Texte intégral
Avant d'aborder ces sujets, je souhaiterais évoquer les affrontements en Grèce. Je ne dispose pas d'informations particulières à l'exception de celles que ma collègue grecque a données hier au Conseil Affaires générales et Relations extérieures : elle a souligné sa préoccupation et a indiqué que l'on ne pouvait rien augurer de la suite des événements. A Athènes, les affrontements ont l'air quelque peu planifiés, ce qui inquiète les autorités. Celles-ci ont très fermement condamné le geste du policier. Nous suivons ces événements avec beaucoup d'attention et nous nous efforçons de manifester notre solidarité envers les Athéniens.
Parmi les crises que vous avez mentionnées, Monsieur le Président, celle que subit la République démocratique du Congo est la plus ancienne et nous laisse, là aussi, quelque peu désarmés. Les événements remontent aux années 1994 : après le génocide perpétré en 1994 dans le Rwanda voisin, certains responsables hutus et une partie de l'armée ont fui au Nord-Kivu. Au cours des dix dernières années, on a vu beaucoup d'incidents, beaucoup de violences et beaucoup de victimes. L'accord issu de la conférence de Nairobi de 2007 - dit "Nairobi 1" -, puis l'"acte d'engagement" pour la paix adopté à la Conférence de Goma au début de 2008, ont fait naître un peu d'espoir. Pendant trois mois, on a tenté de désarmer et d'intégrer les différentes milices. Les deux plus importantes sont les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), dont le noyau initial est formé par d'anciens militaires hutus qui poursuivent toujours de leur vindicte la minorité tutsie congolaise (celle-ci compte 300.000 à 400.000 personnes), et le Congrès national pour la défense du peuple, appellation politique de l'armée du général Nkunda, lequel est un Tutsi congolais. Il faut y ajouter les groupes armés dits "maï-maï" et bien d'autres encore. Tous se caractérisent par une violence terrible, agressive et assassine.
Ayant appuyé les accords de Goma, nous avons cru à une certaine détente. Mais les affrontements ont repris alors même que nous acheminions des secours. Nous avions détaché un diplomate de Kinshasa à Goma : bien nous en a pris car celui-ci a donné l'alerte et nous a été très utile pour protéger les quelques Français présents dans la région (entre 100 et 200) et, à notre petite mesure, les femmes et les enfants congolais. Les violences commises sur les femmes ont atteint un degré de cruauté inimaginable. Les forces congolaises régulières, qui se débandent périodiquement, y participent. Nous apportons une aide financière aussi importante que possible à l'hôpital Heal Africa. Cet établissement, un des rares à prendre en charge des mutilations aussi effrayantes, est dirigé par un chirurgien et sénateur congolais à qui son dévouement exceptionnel devrait valoir, selon moi, le prix Nobel.
Les troubles ont donc repris. Il faut bien entendu une solution politique : personne n'imagine que la solution à une crise qui dure depuis quatorze ans puisse être purement humanitaire ! Cela étant, si l'on n'apporte pas un secours circonstancié aux réfugiés et déplacés, dont le nombre se situe entre 1 et 1,6 million, on se condamne à l'inaction : la deuxième conférence de Nairobi du 7 novembre n'a pas permis d'avancer. L'armée nationale congolaise, qui a participé aux violences de Goma, est désormais quasi absente de la région. Les forces de l'ONU s'élèvent à 17.000 hommes répartis sur l'ensemble de l'immense territoire de la RDC. Au Nord-Kivu, les effectifs sont passés de 4.000 à 9.000 hommes. Nous avons en effet beaucoup insisté pour que le responsable des opérations de maintien de la paix de l'ONU, notre compatriote Alain Le Roy, se rende immédiatement sur place pour décider d'une répartition différente des Casques bleus.
Comment expliquer l'inaction de ces forces ? Elles devaient être commandées par un général qui a renoncé, estimant qu'il ne pouvait rien faire avec les troupes à sa disposition. Ce n'est un secret pour personne : certaines troupes envoyées sur place n'ont pas l'autorisation de combattre hors de leurs frontières ; d'autres sont plus pacifistes que la morale ne le permet dans de telles circonstances !
