Texte intégral
Monsieur le Ministre, Président de Presse-Liberté
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Jai grand plaisir à procéder, comme lannée dernière, à louverture de ce colloque organisé par lassociation Presse-Liberté.
Il est bon que les professionnels se rencontrent régulièrement pour faire le point sur les problèmes de la presse.
Votre association se donne pour but la défense de la liberté dexpression, et vous savez à quel point je suis moi aussi attachée à ce principe.
Dans les relations, parfois tendues, toujours étroites entre presse et justice, votre colloque constitue un point de rencontre et de débats, qui permet de faire avancer la connaissance et la réflexion. En contrepartie de la large liberté éditoriale consacrée par le droit français, cest devant les prétoires que sorganise en dernier ressort la conciliation entre protection de la vie privée et garanties individuelles dune part, liberté dexpression reconnue à la presse dautre part. La liberté dinformer, si elle est large dans son principe, doit avoir des bornes quant à ses modalités dapplication.
Je voudrais tout dabord partager avec vous mon point de vue sur la problématique qui est celle de la conciliation entre « Liberté dinformer et droit des personnes », liberté dexpression et justice, qui va, je le crois, dominer vos débats de ce matin.
Par essence, deux logiques contradictoires et nécessaires saffrontent : dune part celle de linformation, de la recherche des responsables de crimes et délits, de la nécessaire transparence du travail de la justice, des jugements prononcés par les tribunaux ; dautre part celle du secret quexige lenquête, la protection des droits de la personne, présomption dinnocence et vie privée. Lhistoire de notre droit est la recherche dun délicat équilibre, jamais totalement atteint, entre ces exigences contradictoires. Nous sommes au lendemain de lexamen de nouveaux textes sur la présomption dinnocence ; jai veillé, avec ma collègue Elisabeth GUIGOU, à ce que ce texte de loi permette des avancées substantielles, tout en respectant cette volonté déquilibre. La priorité porte sur les conditions de leur mise en application par les media eux-mêmes, par les personnes qui se sentent mises en cause, par les tribunaux qui auront à en connaître.
Déontologie :
Je vous ai dit lan dernier, à la précédente édition de ce colloque, ma préférence pour des initiatives qui touchent à la déontologie plutôt quà des interventions sur le droit de la presse lui-même. Jentends la déontologie, je tiens à le rappeler, non comme un domaine nécessairement articulé autour des dispositifs rigides ou de sanctions, mais comme une démarche tendant à assurer, dans le respect des attentes du public, la qualité et lhonnêteté de linformation. Jai confié dans cette perspective une mission dexploration à Jean-Marie CHARON. Je crois quil a rencontré de nombreuses personnes, ici présentes, au cours de la consultation quil vient de mener. Je dispose aujourdhui de ses premières conclusions. Celles-ci débouchent sur quatre propositions très concrètes qui sadressent aux éditeurs responsables de médias et aux représentants des journalistes. Je peux vous en donner ici même la teneur. Elles partent toutes dun constat clair : lévolution du marché de linformation. Les transformations des organisations mêmes des media, les nouvelles technologies et tout particulièrement les nouveaux media, tel quInternet, posent avec force la question des conditions dexercice de la responsabilité individuelle et collective des journalistes. Pour sexprimer, celle-ci a besoin de formation, de lieux de réflexion et de débat, voire de démarches volontaires réaffirmant les principes qui président au traitement de linformation.
Un premier axe daction et de réflexion concernera la formation au droit et à la déontologie :
Sachant quaujourdhui à peine un journaliste sur cinq a suivi une formation spécifique au journalisme, que la notion de stage se trouve en partie vidée de son sens par lentrée très fréquente dans cette profession au travers dun statut de pigiste, il paraît essentiel de garantir à tout nouveau journaliste quil pourra suivre une formation de base au droit et à la déontologie, dans les tous premiers mois de son activité. Lexercice de la responsabilité peut dautant mieux sexprimer quelle sappuie sur une compétence réelle. Sachant que cette idée recueille un large accord chez les syndicats de journalistes, comme parmi les organisations demployeurs, il est possible dengager très vite une discussion qui permettra darrêter les modalités concrètes dune telle disposition ; lÉtat pourrait dans ce cadre examiner la manière dont il peut faciliter et accompagner cette démarche.
