Interview de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à RTL le 11 décembre 2008, sur les relations franco-allemandes dans le cadre européen, son remplacement à la tête des affaires européennes, l'utilité d'un secrétariat aux droits de l'homme et sur la nomination par le Président de la République du responsable de France Télévision.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Bonjour, J.-P. Jouyet.
Bonjour, J.-M. Aphatie.
Vous présiderez donc, à partir de lundi l'Autorité des Marchés Financiers. Il y aura sans doute beaucoup de travail. On en reparlera. Et vous participerez donc, aujourd'hui et demain à Bruxelles à votre dernier Conseil européen en tant que secrétaire d'Etat aux Affaires européennes. Un petit pincement au coeur, ce matin, J.-P. Jouyet ?
Oui. C'est incontestable. C'est un regret, et c'est un Conseil européen qui est décisif pour l'Europe puisque vous le savez il y a les trois sujets qui concernent à la fois l'avenir institutionnel avec le problème irlandais, la lutte contre le réchauffement climatique et l'énergie, qui pose des problèmes...
Un dossier difficile ?
Voilà, un dossier très difficile avec, notamment, les pays d'Europe centrale et orientale. Et après la crise, bien évidement, le plan de relance européen face à la crise économique.
Vous avez donc été pendant dix-huit mois secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, et le grand changement sur la scène européenne, c'est que, traditionnellement, la France et l'Allemagne marchaient ensemble, affrontaient les crises ensemble, et qu'on constate qu'entre A. Merkel et N. Sarkozy ça ne va pas du tout, du tout. Comment l'expliquez-vous ?
Je crois qu'il faut faire une distinction et relativiser ce que vous dites, J.-M. Aphatie. La première, c'est que la France et l'Allemagne ont affronté des crises, de manière commune et, plus étroitement que par le passé, dans des domaines où ce n'était pas le cas. Dans la guerre entre la Russie et la Géorgie, il y a eu une attitude tout à fait commune entre la France et l'Allemagne et sur l'ensemble des crises internationales, dans les relations avec les Etats-Unis, il y a eu une approche franco-allemande qui a été absolument parfaite. Ca n'a pas toujours été le cas sur le plan international.
Et on peut dire que face à la crise économique, la France et l'Allemagne divergent tout de même ?
Dans le cas de la crise financière, il n'y a pas eu de divergence. Il n'y a pas eu le même tempo, pas du fait du président de la République, d'ailleurs, il y a eu un léger décalage de la part de la Chancelière allemande jusqu'à tant qu'on se rende compte qu'il y a également une banque allemande qui a été fortement touchée. C'est le premier cas. En ce qui concerne la crise économique, je crois qu'il n'y a pas de divergence sur la relance. La divergence, elle existe paradoxalement sur ce que vous mettez au niveau communautaire pour relancer. La France soutient pleinement ce que sont les initiatives prises par le président de la Commission J.M. Barroso et dit : "Il faut dans les limites qui sont trop encadrées du budget communautaire, profiter de ces marges pour relancer"'. L'Allemagne est plus précautionneuse à ce moment-là...
Comme vous dites, oui !
...Et ne souhaite pas transférer trop d'argent au niveau communautaire.
Les Allemands ont même été surpris de voir, lundi, N. Sarkozy à Londres avec G. Brown avec qui il s'entend comme larrons en foire. Ils disent : "Mais pourquoi Merkel y était pas ?". Vous avez la réponse, vous ?
J'ai la réponse que vous donnera G. Brown, parce que N. Sarkozy a un grand leadership en Europe -et c'est une bonne chose pour l'Europe, je crois que c'est salué dans toute l'Europe - mais il ne fait pas encore les invitations. Les invitations elles étaient faites par G. Brown. G. Brown a invité N. Sarkozy, ce qui est encore possible en Europe...
Et il a oublié d'inviter A. Merkel ?...
Non. Il avait eu des contacts avec A. Merkel quinze jours auparavant. Le président de la République ne s'en est pas offusqué non plus. Après, que G. Brown invité le président de la Commission, c'est la responsabilité du Premier ministre britannique et pas celle du président de la République française.
Alors qui va vous remplacer, J.-P. Jouyet ? C'est un secret de Polichinelle. B. Le Maire, 39 ans. Vous avez même dit, vous, hier à l'Assemblée nationale à l'occasion d'un débat européen, à l'attention de B. Le Maire, qui a 39 ans, A. Duhamel a rappelé son parcours : "Je ne sais pas où vous serez, mais la connaissance que vous avez de la langue allemande sera déterminante là où vous serez". C'est un drôle de phrase, J. - P. Jouyet ? Alors, il sera où B. Le Maire ?