La deuxième conférence de Nairobi est malgré tout un succès politique qui fait suite à la visite que j'ai effectuée en RDC avec mon homologue britannique David Miliband. Nous avions alors vu M. Kabila, nous avions visité certains camps de réfugiés - la grande majorité restant toutefois inaccessible -, puis nous nous étions rendus au Rwanda pour rencontrer le président Kagamé et en Tanzanie pour discuter avec le président Kikwete, qui est aussi président de l'Union africaine. C'est ainsi qu'a été lancée l'idée d'un "Nairobi 2", que réclamaient aussi bien l'ONU, par la voix de M. Ban Ki-moon, que l'Union européenne et l'Union africaine.
Face à une situation qui ne s'arrangeait guère, le Conseil de sécurité a adopté une résolution - initiée par la France - autorisant l'ONU à affecter 3.000 hommes supplémentaires en RDC. Malheureusement, la réponse européenne n'a pas été positive. Certains pays souhaitent un dispositif inspiré de l'opération Artémis, menée avec succès en 2003 sous commandement militaire français. On dit beaucoup de choses, on parle de l'envoi de Gurkhas, mais pour l'instant rien ne se passe. Les trois réunions du Comité politique et de sécurité (COPS), pour la tenue desquelles la Présidence française de l'Union européenne a beaucoup bataillé, n'ont abouti qu'à de bonnes paroles, le seul engagement éventuel portant sur la sécurisation d'un des aéroports pour faciliter la distribution de la nourriture stockée par le Programme alimentaire mondial. Pourtant, la lettre de M. Ban Ki-moon évoque clairement des troupes européennes supplémentaires.
La discussion d'hier au Conseil Affaires générales et Relations extérieures a été difficile et a fait apparaître des positions assez tranchées sur la nécessité d'intervenir ou non. Si l'Union européenne ne répond pas à la demande du Secrétaire général des Nations unies, qui le fera ? Ce serait à mes yeux une démission morale ! Nous avons chargé M. Javier Solana de rassembler des éléments nous permettant de proposer une réponse que j'ai voulue technique, humanitaire et politique, et qui devrait intervenir après-demain soir, à temps pour le Conseil européen. En tout état de cause, je comprends bien que la France ne veuille pas déployer des troupes à 200 mètres de la frontière du Rwanda. Cela dit, bien que les Belges aient été impliqués comme nous dans ces événements, ils proposent 600 hommes. Les Pays-Bas et la Suède souhaitent également apporter une réponse positive aux Nations unies. La Commission, qui considérait que l'on ne pouvait pas forcer la paix avec des troupes, a fait évoluer sa position depuis que nous avons la lettre de M. Ban Ki-moon. L'Union acceptera-t-elle une solution de transition consistant à sécuriser au moins les chemins d'accès aux camps de réfugiés ? Cela n'a pas encore été tranché.
J'en viens à la situation en Thaïlande. Le mouvement populaire, conduit par les élites urbaines, vise un gouvernement qu'il accuse de corruption après qu'un précédent gouvernement - convaincu, lui, de corruption - eut été renversé par un coup d'Etat militaire. La communauté internationale avait condamné ce coup d'Etat et nous n'entretenions plus de rapports officiels avec la Thaïlande. Cela n'a nullement empêché le tourisme de continuer de faire prospérer le pays. Au reste, le gouvernement installé par les militaires a adopté une position beaucoup plus ouverte et progressiste qu'auparavant au sujet de la Birmanie. Comme l'armée s'y était engagée, les Thaïlandais sont retournés aux urnes. Le gouvernement qu'ils ont légitimement élu est encore en place, même si le Premier ministre a dû démissionner à la suite d'une décision de justice, et aucune élection anticipée n'est programmée.
Après de très violentes manifestations - avec plusieurs morts par balles -, le siège du gouvernement a été occupé et le gouvernement s'est déplacé vers l'aéroport, lequel a lui-même fait l'objet d'un siège. Le blocage quasi complet de la circulation aérienne a empêché des milliers de touristes de rentrer chez eux. Les billets de retour, qui sont pour la plupart à date fixe, ne pouvaient plus être utilisés. On a donc vu 500, puis 1.000, puis 1.500 ressortissants français assiéger l'ambassade de France : "Que fait le gouvernement ?" J'ai si bien compris leur embarras que j'ai décidé de leur envoyer un avion. Mais ce qui est stupéfiant, c'est que les compagnies aériennes qui avaient accès à d'autres aéroports continuaient de déverser des touristes ! Air France, toutefois, a décidé d'affréter des vols pour Phuket afin de rapatrier ses passagers, mais cette station touristique se trouve à dix heures de route de Bangkok. Nous avons pour notre part envoyé un Boeing 747 de 550 places qui a atterri sur un aéroport militaire et a ramené 513 personnes représentant une vingtaine de nationalités européennes, dont une large majorité de Français.