Une deuxième action visera à conforter lidée de médiation :
Je compte lancer, avec mon collègue Claude ALLÈGRE, une réflexion de fond sur la formation des journalistes. Lun des principaux objets de cette mission sera linsertion, dans la formation des journalistes, dune initiation aux questions juridiques et déontologiques.
Ces dernières années et ces derniers mois, plusieurs media et entreprises de presse écrite, de radio comme de télévision, ont fait le choix dexplorer lidée dune médiation entre le public et les rédactions. Lidée est de créer un lieu, où un journaliste peut accueillir le questionnement du public. Au-delà de lexpérience qui se mène au niveau de chaque entreprise, de chaque rédaction, il ne paraît pas inintéressant de faciliter léchange et la réflexion entre les médiateurs eux-mêmes. Cette démarche existe, au niveau mondial, puisque le 9 mai prochain doit se tenir à Chicago une rencontre des médiateurs tant nord-américains queuropéens. Au niveau français, pourquoi ne pas organiser régulièrement, par exemple chaque année, une telle rencontre qui permettrait dévoquer les sujets transversaux quont eu à traiter les médiateurs, leur manière de travailler avec leur rédaction, la délicate question de la restitution de leur travail auprès du public ? Les pouvoirs publics pourraient faciliter lorganisation de telles rencontres tout en assurant la publication de leurs conclusions.
Une troisième action consisterait à faciliter la tenue dentretiens de linformation :
Nombre de professions, je pense par exemple aux médecins, se sont dotées de lieux de débats sur les avancées des connaissances dans leur domaine et leurs pratiques professionnelles. Pourquoi les professionnels de linformation ne prendraient-ils pas linitiative dorganiser chaque année des « entretiens de linformation » ? Ceux-ci auraient pour objet dévoquer les grandes questions qui se sont posées aux rédactions durant lannée, et verraient intervenir les journalistes, les éditeurs, les responsables de médias, tout en souvrant à des représentants de la société : intellectuels, personnalités morales, associations, élus, représentants dorganismes tel que le Conseil économique et social ou la Commission nationale consultative des droits de lhomme. Là aussi, les pouvoirs publics pourraient apporter un soutien logistique, comme un appui à la diffusion des résultats de ces travaux. Jimagine que de tels débats pourraient permettre de dégager des propositions qui constitueraient des contributions intéressantes aux thèmes que vous allez traiter durant toute cette journée.
Enfin, le temps paraît venu de réaffirmer les principes de traitement de linformation :
Lentrée dans la société de linformation, la démultiplication des canaux et supports dinformation de toutes sortes et tout particulièrement le développement dInternet, confronte le grand public à une profusion de messages de natures très diverses. Linformation sy trouve noyée dans des démarches commerciales, promotionnelles, propagandistes. Il existe un véritable risque de perte de repères et de confusion qui ne peuvent laisser indifférentes les entreprises dinformation, notamment lorsquelles décident de sengager dans ces domaines nouveaux. Certains ont évoqué lidée dun label. On pourrait plutôt imaginer une démarche volontaire, sous une forme de contrat moral passé avec le public, un ensemble dengagements concernant les principes de traitement de linformation. Là encore, lÉtat pourrait apporter à ceux qui souhaitent expérimenter une telle démarche tout lappui technique et humain nécessaire.
Il sagit là de pistes de travail, que je vais prendre le temps dexaminer sur le fond. Vous voyez quelles appellent toutes la discussion et lengagement des professionnels que vous êtes. Je crois quelles marquent bien aussi que dans un tel domaine lÉtat, la ministre que je suis ne sauraient se substituer aux acteurs eux-mêmes. Cela ne me conduit pas pour autant à me réfugier dans une quelconque passivité. Pour chacune de ces propositions un soutien peut vous être apporté, à la fois sous forme dinvitation à discuter, sous forme de moyens mis à votre disposition. Je vous propose que nous en reparlions dès les prochaines semaines.
