Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "France Info" le 26 novembre 2008, sur le plan de relance économique européen et sur les orientations du gouvernement français pour soutenir des secteurs économiques en difficulté et les exportations.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- La "Question du jour", c'est donc à la ministre de l'Economie qu'on la pose aujourd'hui, C. Lagarde... On va évidemment commencer par parler du plan de relance, puisque la Commission européenne se réunit à Bruxelles aujourd'hui pour détailler ce plan de relance. L'enveloppe, ce n'est plus un secret désormais, c'est 130 milliards d'euros. Et, vu le contexte général, elle a décidé d'oublier pour deux ans la maîtrise des déficits pour se consacrer à la croissance. C'est une bonne nouvelle ?
D'abord, je ne serais pas aussi formelle que vous sur le chiffrage, parce que hier soir, le chiffrage était encore entre parenthèses, et donc on en aura vraiment la primeur quand la Commission discutera de son plan et le présentera cet après-midi. Il se peut que ce soit un peu plus, c'est encore incertain. Bonne nouvelle ou pas bonne nouvelle ? Ce que je constate c'est que, dans les mesures qui sont préconisées par la Commission européenne, la France entre dans cette course contre la crise avec de l'élan. Pourquoi ? Parce que, qu'il s'agisse des allégements sur les charges sociales, qu'il s'agisse du soutien à l'investissement, qu'il s'agisse de la croissance dite "durable", avec des mesures particulières sur, notamment, les économies en matière d'énergie, les immeubles intelligents, les réductions d'émissions de gaz à effet de serre, dans tous ces domaines-là, la Commission encourage les Etats membres à s'engager. Et qu'est-ce qu'on a fait en France ? On a fait précisément cela au cours des 18 derniers mois. Qu'il s'agisse des allégements de charges, qu'il s'agisse du renforcement des contrats de transition professionnelle pour aider ceux qui font l'objet de restructurations, qu'il s'agisse de l'exonération de taxes professionnelles, qu'il s'agisse de "l'éco PTZ", de l'ensemble des mesures du Grenelle, on est vraiment dans la ligne. Donc, je pense que nous allons devoir renforcer, soutenir, accélérer un certain nombre de mesures, mais qu'en termes de principes, on est sur les bonnes bases et la France arrive avec de l'élan.
La grosse difficulté en fait pour les pays - pour que les gens qui nous écoutent comprennent bien - c'était à la fois, justement, d'arriver à remettre de l'huile dans le moteur, relancer les machines économiques dans les différents pays, mais tout en essayant de continuer à limiter des déficits. Là, pour le coup, on met les choses entre parenthèses, pour deux ans en tout cas, ce sera temporaire ?
Je vais y revenir dans un instant. C'est votre analogie de "moteur" qui m'incite à vous dire trois choses, parce qu'il faut qu'on agisse sur trois plans. Il faut absolument qu'on continue à réamorcer la pompe à finances ; on a engagé un gros travail depuis environ un mois, ça n'est pas fini, c'est un travail qu'on doit continuer à faire, je pense qu'il ne faut pas l'oublier. Et il faut continuer à travailler sur le court terme, sur l'urgence, et sur le long terme. Le deuxième mécanisme, vous l'avez dit, c'est la pompe économique, et là il faut absolument stimuler l'investissement. Et puis, la troisième mesure, c'est la poursuite des réformes structurelles, et là aussi, je pense que la Commission va nous encourager. Alors, revenons aux 3 %. Je pense que la Commission va nous dire cet après-midi : un plan de deux ans, dix mesures spécifiques, et certains pays devront dépasser les 3 %, on le sait, on l'accepte, mais il faut que les mesures soient ciblées, de telle sorte qu'après les deux ans, et quand on est sortis de cette période de crise, on puisse revenir vers des principes de gestion des finances publiques, de maintien et de réduction des déficits, et de réduction de la dette publique, qui soient compatibles avec nos objectifs de croissance durable.
On était, nous, la France, pas vraiment bon élève en la matière. Ça va nous compliquer un petit peu la tâche ?
On se trouve dans des situations totalement bouleversées. L'Irlande, par exemple, qui était "un vertueux" entre guillemets, a crevé le plafond des 3 % ; l'Espagne, qui avait de l'excédent va se retrouver en situation de déficit ; la Grande-Bretagne est largement au-delà des 3 % depuis plusieurs mois. Donc, la crise actuelle a totalement bouleversé les équilibres sur lesquels nous étions. Ce que nous savons maintenant, c'est que sur deux ans, il faut absolument cibler nos soutiens à l'économie, de telle sorte que ce soit efficace et que ce soit éventuellement réversible. Parce que, lorsque ça va mieux, il faut pouvoir revenir en arrière et resserrer la gestion des finances publiques.
Visiblement, à l'intérieur de ces mesures, il y a ce qu'a fait la Grande-Bretagne, c'est-à-dire, la baisse possible, en tout cas proposée par la Commission, des taux de TVA. Est-ce que la France va accepter ou pas de le faire ? On a parlé de le faire pour le secteur de l'automobile.
