Déclaration de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, notamment sur l'action de l'Union européenne contre la violence faite aux femmes, à Paris le 10 décembre 2008.

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Circonstance : Forum Union européenne-ONG, à Paris le 10 décembre 2008

Texte intégral

Madame le Commissaire,
Mesdames les Présidentes,
Madame la Directrice,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
En 1791, Olympe de Gouges, femme de lettres et citoyenne française, appelait, deux ans après la proclamation de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, à un sursaut visant la condition féminine : "Femme, réveille-toi !" lançait-elle. "Le tocsin de la raison se fait entendre dans tous l'univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation".
Voilà que nous célébrons aujourd'hui le 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. On nous dit, en France, que c'est avec un grand H, bien sûr. Que l'expression est nécessaire pour rappeler le combat historique de 1789 qui a oscillé avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen. Certes, mais en 1789, le H n'était pas grand, c'était les Droits de l'homme avec un petit h. C'est bien à l'homme, au sens masculin, que s'adressait cette déclaration et non à la femme. Premier malentendu. Mais était-ce réellement un simple oubli ? Certainement pas. Alors, avec le temps, on glissa, sans avoir l'air d'y toucher, du petit h au grand H, pour signifier que les femmes étaient aussi concernées. C'est ainsi qu'aux féministes qui revendiquaient l'expression "droits humains", on répliqua "mais attendez, Mesdames, les Droits de l'Homme s'adressent aussi à vous, puisque les Droits de l'Homme s'écrivent avec un grand H". C'est ainsi que dans notre pays, les Droits de l'Homme restèrent, avec ce H majuscule debout et fier, dans lequel les femmes devaient s'imaginer. Ailleurs, on ne s'embarrassa pas de ces explications embarrassées. On rejeta les Droits de l'Homme pour leur préférer les droits humains, expression dans laquelle les femmes se reconnaissent. Voilà donc par où commence le combat des droits des femmes : par une question de mots qui n'a rien d'anodine.
Car on peut légitimement s'interroger, cette fois, sur le fond : la condition de la femme dans le monde a-t-elle vraiment évolué ? Sommes-nous si loin du constat de carence dressé par Olympe de Gouges ?
Sans doute les droits des femmes ont-ils progressé, notamment au cours du siècle écoulé.
Mais que de chemin parcouru, que de difficultés, que d'obstacles à franchir ! Songeons qu'en France, ce pays des Droits de l'Homme, il a fallu des femmes courageuses, pour s'imposer dans un certain nombre de professions, telle Jeanne Chauvin qui en 1900 devint, non sans mal, la première femme avocate. Il faudra attendre 1944 pour que les femmes aient enfin le droit de vote dans notre pays et 1965 pour que l'épouse se voie reconnaître le droit de gérer ses biens, d'ouvrir un compte en banque ou exercer une profession sans l'autorisation de son mari...
La Déclaration universelle des Droits de l'Homme, qui doit tant à un homme, René Cassin et à une femme, Eleanor Roosevelt, affirme dans son article 1er que "tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits". Et cette mention des droits est primordiale, puisque l'article 2 complète en indiquant que "chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la déclaration sans distinction aucune, notamment de sexe".
Mais au-delà de cette déclaration de droits universels, dont on s'accorde aujourd'hui pour dire qu'elle fait partie du droit international coutumier, quelle est leur déclinaison concrète ? Les femmes en bénéficient-elles autant que les hommes ?
Force est de constater que l'on en est loin.
Car les femmes continuent à subir des violences très spécifiques, comme le viol avec son cortège de séquelles physiques, de contaminations, d'enfants brisés et de communautés disloquées. On dit alors que le viol est une arme de guerre. Dans l'Est de la République Démocratique du Congo, où je me suis rendue à deux reprises depuis le mois de juin, par exemple. Les dernières offensives militaires menées par la rébellion de Laurent Nkunda ont mis sur les routes et les pistes plus de 250 000 femmes, hommes et enfants, qui fuient les affrontements.
Mais plus encore que les combats, ce sont les agressions sexuelles que les femmes, quel que soit leur âge, essayent de fuir : aller chercher de l'eau ou du bois dans la forêt ou tout simplement aller à l'école peut, dans ces zones des Kivus, faire basculer leur vie dans l'horreur. Les témoignages recueillis lors de mes déplacements à Goma et à Bukavu dépassent l'entendement et confinent à la sauvagerie la plus absolue. Depuis 2003, ce sont ainsi sans doute plus de 100.000 femmes - le chiffre est difficile à établir avec précision - qui ont été violées, et mutilées.
A midi, je vous invite à voir en salle plénière un petit film d'à peine 10 minutes...Il s'agit du témoignage d'Honorata, une enseignante de 56 ans. Il a été recueilli il y a quelques semaines par Eve Ensler, cette dramaturge américaine, auteur des Monologues du Vagin, et qui est particulièrement impliquée dans le soutien aux habitantes des Kivus. Il donnera à ceux qui n'en ont pas encore conscience, une idée de l'ampleur du drame que vivent sur place des milliers de femmes. Et Eve Ensler a lâché au sujet de ces violences sexuelles le mot de "fémicide".