(Source http ://www.culture.gouv.fr, le 16 avril 1999)
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Jai grand plaisir à procéder, comme lannée dernière, à louverture de ce colloque organisé par lassociation Presse-Liberté.
Il est bon que les professionnels se rencontrent régulièrement pour faire le point sur les problèmes de la presse.
Votre association se donne pour but la défense de la liberté dexpression, et vous savez à quel point je suis moi aussi attachée à ce principe.
Dans les relations, parfois tendues, toujours étroites entre presse et justice, votre colloque constitue un point de rencontre et de débats, qui permet de faire avancer la connaissance et la réflexion. En contrepartie de la large liberté éditoriale consacrée par le droit français, cest devant les prétoires que sorganise en dernier ressort la conciliation entre protection de la vie privée et garanties individuelles dune part, liberté dexpression reconnue à la presse dautre part. La liberté dinformer, si elle est large dans son principe, doit avoir des bornes quant à ses modalités dapplication.
Je voudrais tout dabord partager avec vous mon point de vue sur la problématique qui est celle de la conciliation entre « Liberté dinformer et droit des personnes », liberté dexpression et justice, qui va, je le crois, dominer vos débats de ce matin.
Par essence, deux logiques contradictoires et nécessaires saffrontent : dune part celle de linformation, de la recherche des responsables de crimes et délits, de la nécessaire transparence du travail de la justice, des jugements prononcés par les tribunaux ; dautre part celle du secret quexige lenquête, la protection des droits de la personne, présomption dinnocence et vie privée. Lhistoire de notre droit est la recherche dun délicat équilibre, jamais totalement atteint, entre ces exigences contradictoires. Nous sommes au lendemain de lexamen de nouveaux textes sur la présomption dinnocence ; jai veillé, avec ma collègue Elisabeth GUIGOU, à ce que ce texte de loi permette des avancées substantielles, tout en respectant cette volonté déquilibre. La priorité porte sur les conditions de leur mise en application par les media eux-mêmes, par les personnes qui se sentent mises en cause, par les tribunaux qui auront à en connaître.
Déontologie :
Je vous ai dit lan dernier, à la précédente édition de ce colloque, ma préférence pour des initiatives qui touchent à la déontologie plutôt quà des interventions sur le droit de la presse lui-même. Jentends la déontologie, je tiens à le rappeler, non comme un domaine nécessairement articulé autour des dispositifs rigides ou de sanctions, mais comme une démarche tendant à assurer, dans le respect des attentes du public, la qualité et lhonnêteté de linformation. Jai confié dans cette perspective une mission dexploration à Jean-Marie CHARON. Je crois quil a rencontré de nombreuses personnes, ici présentes, au cours de la consultation quil vient de mener. Je dispose aujourdhui de ses premières conclusions. Celles-ci débouchent sur quatre propositions très concrètes qui sadressent aux éditeurs responsables de médias et aux représentants des journalistes. Je peux vous en donner ici même la teneur. Elles partent toutes dun constat clair : lévolution du marché de linformation. Les transformations des organisations mêmes des media, les nouvelles technologies et tout particulièrement les nouveaux media, tel quInternet, posent avec force la question des conditions dexercice de la responsabilité individuelle et collective des journalistes. Pour sexprimer, celle-ci a besoin de formation, de lieux de réflexion et de débat, voire de démarches volontaires réaffirmant les principes qui président au traitement de linformation.
Un premier axe daction et de réflexion concernera la formation au droit et à la déontologie :
Sachant quaujourdhui à peine un journaliste sur cinq a suivi une formation spécifique au journalisme, que la notion de stage se trouve en partie vidée de son sens par lentrée très fréquente dans cette profession au travers dun statut de pigiste, il paraît essentiel de garantir à tout nouveau journaliste quil pourra suivre une formation de base au droit et à la déontologie, dans les tous premiers mois de son activité. Lexercice de la responsabilité peut dautant mieux sexprimer quelle sappuie sur une compétence réelle. Sachant que cette idée recueille un large accord chez les syndicats de journalistes, comme parmi les organisations demployeurs, il est possible dengager très vite une discussion qui permettra darrêter les modalités concrètes dune telle disposition ; lÉtat pourrait dans ce cadre examiner la manière dont il peut faciliter et accompagner cette démarche.