Si nous avons su faire preuve de compassion et d'efficacité en cette affaire, c'est grâce à la cellule de crise du Quai d'Orsay. Les cinquante personnes qui se sont mobilisées nuit et jour pour faire face tout à la fois aux événements de Bombay, à ceux de Thaïlande, à l'enlèvement de deux journalistes en Somalie et à la prise d'un otage français en Afghanistan, ont droit à toute mon admiration.
Pour ce qui est de la Thaïlande, l'impasse politique est presque complète même si les manifestations autour de l'aéroport ont cessé et si le trafic aérien a repris.
Du point de vue du droit des assurances, il ne s'agit pas d'une situation de guerre qui justifierait une absence de prise en charge. C'est pourquoi je fais prendre contact avec les entreprises concernées pour leur demander de rembourser au moins en partie les frais engagés par le gouvernement.
Q - (A propos de la situation en République démocratique du Congo et de la position européenne)
(A propos de la politique souhaitée par la nouvelle administration américaine en Afghanistan)
R - Le voyage de Mme Rama Yade auquel vous avez participé, Monsieur Christ, confirme les sinistres découvertes que nous avons faites. Mais je dois à la vérité de vous dire que, si ma conviction personnelle est forte, la position de l'Europe n'est pas celle-là. Alors que l'exploitation illégale des ressources naturelles et l'impunité pour les assassins sont la règle dans la région, je n'ai pu obtenir hier du Conseil Affaires générales que l'ajout de cette phrase à sa résolution : "Le Conseil a pris note de la lettre adressée par le Secrétaire général des Nations unies au Secrétaire général/haut représentant et demande à ce dernier et à la Commission de préparer rapidement des éléments de réponses techniques, humanitaires et politiques en tenant compte des observations présentées." Or les observations présentées ne vont pas dans le sens d'une intervention. Notez toutefois que je ne suis pas partisan d'une intervention systématique : à mon avis, le droit d'ingérence doit être préventif.
Je comprends que l'on puisse éprouver une certaine lassitude, mais c'est tout de même une fierté de l'Europe que de pouvoir réagir dans de telles situations ! Vous avez vu comme moi un spectacle de désolation. Encore ne sommes-nous allés qu'à Goma : on meurt en bien plus grand nombre dans les camps inaccessibles, en pleine forêt, ou lors de déplacements d'un village à un autre sous la menace de telle ou telle milice.
Monsieur Boucheron, je me suis longuement entretenu hier soir avec le nouveau ministre afghan de l'Intérieur. C'est un homme déterminé qui a occupé de nombreuses fonctions, y compris dans la période soviétique, et qui n'est pas accusé de corruption. Il était intéressant, par exemple, de recueillir son avis sur les tribus ou sur les échecs rencontrés jusqu'ici dans le redressement de la police afghane alors que la formation de l'armée est une vraie réussite. Par ailleurs, il semblerait que l'élection du président de la République ait lieu en septembre - sous réserve de la décision définitive de la commission électorale.
Nous n'avons aucun contact officiel avec les futurs membres de l'administration de M. Barak Obama. Celui-ci a cependant affirmé au cours de sa campagne électorale qu'il allégerait les effectifs des troupes en Irak et les augmenterait en Afghanistan. On a parlé de 20.000 hommes. Ce dont on m'a assuré à Washington, c'est que ce ne seront pas nécessairement les mêmes troupes. Quant à l'Union européenne, dont vingt-cinq pays participent à la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) en Afghanistan, elle s'attend bien sûr à une demande mais elle n'a encore rien reçu de précis.
Nous réunirons à la fin de cette semaine les responsables des pays voisins de l'Afghanistan et nous rendrons compte de cette rencontre à de nombreux pays intéressés, notamment à certains participant à la FIAS. L'Inde et le Pakistan seront tous deux représentés. Dans le cadre général des questions de sécurité, je souhaite aborder le sujet précis du trafic des armes et des narcotiques. Comment les pays voisins voient-ils l'évolution de la situation ? Les présidents Zardari et Karzaï ont-ils noué des relations ces derniers jours ? Il sera également intéressant d'écouter les ministres indien et pakistanais après l'effroyable attaque de Bombay. Les Pakistanais ont arrêté hier Zaki ur Rehman Lakhvi, soupçonné d'être un dirigeant de l'organisation Lashkar-e-Taïba et d'avoir piloté cette attaque. Cela semble prouver que la détermination du président Zardari est entière, ce qui est un fait nouveau dans la région. Le remplacement du chef d'état-major des armées et la réforme de l'ISI (Inter-services intelligence) constituent également des signaux importants.
