Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, à France Inter le 12 décembre 2008, sur les négociations internationales sur la lutte contre le changement climatique, lors de la conférence de Poznan.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Est-ce que l'accord est proche entre les 27 - là, on parle de Bruxelles ?
 
Vu de Poznan, les informations sont plutôt bonnes, même si les discussions à Bruxelles se poursuivent ce matin, mais les points de vue se sont rapprochés hier.
 
Sur les "trois 20", comme on dit : 20 % d'économie d'énergie, 20 % d'énergie renouvelable, et 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce sera ça à peu près la fourchette ou on sera sur des choses moins ambitieuses ?
 
Non, on sera bien sur cette fourchette-là, les "trois 20" sont garantis. La question c'est plutôt les modalités, comment on y arrive, et là, évidemment, chaque Etat-membre peut avoir son point de vue ou ses problématiques locales particulières. Il y a des Etats membres qui ont plus de charbon dans leur électricité, d'autres qui sont moins bien connectés au marché européen, qui peuvent échanger moins facilement de l'électricité. Il y a des problématiques spécifiques vis-à-vis de l'industrie, mais les objectifs, eux, sont maintenus, et ça c'est très important pour l'Europe, mais c'est très important pour le monde, on le voit depuis ici, à Poznan, depuis les négociations internationales sur la lutte contre le changement climatique.
 
Quels compromis peuvent être faits pour arracher un accord ?
 
Ça doit se finaliser en fin de matinée. Il n'y a pas un sujet de blocage, il y a une multitude de situations nationales auxquelles il faut donner bonne réponse.
 
L'échec n'est pas possible, vous nous le dites ça, ce matin, à Bruxelles ?
 
Je crois que politiquement l'échec n'est pas possible, c'est-à-dire qu'on a besoin de cet accord. Écologiquement, il n'est pas possible. L'Europe est motrice dans le monde dans la lutte contre le changement climatique, donc il faut que l'Europe démontre que c'est possible. Cet accord, c'est à la fois son écot qu'elle apporte à la lutte contre le changement climatique, ça va être moins 20 % d'émissions de gaz à effet de serre en 2020 pour un ensemble qui représente quand même 15 % des émissions mondiales, donc c'est important. Mais c'est aussi un signal très fort que l'Europe envoie aux autres pays du monde qui est de dire : alors que nous, nous sommes tellement différents, nous, Européens, nous des situations économiques, culturelles, des situations vis-à-vis de l'énergie très différentes, nous, nous avons réussi à le faire, donc le monde entier peut le faire. C'est ça que je dis en ce moment Poznan, c'est : attention, l'intérieur de l'Europe... l'Europe n'est pas homogène, l'Europe, c'est des pays très, très, très différents. Donc, si l'Europe y arrive, ça veut dire que monde entier peut y arriver.
 
Qu'attendez-vous des Etats- Unis quand ils seront présidés par B. Obama qui a fait un certain nombre d'annonces très fortes sur le sujet ?
 
Les Etats-Unis sont très, très attendus pour leur retour sur la scène internationale et dans les négociations internationales sur le changement climatique. Et le problème de l'administration Bush, ce n'est pas seulement qu'elle n'était pas très "chaude", très allante, c'est qu'en fait elle était très peu présente. On avait des délégations américaines qui viennent quasiment comme observateurs, ils n'ont pas ratifié le protocole de Kyoto, ils participent très peu à la discussion, et à la fin ils bloquent. Donc là, on a besoin à la fois d'une administration qui soit beaucoup plus mobilisée, et on le sent, les échos qu'on a de Washington c'est que ça va être le cas, ils veulent vraiment faire des propositions sur le sujet. Et puis, on a besoin aussi d'une administration qui est beaucoup plus présente, qui est motrice dans ces négociations, parce que, quand les Etats-Unis sont là quasiment comme observateurs, ça fait une espèce d'inertie, ça fait un poids, ça ne peut pas fonctionner.
 
La presse américaine bruisse de rumeurs concernant Steven Chu, Prix Nobel de physique, qui pourrait être le prochain secrétaire à l'Energie de B. Obama. Sacrée recrue, non, si elle se confirme ?
 
Oui, sacrée recrue et signal très fort de l'intérêt de B. Obama pour ce sujet. Quand on prend une personnalité, c'est qu'on a envie que le sujet... qu'on le fasse exister, qu'il soit très très présent, ça c'est un très bon signal. Tous les Etats du monde ont besoin de faire leur transition énergétique, d'aller vers une énergie plus sobre en carbone. Mais qu'un Etat comme les Etats-Unis prenne le leadership là-dessus, mette ce sujet-là en avant, en choisissant une personnalité de cette nature, montre tout l'intérêt en fait qu'il y apporte, c'est un signal aussi fantastique pour le monde.
 
Est-ce que la crise économique joue en ce moment, que ce soit à Poznan ou à Bruxelles, comme un frein très puissant à la réflexion sur l'écologie ?
 
