Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le projet et la contribution de l'UE à l'aide publique au développement et son inscription dans la mondialisation, Strasbourg le 17 novembre 2008.

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Circonstance : Troisième édition des journées européennes du développement : discours de clôture de Bernard Kouchner à Strasbourg le 17 novembre 2008

Texte intégral

Chère Madame Mathaai, Prix Nobel de la Paix,
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Secrétaire général,
Monsieur le Secrétaire d'Etat, Cher Alain,
Messieurs les Maires, Mesdames, Messieurs,
Chers Invités,
Ces trois journées que j'ai le plaisir de clôturer avec vous ont fait de Strasbourg le point de rencontre du Nord et du Sud. Je veux d'abord rendre hommage à l'énergie inlassable de tous ceux qui luttent au quotidien en faveur du développement.
Je sais quels obstacles vous rencontrez. Je sais que la crise financière qui ébranle le monde vous inquiète. Je sais quelles menaces elle fait peser sur les économies les plus fragiles. Une récession dans les pays développés aura des répercussions importantes sur le marché des matières premières et sur les investissements privés directs.
Je sais la frustration que vous ressentez, et parfois la colère - car vous avez le sentiment que les plus pauvres subissent de plein fouet des désordres que les pays riches ont créés, et qu'ils règlent ensuite entre eux.
Les excès de la dérégulation pèsent aujourd'hui lourdement sur la vie quotidienne d'une partie toujours croissante de l'humanité. Beaucoup, dans nos pays "riches", sont restés trop longtemps obstinément aveugles aux vrais besoins de financement d'un monde qui veut se développer. Pendant des décennies ils n'ont pas voulu voir l'effet dévastateur de leurs spéculations sur le reste du monde.
Je sais que beaucoup parmi vous craignent que les pays développés ne se replient désormais sur eux-mêmes et ne renoncent aux Objectifs du Millénaire. Au nom de l'Union européenne, je veux leur dire ceci : l'aide au développement pour nous n'est pas un luxe, dont on pourrait se dispenser en temps de crise. C'est une responsabilité politique et un pari sur l'avenir, que la crise rend d'autant plus nécessaire.
L'Union européenne est le premier donateur mondial pour l'aide publique au développement (56 % de l'aide globale). Eh bien, l'Union européenne montrera l'exemple.
La France est le premier contributeur du Fonds européen de Développement pour plus de 800 millions d'euros en 2009.
L'action de la France a permis, ces dernières années, à 1,5 million d'Africains d'accéder à l'eau potable, à 2 millions d'accéder à l'électricité, à 4 millions d'enfants d'être scolarisés et à 6 millions d'enfants d'être vaccinés.
En 2009, tous nos engagements bilatéraux et multilatéraux sont maintenus ; par exemple notre participation au Fonds mondial sida tuberculose paludisme à hauteur de 300 millions d'euros.
Il ne suffit pas de réaffirmer nos engagements financiers. On ne peut pas, aujourd'hui, continuer simplement comme avant : la crise actuelle n'est pas un accident de parcours. Nous avons une occasion historique de donner à la mondialisation un autre visage - si nous sommes assez audacieux, inventifs, déterminés.
L'Union européenne veut saisir cette chance. C'est pourquoi nous avons pris l'initiative de la réunion qui s'est tenue avant-hier à Washington, et qui marque le début d'une réforme de la régulation financière et de la gouvernance économique mondiale avec un vrai plan d'action pour les prochains mois. Je l'ai dit, nous aurions souhaité que les pays en développement y soient mieux représentés.
Mais il n'y a pas d'un côté les pays "riches", anciens et nouveaux, qui règlent leurs problèmes entre eux à Washington. Et puis, de l'autre, les pays en développement, qui se débrouillent comme ils peuvent. Il n'y a pas deux problèmes distincts : rétablir la confiance dans les pays développés d'un côté, maintenir l'aide au développement de l'autre. Il n'y a qu'un seul et même problème, qui est de remédier aux déséquilibres mondiaux qui nous menacent collectivement. Apprenons à penser globalement !
