué que le préjudice moral... Enfin, il ne faut pas personnaliser, parce que là, il n'y a pas que Tapie, si vous voulez. Il ne faut pas personnaliser. Il y a plein de gens qui peuvent avoir un préjudice moral. Il y a plein de cas de figure. Pourquoi 200 ? Pourquoi pas 250 ? Pourquoi pas 150 ?

Quelqu'un qui a fait de la prison indûment, ou des choses comme ça.

Quelqu'un qui a fait 10 ans de prison, par exemple, et qu'on considère qu'il est innocent. Peut être qui peut avoir un préjudice moral, j'espère en tout cas supérieur à 200.000 euros. Donc, il ne faut jamais légiférer sur un cas particulier quel que soit ce cas. Voilà ce que nous avons dit. Les députés ont souhaité voter l'amendement. Ils l'ont voté, voilà.

Mais il sera rétroactif ? Il sera appliqué à B. Tapie ou pas ?

Il faut que les juristes regardent ça de près. Je n'ai pas l'impression que ce soit rétroactif, mais il faudra regarder les conséquences juridiques de tout cela. Et puis on verra aussi au Sénat. On verra ce qu'en pensent les sénateurs, mais je crois qu'il faut être juste. Moi je ne veux pas m'enfermer dans l'affaire que vous citez, parce que ce n'est vraiment pas ça le sujet. C'est de savoir, quand on verse un préjudice moral, beaucoup de Français en reçoivent lorsqu'il y a un procès, est-ce qu'il est taxable ou est-ce qu'il n'est pas taxable, est-ce qu'on fixe une limite ou pas ?

Est-ce que les indemnités sont soumises à l'impôt ou pas, de manière générale ?

Voilà. Ne jamais légiférer sur un cas particulier, je pense que c'est dans ce cas là une mauvaise législation.

Prenons un peu, si je puis dire, de hauteur, et revenons à la conjoncture économique. On voit que décidément elle n'est pas bonne. Les marchés boursiers ont de nouveau dévissé. On voit que c'est la récession qui s'installe maintenant. Est-ce que vous, en effet, vous êtes plus préoccupé qu'il y a encore 15 jours ? Est-ce que vous avez le sentiment qu'on a les moyens en France d'y faire face ? On voit beaucoup d'inquiétude quand même...

Oui, il y a beaucoup d'inquiétude. Il ne faut pas rester les deux pieds dans le même sabot, comme on dit. Il y a eu un travail très important réalisé par le président de la République, par l'ensemble des dirigeants du monde, sur la crise financière. Cette crise, elle n'est pas passée. Vous ne claquez pas dans les doigts comme cela et la crise passe. Ce n'est pas comme cela que ça se passe, mais au fond quand même le crédit commence à revenir, les banques commencent à se refaire confiance, les établissements qui étaient plus ou moins douteux commencent à disparaître. Il y a des réunions qui sont en cours. On a annoncé la réunion que souhaitait N. Sarkozy, qui aura lieu cette fois-ci aux Etats-Unis dans quelques semaines. Donc, tout cela va dans la très, très bonne direction, heureusement. Puis, il y a quand même l'implication sur le plan économique. On voit bien que l'économie, le ralentissement s'installe. Et ça, c'est évidemment très préoccupant, donc il faut combattre ce ralentissement et il faut sûrement plus d'unité européenne, plus de mesures ponctuelles de soutien à tels ou tels types d'activités, déverrouillage de telle législation qui empêche la croissance de se faire jouir...

Par exemple, vous pensez à quoi ?

Je pense à l'emploi, je pense à des choses comme cela. On voit bien qu'il y a encore beaucoup de choses à faire encore dans ce domaine-là. Le marché de l'emploi est verrouillé, encore trop. On voit bien qu'il y a beaucoup, beaucoup d'éléments comme cela, qui ne sont pas nécessairement des éléments de coût. Je ne dis pas qu'il faut mettre de l'argent partout, je dis même plutôt le contraire. Et qu'en même temps, il y a beaucoup de réformes à faire qui verrouillent d'une certaine façon la croissance. C'est très, très vrai en France, vous le savez bien. Le Président, tout à l'heure, va annoncer un certain nombre de mesures pour les PME.

Alors, des mesures pour les PME, justement. Il y a déjà eu des mesures pour les banques à hauteur de 10,5 milliards ; il y a déjà eu un plan pour les PME à hauteur de 22 milliards, si je ne me trompe. Là, il va y avoir un plan PME bis, si je puis dire, et en même temps, on dit la France n'a plus d'argent. On n'y comprend plus rien. On va creuser le déficit, on va creuser la dette ? On fait marcher la planche à billets, comme on disait autrefois ?

