Texte intégral
Q - Quel est le but de votre rapide visite à la Réunion ?
R - D'abord, parce que je suis invitée ! Que la Réunion est une terre de France magnifique ! Et que depuis le mois de juillet, j'ai entamé un tour de France des droits de l'Homme afin d'évoquer ces questions directement avec nos concitoyens. J'ai constaté qu'il y avait en effet un véritable besoin d'explication de notre politique sur ces matières, qui sont au coeur de l'action diplomatique de la France. Lorsque l'on a l'honneur de se voir confier par le président de la République une responsabilité ministérielle, on doit avoir à coeur d'en faire partager aux Français le sens et les résultats. La France "pays des droits de l'Homme" ce n'est pas un slogan que l'on aime à se répéter de manière un peu nombriliste : il faut voir ce que cela recouvre. C'est un immense enrichissement personnel d'entendre nos concitoyens sur ces questions. Et je me réjouis donc d'aller à la rencontre des Réunionnais.
Le Tampon est ma dixième étape depuis juillet. Cela correspond non seulement au 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, mais également au 160ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage dans l'île. Un double motif de déplacement ! Et un troisième, de contentement, d'être simplement à la Réunion !
Q - Peut-on dire que la France a beaucoup oeuvré pour améliorer les droits de l'Homme qui, malheureusement, sont en net recul dans de nombreux pays du monde ?
R - Oui, la France a beaucoup oeuvré, avec ses partenaires de l'Union européenne pour améliorer la défense des droits de l'Homme dans le monde. Nous avons une certaine exigence morale à le faire ! C'est en France qu'est née en 1789 cette idée finalement si simple qui veut que les hommes naissent libres et égaux en droits. C'est à Paris qu'a été proclamée la Déclaration universelle des droits de l'Homme en 1948, au Palais de Chaillot. Une déclaration d'ailleurs qui doit beaucoup à un français d'exception, René Cassin. Cette antériorité historique nous donne une responsabilité. Le général de Gaulle disait qu'"il y a un pacte vingt fois séculaire qui lie la grandeur de la France à la liberté du monde". Cette singularité fait de nous un pays différent des autres et qui nous fait jouer une petite musique spéciale dans le concert du monde. Mais, attention, il ne s'agit pas pour nous de donner de leçons au monde, tant nous sommes nous-mêmes perfectibles, mais d'assumer nos convictions et de nous battre pour défendre la conception universelle des droits de l'Homme. Au cours des 70 déplacements que j'ai effectués en 18 mois, j'ai rencontré beaucoup de militants des droits de l'homme qui m'ont dit : "être français, c'est être libre". C'est dire l'attente qui pèse sur nos épaules ! Et nous devons tout faire pour y répondre, même si quelquefois c'est difficile.
A titre d'exemples de l'action de la France en la matière, on pourrait citer le combat pour l'abolition universelle de la peine de mort, la création de la Cour pénale internationale - dont nous célébrons le 10ème anniversaire - ou encore l'adoption de la convention pour l'interdiction des armes à sous-munitions, qui a été signée par la France le 3 décembre dernier à Oslo.
C'est sans compter également que la France, de façon bilatérale ou au niveau de l'Union européenne avec ses partenaires, intervient en faveur de journalistes, de prisonniers politiques, de dissidents, de condamnés à mort qui sont, trop souvent embastillés, pourchassés ou malheureusement exécutés parce qu'ils sont simplement des défenseurs des droits de l'Homme. Cette action, patiente, rigoureuse, discrète, elle ne fait pas la une des journaux car c'est le gage de son efficacité
Q - Concrètement, depuis deux ans en tant que secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme, qu'avez-vous fait, non pas pour changer la face du monde, mais pour tenter d'y apporter une amélioration ?
