Déclaration de M. Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur les efforts en faveur de la relance des agricultures des pays en voie de développement, à Paris le 16 décembre 2008.

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Circonstance : Clôture du Colloque du Conseil statégique de l'agriculture et de l'agro-industrie durables et de la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde, à Paris le 16 décembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Président de Farm,
Monsieur le Ministre,
Cher René Caron,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
J'ai le privilège et le plaisir de clôturer ce colloque, ce qui n'est pas chose aisée tant les débats, me dit-on, y ont été riches et de haute tenue.
Mon collègue et ami Michel Barnier s'est exprimé devant vous aujourd'hui. Vous comprendrez donc que, compte tenu de mes attributions, je mette l'accent sur les agricultures du Sud, et tout particulièrement de l'Afrique.
L'impératif du développement agricole s'est rappelé à nous dans des circonstances difficiles : après des années de relative stabilité, les prix agricoles ont connu une violente poussée jusqu'à l'été dernier, puis ont subi une baisse importante, qui ne les a toutefois pas ramenés au niveau modeste du dernier quart de siècle.
La FAO estime qu'entre 2003-2005 et 2007, 75 millions de personnes supplémentaires ont été frappées par la sous alimentation à cause de la hausse des prix, ce qui porte à près d'1 milliard d'hommes le nombre de mal nourris.
Comment envisageons-nous l'avenir ?
De nombreuses inconnues majeures subsistent : quand sortirons-nous de la récession mondiale ? Comment évolueront les négociations de l'OMC ? Dans quelle mesure les dirigeants chinois favoriseront-ils la consommation intérieure ? Quelle priorité sera donnée à la production de biocarburants ?
Ceci posé, et avec toute la prudence nécessaire en ces temps de grandes perturbations économiques et peut-être politiques, de grandes tendances se dessinent.
Selon la plupart des analystes, les prix devraient demeurer à un niveau élevé sur les prochaines années, sous l'effet de plusieurs facteurs structurels : la croissance démographique, la part croissante des protéines animales dans la consommation des pays émergents, et l'augmentation plus ou moins rapide de la production de biocarburants.
Ces prix devraient en outre fluctuer fortement autour de ce niveau élevé sous l'effet des aléas climatiques, d'éventuelles décisions de limitation des exportations et peut-être de la poursuite du report de la spéculation des marchés financiers aux marchés de matières premières.
Nous sommes donc confrontés à un contexte caractérisé par des prix élevés et erratiques.
Ces prix élevés, j'ai eu souvent l'occasion de le rappeler, constituent à la fois un défi pour l'alimentation des populations urbaines et une opportunité pour la relance de l'agriculture.
Quelles premières leçons pouvons-nous tirer des mois écoulés ?
S'agissant d'abord de la gestion de la crise, nous savons que des mesures visant à diminuer rapidement le coût de l'alimentation ont été mises en oeuvre : il s'agit notamment de la suspension des taxes à l'importation, de la limitation des exportations et de l'aide aux populations vulnérables. Ces mesures ont eu des résultats discutables : les commerçants en ont souvent profité pour augmenter leurs marges, le fonctionnement des marchés régionaux a été altéré, et des difficultés importantes de ciblage des bénéficiaires urbains de l'aide alimentaire sont apparues. Par ailleurs, ces mesures ont été coûteuses : l'UEMOA a évalué à 580 milliards de FCFA la perte de recettes potentielles.
Des mesures de relance immédiates de la production ont été également adoptées : subventions aux intrants, allocation de crédits de campagnes, aménagements sommaires de périmètres irrigués. Elles ont eu des résultats limités car elles ne pouvaient s'attaquer à des problèmes fondamentaux comme l'organisation de la distribution des intrants, les circuits de collectes des récoltes, et le partage des marges avec les commerçants. Il conviendra d'avoir ces questions à l'esprit, Chers Collègues de la Commission, quand nous réfléchirons à l'affectation du milliard d'euros supplémentaire de l'Union européenne.
L'évolution récente de la production mondiale telle que retracée en début de mois par la FAO illustre parfaitement la difficulté qu'éprouvent certaines agricultures à profiter de la hausse des prix : si la production de céréales des pays développés et émergents a augmenté, elle aurait légèrement diminué dans les pays pauvres.
