Déclaration de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, sur la protection des droits fondamentaux, la prospérité économique et l'équité sociale, Paris le 8 décembre 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque dédié à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne avec les associations Europe et société à Paris le 8 décembre 2008

Texte intégral


Depuis son lancement, la construction européenne repose sur un équilibre entre la recherche de la prospérité économique, la protection des droits fondamentaux et le souci de l'équité sociale. Nous devons en convaincre tous les acteurs de l'Union européenne, à commencer par les citoyens européens.
Cette volonté ne s'est jamais démentie. Elle est au coeur des valeurs qui fondent l'Union européenne, elle est également au coeur de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, à laquelle est dédiée la conférence qui nous rassemble aujourd'hui.
C'est pourquoi la conférence qui nous réunit aujourd'hui est une excellente initiative. Je tiens à remercier les associations qui en sont à l'origine : Réalités du dialogue social et Europe et Société. Ce débat est en effet en plein coeur de l'actualité.
Car les valeurs affirmées par cette charte concernant les droits économiques et sociaux des citoyens européens prennent un relief particulier dans le contexte de crise actuel. C'est le moment de réaffirmer avec force que nous croyons dans le dialogue social pour surmonter les difficultés que nous rencontrons, pour maintenir la cohésion sociale et pour préserver l'acquis communautaire. Plus que jamais, face aux turbulences résultant de la crise financière, la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être une référence commune.
Pour ouvrir cette journée de débat, j'aimerais vous adresser quelques messages auxquels je tiens particulièrement. Ils s'appuient notamment sur les enseignements que je peux retirer de cinq mois de Présidence française du Conseil de l'Union européenne, cinq mois pendant lesquels nous avons voulu mobiliser tous les acteurs pour faire redémarrer l'Europe sociale.
La promotion de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est intimement liée à la défense du modèle social européen.
Contrairement à la plupart des conventions internationales du même type, la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne traite à la fois des droits civils et politiques et des droits économiques et sociaux.
En général, en droit international, ces deux catégories de droits font l'objet de démarches séparées, de stipulations distinctes. Je pense par exemple aux deux pactes de New York des Nations Unies, de 1964, dont l'un est consacré aux droits civils et politiques, et l'autre aux droits économiques et sociaux.
Je pense aussi aux textes élaborés dans le cadre du Conseil de l'Europe, où nous avons d'un côté la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'autre, la charte sociale européenne.
L'originalité de la démarche européenne, c'est donc de procéder de manière globale, et d'affirmer clairement que les droits économiques et sociaux sont des droits fondamentaux, au même titre que les droits civils et politiques.
Ce n'est ni banal, ni anodin, et ce n'est pas un hasard. Car les Européens ont toujours lié la construction d'une Europe politique et économique avec l'édification d'une Europe sociale.
En Europe, il n'y a pas de droits politiques sans droits sociaux : à chaque fois que la démocratie s'est installée, elle a conduit à des avancées en faveur des travailleurs, que ce soit en matière de durée du temps de travail, de congés payés, ou encore de droits syndicaux.
En Europe, il n'y a pas non plus de progrès économique sans progrès social, car nous n'acceptons pas le dumping social. Cette idée se trouve au coeur du modèle social européen. Et la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est le reflet et la traduction de cet engagement.
C'est encore plus vrai depuis que nous sommes engagés dans la construction d'un grand marché intérieur, au sein duquel les hommes peuvent circuler librement, ainsi que les biens, les services et les capitaux.
Bien sûr il reste encore beaucoup à faire pour que nous puissions dire qu'il existe un véritable espace social européen, qu'il y a une Europe qui protège. L'Europe parle aujourd'hui aux entrepreneurs, aux voyageurs, aux consommateurs ; elle ne parle pas encore assez aux travailleurs.
Mais la charte des droits fondamentaux est là pour témoigner que nous partageons tous une même conviction : le progrès économique n'implique pas de renoncer au progrès social ; au contraire, ils se renforcent mutuellement. Il n'y aura pas de victoire de l'un sans l'autre.
La charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit devenir un aiguillon du progrès social et du dialogue social en Europe.