Pour ce qui est des troupes présentes en Afghanistan, le sujet sera évoqué au niveau européen. Mais beaucoup d'autres pays sont concernés : le Canada, l'Australie,... Je le répète, il n'y a pas de solution militaire possible en Afghanistan, il n'y a qu'une solution de sécurisation pour permettre de passer le pouvoir au plus vite à l'administration afghane, à l'image de ce que les responsables français ont réussi à faire dès le mois d'août pour la sécurité à Kaboul.
Q - (A propos de la position française concernant la situation en RDC)
(A propos des relations franco-chinoises)
(A propos de l'Iran)
(Concernant l'Union pour la Méditerranée)
(Au sujet de la lutte contre les violences faites aux femmes)
R - Vous êtes bien pessimiste, Monsieur de Charrette ! Je partage, hélas, votre sentiment, mais mon pessimisme ne m'empêchera pas de me battre pour que quelque chose soit fait.
Il n'est pas question d'envoyer des troupes au sol : l'aéroport de Goma est à 200 mètres de la frontière rwandaise. En revanche, nous pouvons être l'armature d'une force de protection et de sécurisation sans participer à la présence des troupes au sol et aux combats. Pour les raisons que Mme Marie-Louise Fort vient de souligner, je ne puis renoncer à protéger les populations. Si l'Europe n'en est pas capable, ce n'est pas la peine de s'inscrire dans cette formidable aventure qu'est la construction, depuis la guerre, d'une entente européenne fondée sur une morale pacifique. Il est légitime de se demander ce que font les 17.000 hommes qui sont déjà sur place mais, si l'on ne répond pas à la demande du Secrétaire général des Nations unies, c'en est fini de la communauté internationale !
A Nairobi le 11 décembre, les deux envoyés spéciaux de M. Ban Ki-moon, MM. Olusegun Obasanjo et Benjamin Mkapa, rendront compte de leurs discussions avec le général Nkunda. Je suis persuadé qu'il faut une solution politique. Reste à savoir s'il y a une protection à apporter entre-temps. Je le pense mais je ne suis pas du tout sûr d'imposer ce point de vue.
Vous reprochez aux Africains de ne pas s'indigner, Monsieur de Charrette. Sans doute, et ce pour des raisons qu'il serait trop long de détailler ici. Cela n'empêche pas l'Union africaine de partager notre avis et de s'occuper des problèmes africains. Le président de la Commission de l'Union africaine, Jean Ping, est un responsable remarquablement intelligent et très désireux de s'engager. Pourtant, l'existence même de cette Union qui veut s'occuper de son propre destin contribue parfois à nous empêcher d'agir. On en a eu le triste exemple au Darfour, où la sécurisation proposée par la communauté internationale n'a pu se faire en raison de l'opposition du président Béchir et des réticences de l'Union africaine. La situation en RDC est comparable même si c'est à un moindre degré.
Contrairement à ce que vous semblez penser, les Américains veulent que les Nations unies adoptent rapidement une résolution sur le Congo. C'est au moins la preuve que l'on fait des efforts de part et d'autre. Nous devons y participer. Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre !
Vous m'avez également interrogé sur les relations franco-chinoises. Le président de la République a rencontré le Dalaï-Lama à Gdansk, en territoire polonais, après une discussion avec les pays européens tributaires de leur production de charbon et handicapés de ce fait par le paquet "énergie-climat". Le Dalaï-Lama est prix Nobel de la paix. Je l'ai rencontré à de multiples reprises sans que personne ne proteste. Je n'ai pas relevé non plus beaucoup de protestations lorsque M. Gordon Brown, Mme Angela Merkel ou le président Bush l'ont reçu. Je ne vois pas comment le président de la République française pourrait être contraint, par une influence extérieure, de rencontrer ou de ne pas rencontrer qui il veut. Il est libre de ses choix !