C'est presque le contraire. Évidemment, il y a cette idée : il y a crise économique, il n'y a plus d'argent, donc, on ne va pas en mettre dans l'environnement ; c'est une idée ringarde, c'est une idée du passé, et c'est une idée qui est très peu développée. Ici, à Poznan par exemple, les industriels se sont réunis, ils ont fait un papier pour dire : nous considérons que la crise économique ne doit pas freiner la lutte contre le changement climatique, au contraire c'est une opportunité. Cela peut paraître paradoxal, mais à l'heure de la crise économique, on a de toute façon besoin de refonder le système de production et de consommation, on sait qu'on est dans une série d'impasses, c'est l'occasion de réinvestir. Réinvestissons dans l'environnement, profitons-en pour réinvestir dans une économie sobre en carbone. C'est le message Page qu'envoient les Etats du monde les plus mobilisés, mais c'est le message aussi qu'envoient les industriels les plus allants, et ils sont de plus en plus nombreux quand même.
 
Tous les industriels ?
 
Ici, à Poznan, oui, on a l'impression que tous les industriels tirent dans ce sens. Bon, évidemment...
 
Ils ne sont pas tous à Poznan ?
 
Ils ne seront pas tous à Poznan, et il y en a pour...Mais la tendance, c'est que c'est quand même un combat d'arrière-garde. C'est un combat d'arrière-garde parce que les prix de l'énergie fluctuent de plus en plus, or les entreprises ont besoin de prévisibilité. Donc, devenir sobre en carbone, devenir plus efficace énergétiquement, c'est devenir plus compétitif en fait, c'est se donner une nouvelle compétitivité. Et puis, c'est un combat d'arrière-garde parce que, les problématiques auxquelles nous on est confrontés, en France ou en Europe, de lutte pour la préservation de l'environnement, contre le changement climatique, le monde entier y est confronté. Regardez les Chinois par exemple, ils ont annoncé qu'en 2020, la moitié des voitures qu'ils mettraient sur le marché chinois serait des voitures électriques. Les Chinois sont très en avance sur la voiture électrique. Donc, ces questions que l'on se pose tous les pays au monde se les posent. Si on développe les brevets, si on développe les équipements, si on développe les produits pour y répondre, on pourra les vendre aux pays du monde, et les industriels le savent.
 
Une question plus politique : votre amie, R. Yade traverse un moment assez difficile, critiquée par son ministre tutelle. Est-ce que vous la soutenez ?
 
Bien sûr. Rama c'est quelqu'un qui a beaucoup d'enthousiasme, qui a un caractère bien à elle, elle ne le cache pas, au contraire, mais qui a beaucoup d'enthousiasme, qui apporte sa propre touche dans cet ensemble très divers qu'est forcément le Gouvernement. Et je ne crois pas que B. Kouchner l'ait critiquée elle. Il a parlé de la question de l'articulation entre les droits de l'homme et la diplomatie en général, et de la pertinence d'avoir un secrétariat d'Etat dédié aux Droits de l'homme, c'est très différent, ça n'était pas personnel. Il faut qu'on arrête de personnaliser des commentaires de nature politique qu'on peut faire sur le travail des uns et des autres. On est là pour travailler, on peut avoir des commentaires sur notre travail, il faut dialoguer avec les Français, avec les parlementaires. Est-ce qu'ils aiment, est-ce qu'ils n'aiment pas, est-ce que c'est bien, est-ce qu'on peut recaler ? Mais il faut qu'on arrête de personnaliser !
 
Dire qu'un secrétariat d'Etat aux Droit de l'homme est une erreur... Bon. On n'est pas très loin tout de même de la critique personnelle ?
 
Non, pas forcément, je ne suis pas d'accord avec ça. On peut dire que c'est compliqué d'articuler un secrétariat d'Etat aux Droits de l'homme sur un sujet très spécifique qui participe d'un ensemble qui est la diplomatie française. Et en même temps, reconnaître la grande qualité du travail qui a été fait. Rama a fait du travail sur l'adoption internationale, par exemple, qui a été très reconnu par tout le monde et qui est très apprécié de tous le parents qui cherchent actuellement à adopter, je le sais.
 
Est-ce que le seul tort de R. Yade n'est pas d'avoir dit "non" au président de la République, "non" aux élections européennes ? Ça, ce n'est pas possible, c'est interdit au Gouvernement ?
 
Ce n'est pas du tout interdit, le président de la République est plutôt quelqu'un avec lequel on peut, et même, on doit dialoguer très franchement, il l'apprécie, et...
 
Oui, mais est-ce que son seul tort n'est pas d'avoir dit "non" ?
 
Non. C'est un problème...enfin, c'est un problème politique, je n'ai pas forcément à commenter, je crois que c'est un problème politique de la question de savoir si à un moment, il faut aller ou pas dans le suffrage universel. Le président de la République considère que l'élection est fondatrice de l'aventure politique. Il y a un moment où il faut, de toute façon, y aller. C'est une question politique ça n'est pas une question personnelle.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 décembre 2008