De fait, par sa définition des droits économiques et sociaux des Européens, la charte des droits fondamentaux encourage le dialogue entre les partenaires sociaux et soutient les initiatives en faveur du renforcement de l'Europe sociale.
Je veux en donner quelques exemples, qui sont tirés de mon expérience récente de Président en exercice du Conseil des ministres européens en charge du travail et des affaires sociales.
Premier exemple : la charte des droits fondamentaux mentionne le droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise. Je mesure toute l'importance de cette affirmation au moment où nous nous mobilisons pour réviser la directive de 1994 sur les comités d'entreprise européens. La charte est un soutien pour tous ceux qui se sont engagés pour que cette révision puisse aboutir rapidement : partenaires sociaux européens, Commission, Conseil et Parlement européen.
Deuxième exemple : la charte mentionne également le droit de négociation et d'action collective. Elle nous renvoie ici à un débat qui occupe le monde du travail dans l'Union européenne depuis plusieurs mois. Je veux bien sûr parler des arrêts Laval, Viking, Rüffert et Luxembourg qui ont été rendus par la Cour de justice des communautés européennes sur les droits des travailleurs détachés. Ils ont suscité beaucoup de craintes, et ces craintes appellent des réponses.
Sur ce sujet, un forum s'est tenu le 9 octobre dernier à l'initiative de la Commission. Dans ce cadre, les partenaires sociaux ont accepté de procéder à un diagnostic conjoint sur la mobilité des travailleurs au sein de l'Union européenne, comme le Commissaire SPIDLA et moi-même le leur avons proposé. La charte est un élément important dans le débat juridique car elle vient équilibrer la place donnée aux grandes libertés du marché intérieur garanties par les traités, notamment la libre prestation de service.
Troisième exemple : la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne affirme le droit à la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle, le droit à la sécurité sociale et à l'aide sociale et l'accès aux services d'intérêt économique général. Il s'agit là des piliers qui fondent la cohésion sociale en Europe. Nous avons eu l'occasion de le rappeler à l'occasion, notamment, du deuxième forum sur les services sociaux d'intérêt général qui a été organisé par la Présidence française de l'Union européenne les 28 et 29 octobre à Paris.
Il ne s'agit là que de quelques illustrations, et je veux également rappeler, même brièvement, que la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclame le droit à la protection contre le licenciement injustifié, le droit à des conditions de travail justes et équitables, l'interdiction du travail des enfants ou encore l'interdiction du travail forcé.
Ces affirmations ne donnent que plus de poids aux actions que nous menons pour que l'Europe sociale prenne un nouveau départ en cette année 2008. Elles sont le moteur de nouvelles avancées.
Je conclurais par un dernier message : il est important de renforcer la portée de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en ratifiant le traité de Lisbonne.
Vous le savez tous, le traité de Lisbonne prévoit de donner une valeur juridique pleine et entière à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Bien sûr, la charte, qui est proclamée depuis 2000, n'a pas attendu le traité de Lisbonne pour influencer la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européenne. Elle est d'ores et déjà une référence, que la Cour utilise pour éclairer le droit communautaire lorsque plusieurs interprétations sont possibles et qu'il y a un choix entre différentes options.
Néanmoins, la charte gagnerait en force juridique et en poids politique si elle était ratifiée dans le cadre du Traité de Lisbonne.
C'est donc une raison supplémentaire de se mobiliser pour que le traité de Lisbonne entre en vigueur rapidement. Car cette avancée juridique aura aussi des traductions concrètes dans la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, notamment pour les droits des travailleurs détachés que j'évoquais tout à l'heure.
Mesdames et Messieurs, la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est un progrès important, l'une de ces avancées - que certains qualifient de discrètes - qui peuvent à terme changer beaucoup de choses. Je me réjouis que 25 Etats membres sur 27 soient prêts à s'y conformer. C'est le signe que les Etats membres partagent, au-delà de leur diversité, une même volonté de maintenir et de renforcer l'équilibre qui fait l'originalité de la construction européenne.
Vu de Chine, vu d'Inde, ce qui rassemble les Européens l'emporte largement sur ce qui les sépare. Continuons à consolider les points de convergence qui nous rapprochent pour bâtir l'espace social européen.
Je vous remercie.
Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 10 décembre 2008