Nous regrettons donc l'attitude de la Chine, que nous n'avons pas voulu offenser. Le président de la République avait annoncé cette rencontre. Il a par ailleurs assisté à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques. Dans les deux cas, nous n'avons pas mis notre drapeau dans notre poche. Il faudra oublier très vite cet épisode. Peut-être nos amis chinois se rendront-ils compte que nous ne sommes pas les seuls. J'avais d'ailleurs proposé que les vingt-sept ministres des Affaires étrangères rencontrent ensemble le Dalaï-Lama : cela aurait permis de couper court à toutes les critiques. Le Dalaï-Lama a rencontré le Premier ministre belge et le Premier ministre tchèque sans que cela fasse polémique, il s'est adressé au Parlement européen réuni en séance plénière... Il faudra s'habituer à ce que cet homme, pacifique par définition, dialogue avec nous, même si nous regrettons que des groupes tibétains puissent être entraînés par l'absence de perspective à recourir à une violence que nous condamnons fortement. Le Dalaï-Lama ne s'est jamais départi de son attitude pacifique et n'a jamais demandé l'indépendance du Tibet. En conséquence, la France espère que cette polémique s'arrangera.
Au cours de sa campagne, M. Barak Obama a indiqué qu'il voulait dialoguer avec l'Iran. Nous en avons pris acte tout en soulignant que le dialogue avait commencé lors de la rencontre à Genève entre le "P5 + 1", c'est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne et M. Saeed Djalili : c'était la première fois que les Etats-Unis y participaient. Pour ma part, j'ai pris part à de nombreuses rencontres. Tout en nous efforçant d'amorcer le dialogue, nous maintenons la pression. Cette association de la sanction et du dialogue est caractéristique de notre démarche.
Pour autant, les résolutions du Conseil de sécurité prévoyant des sanctions ont-elles été efficaces ? On peut en discuter longtemps : cela ne modifiera pas notre attitude. Nous faisons pleinement confiance à M. Obama. Si l'on veut éviter la guerre, il faut dialoguer.
Monsieur Roatta, il nous aurait été difficile d'accueillir le siège de l'Union pour la Méditerranée et d'en détenir en même temps la présidence. Nous avons retenu la candidature de Barcelone mais nous considérons que le secrétariat général doit revenir à un pays du Sud. Il nous faudra insister auprès des Tunisiens, qui nous ont opposé un premier refus pour ce poste. Nous avons entre-temps attribué les six postes de secrétaire général adjoint à la Turquie, l'Italie, la Grèce, Malte, Israël et la Palestine (c'est d'ailleurs la première fois que ces deux membres ont chacun un poste de ce niveau dans une instance internationale). Si la Tunisie persiste, la co-présidence française et égyptienne proposera que le secrétaire général soit choisi dans un autre pays du Sud. Toujours est-il que le projet avance, même sous l'aspect des financements.
La lutte contre les violences faites aux femmes, Madame Fort, était une priorité de la Présidence française de l'Union. Mme Rama Yade, qui s'est particulièrement consacrée à de dossier, a obtenu des progrès. Cela dit, les réunions ne suffisent pas : comme vous l'avez souligné, sur le terrain les choses empirent. C'est si facile de se retourner contre les femmes quand on est un homme ! On n'insistera jamais assez sur le rôle que joue l'hormone mâle dans ces violences et, plus généralement, dans toutes les guerres.
Q - (Au sujet du budget du Conseil de l'Europe)
(A propos du fonctionnement de la Cour européenne des Droits de l'Homme)
(Concernant les relations entre la France et le Rwanda)
(A propos de l'Union africaine)
(A propos des relations UE-Russie)
(Au sujet du dossier OTAN)
R - Je me déroberai d'autant moins à votre question relative à la Cour européenne des Droits de l'Homme, Monsieur Mignon, que j'ai reçu de la Cour un prix des Droits de l'Homme. Si la France, sauf erreur de ma part, a fourni un juge supplémentaire, je suis désolé que le budget qu'elle consacre au Conseil de l'Europe diminue. J'espère que nous pourrons corriger cette injustice l'an prochain.
Quant à la ratification du protocole 14, c'est une demande que nous formulons à la Russie depuis très longtemps. Et, malgré la démarche positive et le dialogue que nous maintenons, ce n'est pas notre seul point de conflit avec ce pays. Bien que le différend en matière de Droits de l'Homme soit très important, je remarque que, pour la première fois, la Russie avance l'argument des Droits de l'Homme (violations, bombardement nocturne de la localité de Tshinkvali, etc.) pour expliquer son attitude vis-à-vis de la Géorgie et son entrée en Ossétie du Sud. Je n'ai pas manqué de le rappeler à mes interlocuteurs - M. Medvedev, M. Poutine, et surtout M. Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, qui évoque d'autant plus volontiers les Droits de l'Homme qu'il a répété la formule dans l'enceinte des Nations unies. Il y a là un terrain qui peut se révéler fécond pour les futures discussions de Genève entre la Russie et la Géorgie sous l'égide de M. Pierre Morel, envoyé spécial de l'Union européenne.