Une deuxième action visera à conforter lidée de médiation :
Je compte lancer, avec mon collègue Claude ALLÈGRE, une réflexion de fond sur la formation des journalistes. Lun des principaux objets de cette mission sera linsertion, dans la formation des journalistes, dune initiation aux questions juridiques et déontologiques.
Ces dernières années et ces derniers mois, plusieurs media et entreprises de presse écrite, de radio comme de télévision, ont fait le choix dexplorer lidée dune médiation entre le public et les rédactions. Lidée est de créer un lieu, où un journaliste peut accueillir le questionnement du public. Au-delà de lexpérience qui se mène au niveau de chaque entreprise, de chaque rédaction, il ne paraît pas inintéressant de faciliter léchange et la réflexion entre les médiateurs eux-mêmes. Cette démarche existe, au niveau mondial, puisque le 9 mai prochain doit se tenir à Chicago une rencontre des médiateurs tant nord-américains queuropéens. Au niveau français, pourquoi ne pas organiser régulièrement, par exemple chaque année, une telle rencontre qui permettrait dévoquer les sujets transversaux quont eu à traiter les médiateurs, leur manière de travailler avec leur rédaction, la délicate question de la restitution de leur travail auprès du public ? Les pouvoirs publics pourraient faciliter lorganisation de telles rencontres tout en assurant la publication de leurs conclusions.
Une troisième action consisterait à faciliter la tenue dentretiens de linformation :
Nombre de professions, je pense par exemple aux médecins, se sont dotées de lieux de débats sur les avancées des connaissances dans leur domaine et leurs pratiques professionnelles. Pourquoi les professionnels de linformation ne prendraient-ils pas linitiative dorganiser chaque année des « entretiens de linformation » ? Ceux-ci auraient pour objet dévoquer les grandes questions qui se sont posées aux rédactions durant lannée, et verraient intervenir les journalistes, les éditeurs, les responsables de médias, tout en souvrant à des représentants de la société : intellectuels, personnalités morales, associations, élus, représentants dorganismes tel que le Conseil économique et social ou la Commission nationale consultative des droits de lhomme. Là aussi, les pouvoirs publics pourraient apporter un soutien logistique, comme un appui à la diffusion des résultats de ces travaux. Jimagine que de tels débats pourraient permettre de dégager des propositions qui constitueraient des contributions intéressantes aux thèmes que vous allez traiter durant toute cette journée.
Enfin, le temps paraît venu de réaffirmer les principes de traitement de linformation :
Lentrée dans la société de linformation, la démultiplication des canaux et supports dinformation de toutes sortes et tout particulièrement le développement dInternet, confronte le grand public à une profusion de messages de natures très diverses. Linformation sy trouve noyée dans des démarches commerciales, promotionnelles, propagandistes. Il existe un véritable risque de perte de repères et de confusion qui ne peuvent laisser indifférentes les entreprises dinformation, notamment lorsquelles décident de sengager dans ces domaines nouveaux. Certains ont évoqué lidée dun label. On pourrait plutôt imaginer une démarche volontaire, sous une forme de contrat moral passé avec le public, un ensemble dengagements concernant les principes de traitement de linformation. Là encore, lÉtat pourrait apporter à ceux qui souhaitent expérimenter une telle démarche tout lappui technique et humain nécessaire.
Il sagit là de pistes de travail, que je vais prendre le temps dexaminer sur le fond. Vous voyez quelles appellent toutes la discussion et lengagement des professionnels que vous êtes. Je crois quelles marquent bien aussi que dans un tel domaine lÉtat, la ministre que je suis ne sauraient se substituer aux acteurs eux-mêmes. Cela ne me conduit pas pour autant à me réfugier dans une quelconque passivité. Pour chacune de ces propositions un soutien peut vous être apporté, à la fois sous forme dinvitation à discuter, sous forme de moyens mis à votre disposition. Je vous propose que nous en reparlions dès les prochaines semaines.
(Source http ://www.culture.gouv.fr, le 16 avril 1999)