Nous savons donc que la relance des agricultures du tiers monde, et notamment de l'Afrique, sera un travail de longue haleine. Elle nécessitera des financements importants et des politiques appropriées. Nous avons échangé ensemble sur ces sujets lors du séminaire des 8 et 9 décembre. Je ne m'appesantirai donc pas sur la question, ce d'autant que les politiques structurelles à mettre en oeuvre font l'objet d'un consensus de principe :
- nul ne doute de l'importance de l'investissement en infrastructures de production, de transport et de stockage ;
- nul ne doute de la nécessité de promouvoir l'accès aux crédits et de développer la recherche ;
- nul ne doute de l'impératif de sécurisation foncière ;
- nul ne doute enfin et surtout du préalable de toute politique agricole : l'organisation de la profession.
Je me concentrerai donc sur le second thème majeur de ce colloque : la réponse à apporter à la variabilité des prix. Nous savons tous qu'une variabilité de prix excessive dissuade le producteur de moderniser son exploitation. C'est vrai en Europe, mais c'est encore plus vrai dans des pays sans système de sécurité sociale, et pour des paysans pour qui une récolte mal vendue signifie la faim, la perte de leur terre, et la migration vers les bidonvilles.
Même les plus libéraux d'entre nous, s'ils ne croient pas à la possibilité de lutter contre les tendances lourdes du marché, jugent souhaitable de limiter l'impact des variations de prix erratiques sur les paysans des pays pauvres.
J'ai pris connaissance avec intérêt des propositions novatrices élaborées par l'IFPRI en vue d'une certaine régulation des marchés mondiaux :
- constitution d'un stock mondial minimal de céréales destinées à l'aide alimentaire pour que le coût de cette dernière n'augmente pas immédiatement en cas de crise,
- mise en place d'un fonds financier d'intervention sur les marchés à terme de 12 à 20 milliards de dollars.
Ces propositions devront être débattues dans les enceintes internationales.
S'agissant des prix internationaux, la crise récente l'a montré, des marges de manoeuvre existent : la hausse de ces prix n'entraîne pas mécaniquement celle des prix domestiques en Afrique. Le niveau de production des céréales locales, le degré d'intégration des marchés régionaux et le degré de dépendance par rapport aux importations jouent sur la réaction à la variation des prix internationaux. Autant d'éléments qui viennent renforcer la nécessité d'une politique régionale de relance de l'agriculture, telle celle de la CEDEAO.
Un des premiers remparts contre la variabilité des prix internationaux est un tarif extérieur commun, à l'image de celui que la PAC a su historiquement mettre en place. Nous mesurons la complexité de l'arbitrage à faire entre intérêts du consommateur et intérêts du producteur ; nous mesurons également les effets pervers possibles d'une trop longue protection des filières. Ce TEC est toutefois un impératif et la France, je le rappelle, milite pour que les APE incluent une protection suffisante des filières agricoles sensibles.
Mais les prix domestiques peuvent avoir des variations propres tout aussi erratiques, voire plus erratiques que le marché mondial.
Le Canada a présenté des dispositifs d'assurance internes dont nous pourrons tenter de nous inspirer en les adaptant au contexte africain.
Enfin, la France à travers l'AFD a mis en place deux outils expérimentés au Burkina Faso :
- le prêt contra cyclique dont les remboursements sont indexés sur le cours des principales exportations d'un pays,
- et le fonds de lissage du coton, qui permet d'amortir en partie l'effet des variations immédiates des cours sur la rémunération des producteurs, sans jouer contre le marché.
Nous le voyons, la question de la prise en compte des prix par les politiques agricoles est complexe. Elle fait intervenir des réflexions d'ordre économique, financier, organisationnel et en fin de compte politique.
Je remercie les organisateurs de ce colloque d'avoir su associer socioprofessionnels, chercheurs et bailleurs de tous horizons. Leurs échanges éclaireront nos actions.
Après les pénuries dans certains pays, les disettes de l'après guerre, l'Europe a su construire sa sécurité alimentaire avec une politique agricole efficace ; cette politique sait désormais s'adapter à un contexte international radicalement nouveau. Nous devons mettre au service des agricultures du Sud cette expérience et des moyens financiers conformes aux engagements que nous avons réitérés à Doha.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 décembre 2008