Il prendrait trop de temps de revenir sur le dossier du Rwanda, Madame Taubira. Vous en avez d'ailleurs une aussi bonne connaissance que moi. L'arrestation en Allemagne de Mme Rose Kabuye, son transfert en France, puis le régime d'assignation à résidence qui lui a été accordé par le juge de la détention et des libertés, sont assurément des éléments importants et ont été reçus comme tels au Rwanda. Au terme de l'entrevue que David Miliband et moi-même avons eue avec le président Kagamé, il m'est apparu que l'on pourrait espérer un rétablissement de relations normales.
Vous avez raison au sujet de l'Union africaine. Celle-ci assure de nombreuses médiations et y délègue des personnes inspirées et talentueuses. Cela dit, quel succès rencontrent-elles ? La médiation au Zimbabwe est pour l'instant un échec mais aussi de l'UA et de l'organisation qui rassemble les pays d'Afrique australe, la SADC. Pourtant, l'ONU, l'Union européenne et l'Union africaine soutenaient l'accord du 15 septembre qui prévoyait que M. Morgan Tsvangiraï, qui a la majorité parlementaire, soit nommé Premier ministre. Les centaines, voire les milliers de Zimbabwéens touchés par le choléra ne font que renforcer l'urgence. Nous examinerons cet après-midi avec l'Organisation mondiale de la santé la possibilité d'organiser une intervention sanitaire internationale.
Autre exemple : que faire en Mauritanie ? Le coup d'Etat est certes inacceptable, mais il a eu lieu sans que soit versée une seule goutte de sang ! L'Union africaine, l'Union européenne, l'Organisation de la conférence islamique, la Ligue arabe et l'Organisation internationale de la Francophonie, ont envoyé des médiateurs la semaine dernière. Nous verrons s'ils arrivent à résoudre une situation très délicate et très ancienne. On ne peut s'indigner de l'attitude passée de la France en Afrique et accepter un coup d'Etat ; mais on ne peut pas non plus pérenniser la situation que connaît un pays qui compte beaucoup pour la sécurité de l'ensemble du Maghreb et du Sahara, surtout lorsque l'on connaît la détermination d'Al Qaïda dans la région.
Il n'en reste pas moins que l'Union africaine est un atout et que la collaboration avec cette instance se révèle très positive. A Addis-Abeba, nous avons même décidé de créer une cellule d'urgence commune à l'Union européenne et à l'Union africaine.
S'agissant de la Russie, Monsieur Vauzelle, en dépit des nombreuses critiques que nous avons essuyées, les Vingt-sept nous ont finalement suivis et je gage que nos successeurs tchèques poursuivront dans cette direction. Selon nous, notre grand voisin mérite un autre traitement qu'une opposition systématique. Certes, son langage de guerre froide et la brutalité de ses démarches ne sont pas acceptables et nous le lui avons fait savoir. Mais, à la différence des Etats-Unis, nous considérons que nous devons lui parler. Cette différence sera visible au sein même de l'OTAN. Je me rappelle d'ailleurs que, malgré une conversation plutôt rude avec mon amie Condoleezza Rice, nous avons décidé de poursuivre le dialogue tout en créant des commissions OTAN-Géorgie et OTAN-Ukraine.
Une réunion Union européenne-Russie s'est tenue à Nice. Nous avons des rendez-vous à date précise. Je comprends les réticences que certains pays ont voulu manifester face aux méthodes employées par les Russes. En même temps, nous avons décidé à vingt-sept de continuer dans la voie qui a été tracée, comme nous avons décidé à vingt-sept de mener une enquête internationale sur le déroulement historique des événements en Géorgie - je vous renvoie d'ores et déjà à l'ouvrage Le Jeune Staline de Simon Sebag Montefiore, qui jette une lumière singulière sur ce qui se passe actuellement. Nous avons confié la responsabilité de cette enquête à une diplomate suisse. Pour le reste, nous ne sommes plus dans le temps de la guerre froide et nous ne pouvons plus accepter la phraséologie et les pratiques de cette époque.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 décembre 2008