Mais les droits des femmes, ils ne sont pas seulement menacés et bafoués dans l'Est de la RDC... En dépit d'une consécration par de grands textes internationaux comme la convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes (CEDAW), ces droits sont encore trop souvent menacés ou bafoués dans la pratique.
Que ce soit en Afrique, en Amérique latine ou en Asie, j'ai partout mesuré la gravité de la situation et l'ampleur de la tâche qu'il reste à accomplir pour imposer cette évidence, celle de l'égale dignité des hommes et des femmes et l'acharnement qu'il faut mettre pour défendre, protéger et promouvoir leurs droits.
En Afghanistan, des femmes sont assassinées parce qu'elles ont simplement osé réclamer le droit pour leurs filles de recevoir une éducation. Le mois dernier, ce sont 15 jeunes filles qui ont été aspergées d'acide alors qu'elles partaient pour l'école.
Au Pakistan, au nom de traditions séculaires, ont cours des pratiques barbares, qui conduisent des membres d'une même famille à enterrer vivantes leurs propres sœurs et cousines pour avoir simplement voulu choisir librement leur conjoint. En Somalie, c'est une jeune fille de 13 ans qui a été lapidée à mort à la fin du mois d'octobre : accusée d'adultère, elle avait en fait été victime d'un viol commis par trois hommes...
En Russie, une femme décède toutes les 40 minutes du fait de la violence domestique.
En Europe de l'Est, ce sont près de 100 000 femmes qui seraient, tous les ans, victimes des réseaux de traite d'êtres humains.
Dans de trop nombreuses parties du globe, la condition des femmes reste éminemment précaire, et cela est plus vrai encore dans les situations de guerre ou de crise. Souvent, il est plus dangereux, dans certaines zones de conflit, d'être une femme qu'un soldat faisant partie de groupes rebelles ou de l'armée régulière ! C'est d'ailleurs ce que rappellent l'UNIFEM et l'UNFPA dans une campagne intitulée "Women on the Front Line" : la violence à l'encontre des femmes et des jeunes filles est plus dangereuse pour elles que le cancer, la malaria ou la guerre. Elle touche une femme sur trois dans le monde.
Et pourtant, ce sont ces mêmes femmes, victimes dans leur chair et blessées dans leur âme, qui souvent sont les premières actrices de la reconstruction de leurs communautés. Car, comme le disait Sœur Emmanuelle : "éduquer un homme, c'est éduquer un individu. Eduquer une femme, c'est éduquer tout un peuple".
C'est pour cette raison que j'ai choisi de placer la question du droit des femmes au cœur de mon action. J'ai en particulier souhaité que ce thème devienne une des priorités de la politique de défense des Droits de l'Homme dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne et que l'action des 27 en la matière puisse résolument s'inscrire dans la durée.
C'est évidemment la raison pour laquelle j'ai proposé que ce 10ème Forum UE/ONG soit consacré à la question des discriminations envers les femmes.
Aux pratiques barbares contre les femmes, il faut répondre par l'affirmation de notre détermination à défendre l'universalité des Droits de l'Homme. Ce message, qui est l'essence même de la Déclaration universelle doit être martelé sans relâche : certains cherchent aujourd'hui à le remettre en cause, au motif d'une approche qu'ils définissent eux-mêmes comme "culturelle", traditionnelle ou religieuse, mais qui n'est rien d'autre qu'un prétexte. Or, l'égalité des droits doit prévaloir partout, aussi bien en France qu'au Congo ou en Afghanistan. Aucun prétexte culturel, religieux ou politique ne doit remettre en cause cette universalité.
Forte de cette conviction, j'ai donc souhaité faire de la lutte contre les violences à l'encontre des femmes un des grands axes de la Présidence française de l'Union européenne, tant sur le plan politique que financier.
A la série d'orientations concernant les Droits de l'Homme et qui portent déjà sur 5 thèmes (la peine de mort, la torture, les dialogues avec les pays tiers, les enfants face aux conflits armés et les défenseurs des Droits de l'Homme), j'ai voulu que viennent s'ajouter des lignes directrices sur les violences faites aux femmes. Ce texte, je suis extrêmement fière de vous l'annoncer, a été adopté lundi dernier par l'ensemble des pays membres de l'Union européenne, au terme d'un processus lancé en tout début de Présidence française.
Il fixe les critères d'interventions de l'Union européenne sur les droits des femmes et orientera désormais concrètement le travail de mobilisation et de vigilance du réseau diplomatique de tous les pays de l'Union européenne. Ce n'est pas juste un nouveau texte, qui vient s'ajouter aux autres : c'est un vade-mecum précis et complet de l'action de terrain. Il permettra également de flécher des crédits plus importants sur les programmes ayant vocation à lutter contre les violences faites aux femmes.
