Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "Europe 1" le 17 novembre 2008, sur les mesures déjà prises ou à prendre pour aider à la relance économique, aux niveaux national et international.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Bonjour Mme Lagarde et merci d'être là. Aujourd'hui, c'est la Fête des entrepreneurs. Est-ce que les entrepreneurs sont à la fête ?

Bonjour J.-P. Elkabbach. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour soutenir les entreprises. Cette semaine, c'est la Fête des entrepreneurs, les entrepreneurs ce sont aussi les entreprises, les entreprises ce sont les emplois, c'est l'activité économique. On a lancé un plan de 22 milliards d'euros de soutien pour leur financement, on est extrêmement attentifs à leurs investissements ; vous savez que depuis le 23 octobre, tous les investissements sont exonérés de taxe professionnelle, ce qui est vraiment le bienvenu. Je crois que le Gouvernement fait tous ces efforts pour leur souhaiter une belle fête.

Mais est-ce que ça empêchera une prochaine poussée du chômage en France ? Et ceux qui le pensent ont-ils tort ?

Nous aurons probablement des moments plus difficiles sur le front de l'emploi, pour une raison très simple : c'est que la croissance a baissé, même si elle tient beaucoup mieux en France que partout ailleurs en Europe, elle a néanmoins baissé, et on aura des conséquences sur l'emploi, c'est pour ça qu'on se mobilise, à la fois sur le plan de "Pôle emploi", qui est la nouvelle agence, et puis auprès des entreprises pour les engager à investir et à soutenir leur activité.

Quand vous voyez que nous augmentons de 0,14 - vous annonciez la nouvelle vendredi dernier, en disant que c'était une bonne nouvelle, c'est naturellement mieux que moins 0,5 ou 0,6 - est-ce que ça annonce une meilleure croissance pour l'année 2009 ?

Je pense que le 0,14... j'ai dit 0,14 parce que tout le monde disait ça sera 0,1 - c'était un petit plus que 0,1 - le 0,14 est une bonne nouvelle et démontre que les mesures que nous prenons depuis 18 mois produisent leurs effets. On a beaucoup critiqué les mesures sur les heures supplémentaires, on a beaucoup critiqué les mesures sur le pouvoir d'achat, on a parfois un peu critiqué les mesures sur la relance de la croissance par la concurrence...

Vous voulez dire que le Gouvernement ne s'est pas trompé dans sa politique économique ?

... je pense que nous en voyons maintenant les effets, puisque nous sommes... à situation égale avec l'Allemagne, l'Allemagne fait - 0,5, la France + 0,1, il y a quand même une raison quelque part : c'est la politique économique probablement qui fait quelques effets.

Vous étiez à Washington, on vous voit souvent sur les images naturellement qui reviennent des télévisions, on vous a vue avec G. Bush. Que dit-il quand il se confie à C. Lagarde ?

On a parlé de l'avenir. Je lui ai posé la question de B. Obama, évidemment, puisqu'il était absent pendant ce G20. Et il m'a dit que ce serait un bon Président, que c'était un homme de qualité, qu'il avait eu de bonnes réunions avec lui, et que cela augurait bien pour l'avenir, en particulier pour les prochaines réunions du G20 auxquelles, bien sûr, le nouveau Président des Etats-Unis participera.

Il aura beaucoup de sommets, il y a même des rendez-vous qui sont prévus avant avril, et vous-même vous avez des missions et un délai jusqu'au à peu près au 31 mars pour inventer et mettre en place un certain nombre de mesures pour la relance de l'économie.

Oui, alors, le G20 a prévu quatre grands principes : la relance concertée et collective des pays du G20 ; le G20, il faut se souvenir, ça représente 90 % du PIB mondial, et 80 % des échanges, donc vous avez tous les joueurs, les gros joueurs autour de la table, ils ont tous décidé de relancer. Nous avons tous décidé de réformer le système financier, nous avons tous décidé de réformer la gouvernance mondiale, c'est-à-dire, les organes comme le Fonds Monétaire Internationale, la Banque Mondiale, le Forum de stabilité financière qui aide à la mise en place de tout ça, et a on tous décidé de ne pas mettre en oeuvre de mesures de protectionnisme, ce qui serait la dernière des choses à faire. Alors, d'ici le 31 mars, tous les ministres des Finances sont à la tâche, c'est-à-dire, que nous devons maintenant décliner en pratiques toutes les mesures qui ont été décidées dans les principes. Je vous cite un exemple : il va falloir qu'on mette en place l'enregistrement des agences de notations ; il va falloir que nous mettions en place les principes...

L'enregistrement, ça veut dire la correction, l'amélioration, la réforme ?

Ça veut dire, la vérification d'abord par le superviseur ; ça veut dire l'adhésion à des codes de bonne conduite ; et ça veut dire la vérification du respect du Code de bonne conduite pour éviter notamment les conflits d'intérêts.

Mais vous, qu'avez-vous à faire comme "action immédiate", parce que, c'est le terme qui est employé ?

C'est exactement ce que je vous disais. Avec mes collègues, les autres 19 ministres des pays du G20, se mettre d'accord et mettre en place les fondations pour l'enregistrement des agences de notations, pour les bons échanges d'informations avec les paradis fiscaux ; pour s'assurer que les rémunérations dans les banques et les établissements financiers n'engagent pas une accélération des processus de crise.

Pour relancer, il faut de l'argent et des réserves sans doute, la France on nous dit qu'elle n'en a plus. Faut-il, pour une relance rapide, et ce que vous appelez "temporaire", creuser les déficits et augmenter les dettes ?