Apprendre à penser globalement : voilà l'ambition que l'Union européenne veut porter. Cette ambition tient en trois points.
D'abord, identifier ensemble les enjeux globaux, qui définissent nos responsabilités de long terme : enjeux démographiques, alimentaires, sanitaires, migratoires, climatiques, énergétiques - puisque c'est à l'échelle du globe que ces problèmes se posent désormais.
Ensuite, mettre en place les institutions et les mécanismes qui permettront de rassembler les énergies et de répondre collectivement à ces défis. La réforme des institutions financières est bien sûr au coeur de ce dispositif : il est urgent de remettre la finance au service des vrais besoins de financement, et de ceux qui ont le courage d'entreprendre pour y répondre.
Le sommet du G20 qui s'est tenu samedi marque une étape décisive dans ce sens. Il amorce une réforme d'ampleur, qui prend en compte les difficultés et les intérêts des pays en développement dont la France s'est fait le porte-parole (cf. point 14 de la déclaration finale). Ces pays doivent être mieux associés à la reconstruction du monde à laquelle nous devons nous atteler.
Réformer les instruments de gouvernance économique mondiale, c'est donc aussi inventer de nouveaux partenariats qui associent pleinement les pays en développement.
Il faut tout d'abord qu'une plus grande place leur soit accordée, dans les institutions internationales - dans le prolongement des avancées qui ont récemment permis d'augmenter leur poids au sein du FMI et de la Banque mondiale.
Mais il ne suffit pas de travailler à l'échelle des Etats : il faut aussi accorder une plus grande place aux représentants des sociétés civiles, et aux organisations de producteurs des pays du Sud. Cette idée est au coeur du partenariat mondial pour l'alimentation et l'agriculture, proposé par le président de la République. Il faut utiliser le formidable potentiel de solidarité entre les collectivités locales du Nord et du Sud, comme on l'a bien vu ici à Strasbourg.
Dans la nouvelle architecture internationale, nous proposons enfin qu'une place plus importante soit accordée aux institutions financières régionales, je pense par exemple à la Banque africaine de Développement. L'intégration régionale est l'une des clés d'un développement équilibré et réussi. Il est essentiel de renforcer les infrastructures transfrontalières, les échanges et les partenariats entre pays voisins, car ces échanges sont un moteur de la croissance.
Voici l'ambition européenne pour la mondialisation. Mais rien ne sera possible sans l'affirmation et le progrès des libertés et des droits politiques partout dans le monde. Aider au développement, c'est d'abord donner aux hommes et aux femmes les moyens d'entreprendre et de bâtir pour eux-mêmes un monde meilleur. Cela ne peut se faire si la société civile est réduite à la passivité, si l'indignation est confisquée, la démocratie étouffée. Cela ne peut se faire si l'opinion publique est bâillonnée, et ne peut exercer un contrôle sérieux sur les comptes publics. Le concept de gouvernance démocratique a pour but d'aider à gouverner dans la justice et dans la transparence, c'est la condition indispensable du développement et de la stabilité.
Nous vivons actuellement des semaines décisives. Le Sommet du G20 a posé un jalon dans le nouveau chapitre qu'il nous revient d'écrire. Il est temps de faire tomber les frontières qui subsistent dans nos têtes et dans nos coeurs. Il est temps d'apprendre à dire "nous" et de définir des solutions globales qui n'opposent plus les intérêts des uns aux intérêts des autres. Strasbourg est le trait d'union entre Washington et Doha !
J'entends déjà ceux qui diront que c'est une utopie. Mais je réponds que c'est à force d'utopies que la réalité enfin paraît. L'Europe aussi, en ses débuts, pouvait passer pour utopie. Elle s'est construite, ici à Strasbourg sur la reconnaissance d'enjeux communs, qui dépassaient chacun des Etats membres, et qui nécessitaient une forme nouvelle de coopération. Cela paraissait impossible - et pourtant voilà que l'Europe existe ! L'avenir est en marche par l'union jamais lasse de ceux qui ont l'audace d'y croire. Vous en êtes le plus beau témoignage.
Je vous en remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2008