Au-delà, nous poursuivons avec détermination notre lutte en faveur du droit des femmes, notamment au Conseil de sécurité, afin que la résolution 1325 "femmes, paix et sécurité" ne soit pas dénuée de toute portée pratique.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai lancé, dans le cadre des missions de Politique étrangère de sécurité et de défense, la révision des documents opérationnels de l'Union européenne afin d'améliorer la prise en compte de la protection des femmes et la promotion de leur rôle dans les situations de conflit et post-conflit.
J'ai également souhaité que nous adoptions sous PFUE - et donc avant la fin décembre - un document définissant une approche globale pour la mise en œuvre par l'Union européenne des résolutions 1325 et 1820 du conseil de sécurité des Nations unies.
Toujours sur ce thème des femmes dans les conflits armés, la Présidence française a établi un rapport comportant une série d'indicateurs, en application du programme d'action adopté à Pékin en septembre 1995 à l'issue de la 4ème Conférence mondiale sur les femmes.
Ils visent à mesurer concrètement les actions entreprises et les moyens déployés par les Etats membres pour permettre une meilleure prise en compte de la sécurité des femmes et de la promotion de leur rôle dans les situations de conflit et de post-conflit. Ils devraient être adoptés par le Conseil le 15 décembre prochain.
Ma conviction, c'est que nous devons aussi œuvrer aux côtés de la Cour pénale internationale et de son procureur afin que la lutte contre l'impunité progresse. Je ne peux que saluer à cet égard l'arrestation de divers chefs de guerre coupables de graves exactions à l'encontre des femmes tant en République Centrafricaine qu'en RDC. La tenue rapide des procès doit permettre à ceux qui se croient à l'abri de leurs troupes dans les collines du Kivu ou ailleurs dans le monde de comprendre qu'un jour ils seront poursuivis et qu'ils seront condamnés pour les crimes de guerre qu'ils ont commis eux-mêmes, qu'ils ont laissé faire ou qu'ils ont planifié.
Nous devons également favoriser la parité politique et promouvoir l'abolition des lois discriminatoires à l'encontre des femmes. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai relancé l'idée, il y a quelques semaines, auprès des pays membres de l'Union européenne, de la création d'un mandat de rapporteur spécial du Conseil des Droits de l'Homme sur les lois discriminatoires à l'égard des femmes.
Sans préjudice des mécanismes existants, tels le CEDAW, ce rapporteur spécial apporterait un soutien à la lutte contre les discriminations désormais indispensable au regard du manque d'avancée notable dans ce domaine. Je crois qu'il faut que nous avancions sur ce point, si, comme l'indiquait dans son rapport le Dr Fareda Branda, "les Nations unies veulent continuer à être crédibles dans la lutte contre les lois discriminatoires".
Nous devons enfin renforcer les textes: on ne le répète jamais assez, mais les Droits de l'Homme, c'est avant tout du droit ! A cet égard, la France soutient tout particulièrement le projet en cours de discussion au Conseil de l'Europe visant à élaborer un, voire plusieurs nouveaux instruments juridiques contraignants, pour prévenir et combattre les violences à l'égard des femmes et en particulier les violences domestiques. Ces conventions devraient in fine renforcer la protection et le soutien des victimes de tels actes et obliger les Etats à poursuivre les auteurs.
Un des leçons souveraines de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme est que l'universalité des droits s'enracine dans la proclamation et la reconnaissance de l'égalité entre les hommes et les femmes. L'Union européenne doit s'appliquer à faire vivre ce principe en action.
Les différents ateliers qui vous sont proposés au cours de ces deux jours de débats ont été conçus comme des lieux de rencontre et de dialogue privilégiés des représentants des Etats membres de l'Union européenne et des institutions européennes avec la société civile et les ONG dont près d'une cinquantaine viennent des pays du Sud.
Je souhaite que ces échanges soient les plus sincères et les plus constructifs possibles puisque, vous le savez, l'objectif de ce Forum est d'aboutir à des recommandations concrètes visant à renforcer l'efficacité de la politique étrangère de l'Union européenne en matière de droits des femmes.
Permettez-moi en conclusion, puisqu'un de ces ateliers portera sur la situation des femmes défenseurs des Droits de l'Homme, de dire que l'Union européenne reste particulièrement mobilisée sur la situation individuelle d'un certain nombre d'entre elles.
Ainsi, la Présidence française s'est inquiétée samedi dernier de l'enlèvement de Mme Mukoko, une figure emblématique de la défense des Droits de l'Homme au Zimbabwe. Elle a appelé les autorités du pays à faire toute la lumière sur cette disparition et à tout mettre en œuvre pour la retrouver et assurer sa libération immédiate.
A l'heure où nous célébrons aussi le 10ème anniversaire de la Déclaration sur les défenseurs des Droits de l'Homme, cette actualité nous rappelle que les textes, malheureusement, ne mettent pas les défenseurs des Droits de l'Homme, et notamment les défenseurs femmes, à l'abri de la répression.
Sachons être à la hauteur de ces femmes et de ces hommes courageux.
Je vous souhaite d'excellents travaux.
Je vous remercie de votre présence.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2008