Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, à LCI le 19 décembre 2008, sur les réformes de la classe de seconde et du lycée et les effectifs d'enseignants.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
C. Barbier.- Vous avez donc décidé de "remettre à plat" l'ensemble de la réforme des lycées. Reconnaissez-vous que cela équivaut à un retrait et non à un simple report ?
 
Lorsqu'on dit que l'on repart de zéro, ne jouons pas sur les mots, ça veut dire qu'on recommence, qu'on recommence tout. Certes, cependant, un grand nombre de principes qui habitaient la réforme et qui d'ailleurs avaient fait l'objet d'un consensus de la part des professeurs, des élèves, et des chefs d'établissement, ces principes se retrouveront. L'idée qu'il faut qu'il y ait un grand tronc commun pour tous les élèves, notamment avec deux langues vivantes, l'idée qu'il faille avoir un accompagnement éducatif pour personnaliser le soutien aux élèves. L'idée, sans doute aussi, du semestre qui est une bonne manière de permettre aux élèves de changer d'option s'ils se sont trompés. On gardera, me semble-t-il, nous retrouverons ces grands principes-là. Mais enfin on va en parler puisque, je le répète, on remet tout à plat, on repart de zéro.
 
Quelle forme prendront ces états généraux ?
 
J'ai utilisé le terme d' "états généraux", j'ai dit des sortes d'états généraux, ce n'est pas le terme qui sera retenu.
 
C'est le terme de la FIDL, qui est contente d'ailleurs, elle dit : "bien sur la forme, moins sur le fond".
 
Nous verrons. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut ça repart des établissements. Il faut que les élèves puissent, dans les établissements, se saisir du dossier. Pourquoi je dis cela ? Parce que, ce qui est le plus étonnant dans cette affaire, c'est que nous avons signé au mois d'avril-mai derniers, un protocole sur les principes, que les deux représentants, la FIDL et l'UNL, les deux représentants des lycéens avaient signé. Et qu'aujourd'hui, à la fin, ils disent : on ne veut pas de réforme du tout, et on ne veut même pas des principes sur lesquels eux-mêmes avaient signé. Et qu'entre temps, j'ai parlé avec des délégués, j'ai même réuni tous les délégués, de tous les lycées, élus de France, et pourtant les lycéens ont le sentiment de ne pas être entendus. Donc il faut partir de la base, de l'établissement scolaire et faire parler les lycéens eux-mêmes.
 
Aujourd'hui, le dialogue est-il rompu ?
 
Jamais le dialogue n'a été rompu. Évidemment, lorsque il y a des mouvements aussi brutaux que ce que nous avons eu hier, c'est très difficile de se parler en passant au-dessus de la tête des casseurs et des gens agités de toute nature, qui perturbent le mouvement lycéen, et qui le caricaturent d'ailleurs. Je fais une grande différence entre les lycéens et les adolescents, les jeunes adultes qui sont inquiets pour leur avenir et qui veulent comprendre les enjeux d'une réforme, et puis ceux qui courent dans les rues, avec des battes de baseball ou qui viennent agresser la police ou incendier des voitures.
 
Le Figaro explique ce matin, que la police considère que l'extrême gauche est en train de déborder, de noyauter le mouvement lycéen. C'est votre sentiment ?
 
Mais bien entendu, mais bien entendu, nous le savons depuis le début. Ce mouvement lycéen a pris un tour très violent. Et reconnaissez en plus, qu'il prend un tour très violent pour des enjeux qui sont quand même modestes. Je ne dis pas que ce ne soit pas important la réforme du lycée. Il s'agissait de présenter une maquette d'une classe de Seconde, et on voit bien les proportions que tout cela prend. D'ailleurs, les élèves me surprennent un peu : parfois, ils disent "retrait de la loi Darcos", comme s'il y avait une loi. Il n'y a pas de loi Darcos, il y a une maquette pour la classe de Seconde. On voit bien qu'il y a une manipulation, et que le Parti socialiste hier a voulu s'en faire le récupérateur principal. Et je lui conseille la prudence parce que, les boutefeux, les gens qui soufflent sur les braises dans ce genre de manifestation, très souvent il y a des retours de flammes qui leur reviennent à la figure !
 
C'est le rôle de l'opposition que d'organiser un mouvement social...
 
Oui, mais ce n'est pas le rôle de l'opposition, me semble-t-il, que de pousser les jeunes lycéens dans la rue au risque qu'ils pourraient prendre en s'exposant dans des manifestations brutales.
 
