Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de la Commission de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest,
Monsieur le Président de la Banque africaine de développement,
Monsieur le Directeur général de l'Office international des Epizooties,
Chers Amis,
Ce forum vient à point nommé après la décision de l'Union européenne d'affecter 1 milliard d'euros supplémentaires à la sécurité alimentaire pour les trois prochaines années.
La crise financière et la baisse des prix des denrées ne doivent en effet pas nous faire oublier la crise alimentaire :
- ces prix restent très supérieurs à ceux des années récentes et connaissent de fortes variations,
- la menace des accidents climatiques persiste,
- et surtout, la récession mondiale rend plus fragiles les populations urbaines des pays pauvres.
L'Afrique qui importait 7 kgs de céréales par personne et par an depuis les années soixante, est venue à en importer trois fois plus à la fin du siècle dernier, ce qui expose fortement sa population aux risques de l'économie mondialisée.
Comment en sommes nous arrivés là ?
La production africaine a longtemps suivi tant bien que mal la gigantesque augmentation de la population qui est passée de 330 millions à 730 millions sur les vingt-cinq dernières années, puis elle s'est essoufflée : l'augmentation de la dépendance alimentaire est un phénomène assez récent.
De surcroît, l'augmentation de la production ne s'est pas réalisée dans des conditions soutenables : elle s'est faite de façon extensive, les superficies cultivées augmentant de 25 % tous les vingt-cinq ans, alors que les rendements moyens n'augmentaient quant à eux pas assez, voire diminuaient dans certaines régions.
Ce modèle de croissance est lourd de risques:
- risques de saturation des villes qui peinent à absorber l'exode des jeunes ruraux,
- risques de pénuries graves sous l'effet du changement climatique qui rend plus aléatoires les précipitations,
- risques pour la paix enfin : les conflits agriculteurs-éleveurs générés par la mise en culture de terres d'élevage se multiplient dans la bande sahélienne ; ils sont un élément majeur du drame du Darfour. Les conflits d'accès à la terre sont également un des ressorts de la crise ivoirienne.
Cette situation est le résultat de politiques inadaptées et de financements insuffisants, ces deux facteurs étant au demeurant inextricablement imbriqués.
Les deux aspects seront traités dans les deux jours à venir, pour répondre à la question suivante :
- comment passer à une intensification durable basée sur l'investissement pour la production et le commerce, notamment régional ?
La période qui s'ouvre est en effet propice à cette intensification : l'augmentation des prix mondiaux rend rentables des investissements qui l'étaient peu : j'ai pu m'en rendre compte lors d'une visite de périmètres irrigués au Sénégal.
Il s'agit d'abord d'alimenter les marchés domestiques et régionaux. Mais, j'ajouterai que la nouvelle donne économique mondiale, qui se dessine, devrait offrir de nouvelles opportunités à l'Afrique. La Chine va commencer à recentrer son économie sur son marché intérieur, et pourrait être suivie par d'autres économies asiatiques, dont les coûts de production augmentent : des places seront à prendre sur le marché mondial.
L'ampleur des moyens requis est considérable : les investissements nécessaires en matière de recherche agricole, d'irrigation et de pistes agricoles ont été estimés à 6 milliard d'euros par an en Afrique subsaharienne pour la période 1997-2025.
La mobilisation de ressources ne saurait reposer exclusivement ni sur l'Aide publique au Développement (APD), ni sur les budgets nationaux, ni sur le financement privé.
Nous trouvons là une parfaite illustration du consensus de Monterrey, réaffirmé à Doha, où j'ai représenté la PFUE il y a quelques jours : le financement du développement doit mobiliser toutes les sources, et parmi elles l'aide doit jouer un rôle catalyseur.
La part de l'aide consacrée au secteur rural est passée, nous le savons, d'environ 25% à la fin des années 1980 à 5% en 2005. Le partenariat mondial pour la sécurité alimentaire, initié à Rome par le président Sarkozy, vise notamment à relancer cette aide.
Les états africains se sont engagés à Maputo en 2003 à consacrer 10% de leur budget à l'agriculture. Ceci est à saluer, mais avec moins d'une dizaine de pays consacrant aujourd'hui plus de 6% de leur budget à l'agriculture, bien des efforts restent à faire.
Le taux d'épargne reste insuffisant en Afrique malgré l'accélération de la croissance, et l'épargne peine à s'affecter à l'investissement agricole.
Enfin, si l'investissement direct étranger a connu des niveaux records, il demeure trop concentré sur l'extraction des matières premières. Une nouvelle vague d'investissements agricoles internationaux se manifeste. Ceci est positif, sous réserve que les-dits investissements ne portent pas atteinte à la sécurité alimentaire des populations locales, qui est la première priorité.
Tous les efforts de mobilisation de ressources vers l'agriculture doivent se conjuguer.
C'est dans cet esprit qu'a été organisé ce forum, dont vous me permettrez de souligner l'originalité : je l'ai souhaité entièrement basé sur des témoignages et des échanges d'acteurs de tous horizons. Puissent-ils trouver ici des raisons nouvelles de travailler ensemble !
Mais nous le savons, la mobilisation de ressources n'est possible et efficace que dans un cadre institutionnel adéquat. La réunion de demain nous dira comment les politiques peuvent répondre aux attentes exprimées aujourd'hui.
La première table ronde aura pour thème le financement des filières agricoles : quelles sont les opportunités et difficultés rencontrées par le secteur privé ? Quelles sont les conditions économiques et institutionnelles favorables à l'investissement productif ? Quel rôle les partenariats public-privé peuvent-ils jouer ?
La seconde table ronde aura pour thème le financement des infrastructures et services d'intérêt commun. Nous nous poserons les mêmes questions que pour la première table, mais cette fois à propos de l'irrigation, des pistes, et des engrais, en sachant que le renforcement du rôle du privé dans le financement des infrastructures et services d'intérêt commun est novateur et se heurte à bien des défis.
La troisième table ronde donnera la parole aux financiers privés : banques commerciales, institutions de microfinance, capital risqueur et crédits agricoles nous feront part de leurs expériences et de leurs attentes.
Puis, Michel Camdessus nous fera part de ses réflexions sur la mobilisation de l'épargne en Afrique.
Enfin, la quatrième table ronde donnera la parole aux bailleurs multi et bilatéraux.
Merci d'avoir répondu si rapidement à mon invitation, et bon travail : je suis sûr que la chaleur et la convivialité des locaux de l'Office international des Epizooties, que je tiens à remercier, seront propices à des débats animés et constructifs.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2008