Premièrement, il faut que ce soit concerté ; on a décidé samedi, qu'il fallait que tout le monde s'y mette. Donc, c'est dans un cadre européen que nous allons travailler, et on va décliner nationalement, je l'espère en tout cas, les actions qui seront convenues au niveau européen. La Commission européenne travaille actuellement et, le 26 novembre, proposera un certain nombre de mesures. Je note, un, que nous avons déjà fait pas mal, qu'il s'agisse de 22 milliards pour le financement des PME, de l'exonération de taxe professionnelle, du crédit impôt recherche, ou des 8 milliards qui sont injectés dans l'économie...

C'est-à-dire, vous ne pouvez pas faire plus, vous estimez que vous avez fait assez ?

...On a déjà fait beaucoup. Il faudra probablement envisager, dans un cadre européen, et à la dimension nationale, des actions, notamment dans le secteur automobile.

Vous parlez de la Commission européenne. Vendredi, M. Barroso révélait sur Europe 1, que les Européens allaient très bientôt proposer des aides à l'industrie automobile. Pour la France c'est quand ?

Ca sera d'abord prescrit au niveau européen, et ensuite sur le plan national. Je ne suis pas sûre qu'on parle d'ores et déjà d'aides, je crois que c'est plutôt la Banque européenne d'investissement qui va se mobiliser pour soutenir l'industrie automobile.

Mais quelle est la différence entre "soutien" et "aide" ?

Le président de la République a lui aussi annoncé, je vous le rappelle, dans le secteur automobile, des aides et des soutiens à la recherche et au développement dans le domaine automobile, dans le domaine des transports. Et je crois qu'on est à un moment de transition, vers une nouvelle génération automobile, une nouvelle génération dans le domaine des transports, et là, il est légitime que l'Etat soutienne.

En France aussi ? Le niveau européen et le niveau français.

Bien sûr, bien sûr.

Vous voyez travailler les 20 chefs d'Etat du monde, vous étiez à Washington, ce sont des chefs d'Etat qui pèsent lourd, en pays, en production, en richesses. Avez-vous le sentiment qu'ils partagent les mêmes peurs et les mêmes aspirations pour 2009 et au-delà ? Ou que, eux-mêmes commencent à avoir un peu confiance ?

Ce qui m'a beaucoup frappée c'est que, alors que ce sont d'immenses personnages dans leurs pays, et que vous avez autour de la table, je vous le disais, 90 % du PIB mondial, ces 20 personnages-là s'entendent, regardent les choses de la même façon, partagent l'analyse, partagent la stratégie. Je veux dire que...
Vous voulez dire que la Chine comme l'Arabie Saoudite, l'Allemagne comme le Brésil, etc.

La Turquie comme la Russie... ... tous ? Absolument, absolument, et c'est un choc quand vous rentrez ensuite à Paris et que vous voyez les discordances, les dissensions, les éclatements...

Dans les partis ?

Dans les partis, ah oui ! Ça, je dois dire que le spectacle du Parti socialiste était assez affligeant.

Oui... Même quand on ne veut pas faire de politique comme vous, on ne peut pas s'empêcher de faire ces constatations !

Bien sûr, parce qu'on est dans un tel climat de tension et de risque de crise que, si on n'est pas capable de serrer les rangs et de faire face ensemble à ces difficultés, on n'y arrivera pas. Alors, je constate que le président de la République chez nous, en Europe, puis là-bas, a réussi à engager au consensus, et c'était frappant de voir, un, le partage d'analyse, deux, le partage de stratégie.

Et les Français n'agacent pas aux Etats-Unis aujourd'hui ?

Oh ! Ecoutez...

Ou ils en font trop ou ils en font beaucoup !

Non, mais non, on a beaucoup poussé pour parvenir à cet accord, on a travaillé jour et nuit pour peaufiner, raffiner le texte. C'est vrai que, tant qu'on n'y est pas vraiment arrivé, on est un peu agaçants, mais une fois que c'est passé, tout le monde est content.

Aux Etats-Unis, on dit que la crise menacerait maintenant les émetteurs de cartes de crédit. D'abord American Express. Est-ce que cette peur vous l'avez entendue et existe-t-elle ?

Je pense qu'il y a la certitude que nous sommes dans la crise financière, en train de la résoudre, en train de l'approcher avec les bonnes méthodes, mais il y a probablement d'autres surprises à attendre dans les semaines qui viennent. Je pense en revanche qu'on est mobilisé, ensemble pour y répondre.

Quels genres de surprises ? Des mauvaises, des bonnes ?

0,14 % de croissance, c'était une bonne surprise pour le troisième trimestre et pour la France. Dans le domaine financier, je crois qu'il y a un mouvement de restructurations qui est en cours aux Etats-Unis et qui doit poursuivre son processus.

Est-ce qu'il faut une pause des réformes en France ?

Sûrement pas, sûrement pas, sûrement pas. La raison pour laquelle la France sort mieux son épingle du jeu que nos voisins européens, c'est précisément parce qu'on a engagé des réformes et qu'on le fait à marche forcée, il faut absolument continuer.

Aujourd'hui, c'est la Journée des entrepreneurs, vous le disiez tout à l'heure, le slogan de la Journée des entrepreneurs c'est "J'aime ma boîte". Est-ce que vous dites la même chose ? Vous dites "Entrepreneur" pour votre Gouvernement ?

J'aime ma boîte, bien, sûr que j'aime ma boîte !

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 novembre 2008