Les enjeux sont en train de changer, les lycéens veulent désormais l'abandon avant toute discussion du "projet de réduction du nombre de postes à la rentrée 2009". Alors, vous promettez qu'aucun enseignant de lycée ne sera concerné par cette réduction, mais est-ce que vous êtes quand même d'accord pour remettre à plat cette politique de diminution des postes, quels qu'ils soient ?
 
La question qui doit se poser pour les lycéens, comme pour les élèves d'ailleurs, c'est : est-ce que les non-renouvellements concernent la classe ? Est-ce que, demain, dans les lycées, il y aura moins de professeurs ? Est-ce que demain il y aura moins de classes dans l'école primaire ? C'est souvent la question. La réponse est non.
 
Même sur les remplaçants ?
 
Mais nous avons organisé différemment le remplacement. Il y avait aujourd'hui une situation extraordinaire, qui faisait que 80 % seulement de nos professeurs remplaçants étaient mobilisés. C'est-à-dire, qu'il y avait 10.000 professeurs qui ne travaillaient pas - 13.500. 10.000 professeurs qui ne travaillent pas ! Voyez que les choses vont très vite. Nous ne toucherons pas à l'offre éducative, c'est-à-dire que pour les lycéens, ils ne verront pas de différence au motif qu'il y a des non-renouvellements. Je l'avais dit l'an dernier à propos des 11.200, on ne m'a pas cru. Or on a constaté à la rentrée dernière, à la rentrée de 2008 que, de fait, il n'y avait moins de professeurs en moyenne, par classe et par élève.
 
Dans cette crise, avez-vous, à un moment, envisagé de démissionner ?
 
Pas du tout. La crise, ça fait partie du métier, sauf si évidemment le président de la République avait cessé de me manifester sa confiance, ce qui, je crois, vraiment, n'est pas le cas. Il m'a beaucoup soutenu, et j'en suis fort reconnaissant. La crise ça fait partie du métier, je dirais même, ça fait partie du passage obligé de tout ministre de l'Education nationale, surtout lorsqu'on réforme comme nous réformons. Parce que je reconnais, en effet, que depuis vingt mois, on a beaucoup, beaucoup, beaucoup réformé, et qu'au bout d'un moment, la machine tire un peu. Donc je ne me suis pas inquiété pour moi-même. Je me suis en revanche inquiété pour les professeurs, pour les chefs d'établissement, pour tous nos collègues qui sont responsables et qui ont été exposés terriblement, je pense en particulier aux proviseurs. Et c'est plutôt à eux que je pense plutôt qu'à moi.
 
En janvier, le mouvement reprendra, manifestations prévues dès le 17. Promesse des étudiants, de certains d'entre eux, de rejoindre les lycéens. Demandez-vous à la ministre de l'Intérieur de prendre des dispositions pour que les lycées ne soient plus occupés ?
 
En tout cas, souvent, ce qu'on appelle "un lycée occupé", c'est un lycée dans lequel on ne peut pas rentrer, ce sont quatre, cinq, six personnes, généralement des jeunes cagoulés qui arrivent, qui poussent des caddies, des poubelles, des plaques de chantiers à l'entrée, et qui créent une perturbation sans nom parce qu'on ne peut plus rentrer.
 
Que fait la police ?
 
 Il faudra en tout cas que nous veillions au mois de janvier à ce que ces blocages - car ce sont des blocages - ne se produisent pas, et que les lycéens qui veulent travailler puissent travailler. Je rappelle d'ailleurs que, même au pire du mouvement - au pire, au pire, au pire du mouvement -, il s'agit de moins de 20 % de nos élèves, de nos lycées qui sont vraiment perturbés, il y a 80 % des lycées qui ont travaillé hier.
 
Craignez-vous la contagion avec l'université, avec les étudiants ?
 
Je ne connais pas les enjeux qui pourraient motiver des mouvements étudiants...
 
L'autonomie, l'autonomie des universités qui démarre. Ça leur donne un prétexte...
 
On a donné beaucoup d'argent à l'université, la loi sur l'autonomie a été bien acceptée. Je suis moi-même en train de discuter avec les universitaires de la maquette des concours des recrutements que je vais faire, nous envisageons toutes sortes de solutions pour qu'il y ait de l'accompagnement social avec tout ça. À dire vrai, franchement, je ne vois pas quel conflit le ministère de l'Education national pourrait avoir avec le monde étudiant.
 