Il y a deux mesures possibles : il y a la mesure de baisse généralisée de la TVA, de 1 point, 2 points, comme l'envisagent les Britanniques, dont j'observe qu'ils font un petit peu cavaliers seuls, je le regrette d'ailleurs. Et puis, il y a des baisses ciblées sur certains secteurs pour encourager des secteurs particulièrement touchés. Nous pensons évidemment au secteur automobile et à la filière automobile. Et puis on peut imaginer d'autres secteurs dans d'autres pays. Nous considérons, nous, parce que nous avons une industrie, qu'il faut ne pas prendre de mesures qui seraient de nature à soutenir les importations. Pourquoi ? Parce qu'on veut tenir les trois moteurs. Le troisième moteur c'est celui des exportations, pas celui des importations. Une baisse de TVA généralisée, ça aurait pour effet d'encourager la consommation, et on le sait, il y a un bon 40 % de la consommation des Français qui sont des produits d'importation.
Maintenant, on attend évidemment le détail des plans pays par pays, la France devrait l'annoncer, ce qu'a dit N. Sarkozy, dans une dizaine de jours. On parle de plan de relance "assez massif". Qu'est-ce que ça signifie "assez massif" ?
Ça signifie d'abord que ça doit être important, ce n'est pas une série de petites mesurettes, c'est un plan vaste...
Soutien au secteur de l'automobile ?
...c'est temporaire et c'est ciblé, et il faut absolument que ça réponde à ces trois critères. Temporaire, ciblé, et massif, parce qu'on veut avoir un effet rapide, maintenant. Et on sait que c'est maintenant qu'on doit poursuivre sur l'élan que la France a déjà engagé.
"Temporaire et ciblé" par exemple pour l'automobile ou pour le bâtiment qui sont aujourd'hui en grande difficulté ?
Oui, ce sont deux secteurs dont l'un est en grande difficulté, dont l'autre entre dans une période de difficulté, et nous savons qu'il est aussi porteur de croissance induite, c'est-à-dire que, quand vous relancez le bâtiment, en général ça relance autour, à la fois, en amont et en aval. On dit : quand le bâtiment va tout va...
Effectivement...
...il faut effectivement prendre des mesures dans ce secteur.
Et en la matière, ça s'annonce plutôt difficile pour 2009, puisque les différentes fédérations parlent, si la crise s'aggrave, de pertes entre 25 et 30.000 emplois. Alors, l'emploi justement, c'est une de vos priorités évidemment. Comment allez-vous faire pour freiner la chute du chômage, l'accélération plutôt du chômage ? Va-t-on, oui ou non, passer la barre des 2 millions de chômeurs en France ?
Vous savez, l'effort qu'on entreprend c'est un effort pour soutenir toute l'économie, et quand on soutient toute l'économie on soutient forcément l'emploi. Aujourd'hui, l'économie est ralentie, parce que la demande internationale est considérablement affaiblie, et parce que toutes les économies sont ralenties. Donc, on sait qu'on va avoir du chômage en plus, un afflux de demandeurs d'emploi. C'est bien pour ça que "Pôle emploi" - vous savez, c'est l'ancienne ANPE-Assedic - "Pôle emploi" est complètement mobilisé pour essayer de suivre au plus près et au plus vite tous les demandeurs d'emploi qui arrivent sur le marché de l'emploi. Parce qu'on veut, avec L. Wauquiez, réduire au stricte minimum le temps d'attente entre le moment de l'inscription, et le moment où, soit une formation professionnelle, soit un nouveau job est proposé. Et je dis bien soit l'un, soit l'autre, parce qu'on le sait, ces périodes d'attente sont des périodes à la fois d'angoisse, de perte de spécialité. Il faut absolument doper la formation professionnelle, et j'attends beaucoup de la part des partenaires sociaux dans ce domaine, ils sont en négociations actuellement. Et sur l'assurance chômage et sur la formation professionnelle, il faut absolument qu'on arme tous ces dispositifs pour lutter contre le chômage, et surtout le temps d'attente qui se prolonge.
Vous nous dites depuis hier, que les chiffres vont être de nouveau très mauvais, comme au mois d'août. Alors, je sais qu'ils seront annoncés demain soir. Malgré tout, on est aujourd'hui à 1,9 million chômeurs en France. Est-ce que vous pensez, je repose ma question, qu'on va franchir ce mois-ci la barre des 2 millions ?
Mais qu'on la franchisse ou qu'on ne la franchisse pas...
Ca n'échappe pas à la logique pour les Français ?
Oui, mais c'est surtout dans les têtes et dans ce qu'on veut bien en faire. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas le "2 millions", c'est chaque nouveau demandeur d'emploi qui arrive sur le marché, et c'est auprès de chacun de ces demandeurs d'emploi que je souhaite que tout le dispositif public se mobilise, et surtout, que j'appelle les partenaires sociaux à accélérer leur travail, et en formation professionnelle, et en assurance chômage pour qu'on aboutisse à un dispositif double qui, à la fois, renforce la formation des demandeurs d'emploi et les accompagne avec une indemnisation qui soit solide.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 26 novembre 2008