C'est toujours compliqué à, pas expliquer mais sûrement à comprendre parce qu'il y a beaucoup une sorte de valse comme cela de bilans. En réalité, tout cela est évidemment très sérieusement fait. D'un côté, il y a les mesures financières pour les banques ; on ajoute au capital, on consolide le capital des banques. Tout cela c'est du crédit, c'est de la dette qui est sollicitée au travers de sociétés prises complètement sous contrôle de l'Etat. Et là, c'est évidemment... en face de ça, il y a des actifs, des titres de banque, etc. Donc, il n'y a pas un problème budgétaire, ce n'est pas le contribuable qui va payer. De l'autre, il y a des plans de soutien à tel ou tel secteur d'activité. Par exemple, pour les PME, ce qu'on a fait jusqu'à présent, on a débloqué à peu près 22 milliards d'euros. C'est tout simplement à partir de trésoreries existantes. Quand il y a la trésorerie qui existe dans tel ou tel organisme - à la Caisse Des Dépôts, sur tel livret, les livrets réglementés, etc., - il y a beaucoup d'argent qui peut être disponible à un moment donné, qu'en temps normal, il est normal de le laisser produire quelques intérêts et puis ... Alors que, là, aujourd'hui, quand on est dans cette situation, il faut les solliciter à fond. Il faut prendre la trésorerie activée, la trésorerie ne doit pas être dormante dans un monde qui a besoin de se réveiller. Donc il faut évidemment, à ce moment-là, l'activer. Ce n'est pas un coût pour les finances publiques, je souhaite quand même le dire. Tout à l'heure, le président de la République va parler en Haute- Savoie sur le plan économique, il a parlé sur le plan financier à Toulon, il va parler sur le plan économique, faire des propositions. Ces propositions, ce n'est pas nécessairement des propositions qui coûtent de l'argent aux contribuables. Il y a plein de manière de relancer l'économie, de remettre la France dans une économie peut-être plus moderne, plus offensive, sans nécessairement plomber le budget.

Il devrait y avoir des mesures sur l'emploi, comme celles qui vous évoquiez à l'instant ?

Oui, je pense qu'il peut y avoir des mesures sur l'emploi, des mesures sur les PME, il y a beaucoup de choses, certainement, qui seront évoquées par le Président. Je ne vais pas les évoquer maintenant, il en parlera tout à l'heure à midi.

On comprend bien. On avait aussi beaucoup évoqué l'idée de fonds souverain, c'est-à-dire des sommes d'argent qui sont à disposition d'un Etat, d'une nation, pour intervenir. Est-ce qu'en France, on n'a pas dé"jà cela avec le CDC, qui, en effet, intervient au capital de telle ou telle entreprise quand il le faut ?

Vous avez raison, la CDC est un organisme public qui dispose d'un certain nombre de fonds et qui peut intervenir. Il intervient sur le logement, l'aménagement du territoire, sur les entreprises. Sur plein de sujets. La question qu'on se pose depuis déjà longtemps mais qu'il faut maintenant essayer de résoudre, c'est notamment, dans une période de crise comme ça, le risque c'est de voir les entreprises, notamment les entreprises françaises, attaquées, comme l'ont été les Bourses ou les banques, et les voir changer de propriétaires alors qu'au contraire, il faut plutôt être offensif. Et là, il faut des moyens pour être offensif. Donc il faut peut-être regarder comment on peut créer un fonds d'investissement qui puisse répondre à cela. Je pense que le Président - j'espère en tout cas, j'ai le sentiment - abordera ce sujet tout à l'heure, et s'il le fait, c'est vraiment dans une vision offensive. Pas que l'économie française soit à la traîne ou soumise à des attaques de l'extérieur, avec des capitaux qui viennent d'ailleurs et qui fassent en sorte que nos entreprises partent ailleurs. Il faut défendre les entreprises françaises et en même temps, il faut être offensif sur l'ensemble des marchés.

Vous disiez à l'instant qu'il faudrait un fonds de relance européen. En même temps, on voit qu'il y a quand même des approches très différentes. Nous, par exemple, on part avec une hypothèse de budget de 1 % de croissance, alors qu'on sait qu'on n'y arrivera pas, alors que dans d'autres pays, ils annoncent plus clairement la couleur, en disant "on sera peut-être à moins 1..."

Parce que chaque pays à des rythmes ou un calendrier de révision de ses prévisions de croissance. On a aussi le nôtre, C. Lagarde l'a annoncé, elle a indiqué que nous réviserions nos prévisions de croissance à partir du moment où on aura des éléments supplémentaires. Donc on est très clairs, on est extrêmement transparents là-dessus. On révisera, si on révise, moi je changerai évidemment les prévisions de recettes budgétaires. On l'a dit, un budget c'est toujours, par principe, incertain, c'est une prévision. Dans un monde encore plus incertain, c'est plus compliqué. Mais il y a un socle qui est la maîtrise de la dépense publique, celui-là, il est très fort.

Deux petites réponses très rapides : la prime pour le transport, oui ou non ? Oui, bien sûr. D'accord, elle aura lieu. La taxe sur les sacs plastiques de 15 centimes, oui ou non ?

Non, parce que ce serait incompréhensible. Je remarque quand même qu'on a moins de sacs plastiques à la sortie des supermarchés, souvent, on vous les rationne. C'est bien pour l'environnement, et c'est tant mieux.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 24 octobre 2008