"Jamais la puissance n'est assez sûre quand elle est excessive", disait Tacite, un de vos auteurs fétiches. Que répondez-vous à ceux qui vous ont trouvé "arrogant, plastronnant", quand vous faisiez avancer vos réformes, et que les syndicats n'arrivaient pas à mobiliser ?
 
Mais je ne suis ni arrogant, ni plastronnant, ni méprisant, comme j'entends dire, je ne suis pas comme ça du tout. Simplement, nous sommes aux affaires, et nous avons conscience qu'il faut avancer. Parce que tous ceux qui me disent "oui, vous allez vite, vous nous parlez un peu comme ça, sec...", bon, peut-être, alors je m'en excuse si je suis parfois un peu tonique, comme ça. Mais simplement, la situation que nous avons n'est pas la bonne. Savez-vous qu'une statistique parue il y a 48 heures, montre que, aujourd'hui, dans les pays développés, le système français avec le système tchèque est le plus inégalitaire socialement, c'est-à-dire qu'on connaît votre destin scolaire en fonction de votre quartier, de votre nom ! Et donc que nous avons, malgré 60 milliards d'euros, malgré 1,2 million personnes qui travaillent à l'école, nous avons un système qui est inégalitaire, qui n'est pas juste, qui n'est pas républicain. Et donc, c'est mon travail, c'est ma mission, que de me battre. Quitte à paraître un peu tonique et parfois un peu direct - je le répète, je ne cherche à blesser personne -, mais c'est mon devoir, sinon je peux aussi bien rester chez moi et faire d'autres choses tout à fait aussi passionnantes.
 
Des enseignants disent "entrer en résistance" contre votre réforme, des instituteurs en appellent à la désobéissance civile. Que leur répondez-vous ?
 
D'abord, le terme de "résistance", je trouve qu'il a été utilisé naguère pour sauver des enfants d'autre chose que de l'ignorance, tout de même ! Et s'appeler "résistant", au motif qu'on ne veut pas faire deux heures de soutien pour les élèves qui sont en difficulté, moi j'en appelle à l'opinion publique. Voilà des professeurs qui ne veulent pas offrir deux heures de soutien aux élèves qui en ont besoin, et qui, de surcroît, trouveraient bizarre qu'on le leur reproche. En bien, tout simplement, je ne donnerai pas le bonheur à ces professeurs de faire un conflit majeur avec moi, je ne les transformerai pas en martyres, mais évidemment, le travail non fait ne sera pas rémunéré.
 
Un scénario à la grecque n'est pas à exclure, estime D. de Villepin, entre les tensions sociales et une jeunesse dans la rue. Vous partagez cet avis ?
 
En tous les cas, nous l'avons tous en tête. Les jeunes adolescents d'Europe ne vont pas bien, la crise a complètement changé la donne. Vous me disiez tout à l'heure "pourquoi les choses changent ? Est-ce que nous sommes fragilisés, pourquoi nous bougeons ?". Parce que, en effet, l'environnement n'est pas le même, et qu'il y a cette crise, la succession de ces plans, il y a le spectre de la récession, du chômage, d'une plus grande difficulté à s'insérer dans la profession, jouent évidemment sur les consciences, et c'est tout à fait normal qu'on sente une électricité ou une désespérance chez les adolescents. Enfin, nous sommes très loin aujourd'hui d'être dans une situation qui est celle de la Grèce.
 
Vous faisiez partie, il y a quelques semaines, du club des premiers ministrables, votre nom était cité. Considérez-vous que c'est toujours le cas ?
 
Je ne répondais pas à la question à l'époque où on le disait. Je ne répondrai pas à la question à l'époque où on commencerait à en douter. Ce n'est pas ainsi que les choses se présentent. Je suis à l'oeuvre, je le répète, avec beaucoup de détermination, je crois que la mission qui m'est confiée est une des plus importantes qui soit pour la République, faire en sorte que les jeunes aient un avenir, qu'on s'occupe d'eux, et ils verront bien un jour ces jeunes qui les aime le plus, qui s'occupe d'eux, entre un ministre qui essaie de réformer et des gens qui soufflent sur les braises pour les amener à courir dans les rues.
 
"R. Yade est un placement dont il fallait tirer les bénéfices" ; vous approuvez cette vision de la politique développée par C. Estrosi ?
 
C'est une formule maladroite. On ne parle pas ainsi des personnes. Je pense que les deux intéressés se sont déjà expliqués.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 décembre 2008