Je ne sais pas. Il appartient au président de la république de le décider. Comme vous le savez, sous la Ve République, tant que vous n'êtes pas nommé par le président de la République, on peut dire, on peut entendre. J'ai entendu A. Duhamel avec grand plaisir, je connais B. Le Maire qui est un ami qui plus est, nous sommes du même département de l'Eure. Mais c'est au président de la République de désigner ce que sera mon successeur et de désigner du temps voulu pour le faire.
Vous l'avez dit, sa connaissance de la langue allemande sera déterminante là où il sera, mais on ne sait pas où il sera.
Exactement. Ca a toujours été ma faiblesse, c'est de ne pas connaître la langue allemande, j'envie toujours ceux qui la connaissent bien.
D'accord, j'ai regardé le débat à l'Assemblée nationale. Il y avait très peu de députés, pratiquement pas de députés UMP et quelques députés socialistes. C'est terrible, non ?
Ecoutez, c'est...
Pourquoi on fait un débat si les députés ça ne les intéresse même pas ?
Alors, ça c'est une très bonne question, surtout que ce sont députés qui demandent à ce qu'il ait un débat sur l'Europe et nous essayons...
Ca vous met en colère, J.-P. Jouyet ?
Je le regrette. C'est vrai qu'on demande toujours à ce qu'il y ait des débats européens. On arrive à six mois d'élections européennes et on s'aperçoit qu'il y a toujours un certain fossé entre les grands leaders nationaux et le débat européen.
Il faut dénoncer l'absentéisme... !
Je regrette cela. Oui, s'il n'y avait que sur l'Europe, encore, cela irait. Mais dans d'autres cas, cela existe. Mais à la décharge du Parlement national, ça existe aussi au Parlement européen.
Oui, enfin comme vous le dites, je ne sais pas si c'est une excuse...
Non.
D'après vous, J.-P. Jouyet, un Secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme, c'est utile ou pas, au gouvernement de la France ?
Je crois que ce qui est la réflexion à avoir est de savoir comment est-ce que vous intégrez les Droits de l'Homme dans l'ensemble de l'approche diplomatique.
Ce n'est pas ma question. Là, on est parti pour une thèse. Est-ce qu'il faut garder un secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme ou pas, d'après vous ?
Je crois que c'est un métier extrêmement difficile. Que R. Yade remplit dans les meilleures conditions et ce n'est pas facile. Et elle le fait de manière très, très efficace. Ce que je crois, c'est que le secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme, il porte en lui-même ses contradictions. Mais qu'il y ait, au sein du Gouvernement, une structure qui permette de porter l'attention sur des situations de Droits de l'Homme et de les évoquer d'une manière qui ne fait jamais plaisir puisque bien évidement, et c'est ce que veut dire B. Kouchner, lorsque vous vous trouvez dans des situations diplomatiques globales et que vous évoquez ces sujets de manière séparée, il y a des risques de hiatus, c'est évident.
Donc, on le garde ou pas ?
Je crois qu'on va le garder.
Bon, très bien. Donc B. Kouchner, s'il vous entend...
Mais enfin il appartiendra aussi au président de la République de le dire. Moi, c'est mon sentiment personnel.
Un autre débat : puisque vous partez, vous avez sans doute une liberté de jugement sur cette question : faire nommer le président de France Télévisions par le président de la République, c'est un progrès dans la démocratie française, ou pas, d'après vous J.-P. Jouyet ?
Là, je suis exactement sur la même position -j'ai vu un article dans Le Monde - que Marin Karmitz, qui ne peut pas, je veux dire, être supposé le plus fervent supporter du président de la République..
Je parle de la nomination du président de France Télévisions.
Cela met fin à une certaine hypocrisie. Vous le savez bien, J.- M. Aphatie, cela met fin à une certaine hypocrisie. Ce qui est important c'est qu'il y ait l'indépendance du service public et que les moyens soient donnés au service public. Dans la période actuelle, c'est ce qui me paraît déterminant.
Vous étiez doué pour la politique. C'est dommage que vous arrêtiez la carrière, J.-P. Jouyet...
Merci de le dire.
... secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, était l'invité de RTL. Bonne journée. Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 15 décembre 2008