R - Vous avez raison, mon ambition n'est pas aussi prométhéenne !!! Même s'il faut toujours viser haut !La défense des droits de l'Homme, ce n'est pas l'histoire d'une chevauchée fantastique ni d'une lutte perdue d'avance. C'est un combat ! Et ce combat, je le mène tous les jours. Depuis ma nomination au Quai d'Orsay, et je peux vous dire que j'ai été le témoin - et parfois l'acteur - privilégié de nombreuses avancées en matière de droits de l'Homme, mais également d'incroyables régressions. Dans les Kivus, en République démocratique du Congo, j'ai été choquée par les témoignages poignants de ces femmes qui avaient été violées et mutilées à de nombreuses reprises par des groupes armés. Elles sont sans doute plus de 100.000 à avoir subi des violences sexuelles en moins de 5 ans...Ces rencontres, ces étapes au coeur de l'horreur, elles me servent aussi à renforcer mon devoir d'action. J'ai convaincu, par exemple, nos partenaires européens de faire de la lutte contre les violences aux femmes la priorité de l'Union européenne en matière de droits de l'Homme, en 2009. Je reviens de New York où j'ai présenté à l'ONU un appel pour la dépénalisation de l'homosexualité, signé par soixante-six Etats, alors qu'ils n'étaient que trente-deux à l'avoir fait en 2005. C'est un formidable succès, face aux bûchers de l'intolérance qui continuent de brûler aux quatre coins du globe : pensez qu'aujourd'hui encore l'homosexualité est interdite et pénalisée dans près de quatre-vingt-dix pays et que dans six pays, elle est passible de la peine de mort...
J'ai fait des centaines d'interventions auprès d'Etats pour la liberté d'expression de certains de leurs ressortissants. J'ai mené campagne, à l'échelle mondiale, pour qu'une vingtaine d'Etats nous rejoigne dans la lutte contre le recrutement d'enfants-soldats. Je poursuis, dans un autre domaine, la réforme de l'adoption internationale. Et tant d'autres choses.
Q - Peut-on, selon vous, concilier diplomatie et droits de l'Homme ?
R - J'en suis persuadée, tout simplement parce que l'on ne peut pas abdiquer le flambeau des valeurs. Si certains estiment que la défense des droits de l'Homme est contradictoire avec la légitime défense de nos intérêts, je ne partage pas cette vision des choses. Ma conviction, c'est que, bien au contraire, dans un monde de plus en plus incertain, et de plus en plus dangereux, notre intérêt est de promouvoir la démocratie et les droits de l'Homme. Je suis persuadée que les Etats de droit respectant les libertés fondamentales de l'être humain sont moins dangereux pour la paix du monde que les autres. S'il est vrai que l'on ne peut fonder une politique sur les droits de l'Homme, une politique qui en ferait abstraction serait contraire aux aspirations des hommes et des peuples. Malraux disait que "si on ne fait pas de la politique avec de la morale, on n'en fait pas davantage sans" et je me retrouve tout à fait dans cette citation. Mon rôle, c'est de tenir la balance entre ceux qui ne pensent que droits de l'Homme et ceux qui ne pensent qu'intérêts. C'est toute la difficulté de ma mission, mais aussi son côté exaltant.
Q - Que pensez-vous de l'interrogation de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, sur "l'utilité" d'un secrétariat d'Etat aux droits de l'Homme ?
R - Je ne souhaite pas revenir sur ce sujet. Je suis dans l'action, avec l'ambition de remplir au mieux cette charge ministérielle que j'ai eu l'honneur de me voir confier par le président de la République.
Q - Contrairement à ce que souhaitait le président Sarkozy, vous avez refusé de conduire une liste aux Européennes en Ile-de-France en juin 2010. Comptez-vous revenir sur votre position ? Peut-on exister politiquement à ce niveau sans affronter le suffrage universel ?
R - Vous oubliez un peu vite que j'ai déjà affronté le suffrage universel, à Colombes, lors des dernières municipales. C'est faire peu de cas de cette campagne qui a été difficile mais que je n'ai pas hésité à mener, avec passion d'ailleurs. Et justement j'ai envie de repartir au combat électoral pour servir ma famille politique et, à travers elle, les Français. Je suis très flattée d'avoir été pressentie pour les Européennes. Je me suis dit qu'avant d'aller à Bruxelles, il me fallait avoir plus d'années d'expérience politique en France, et donc briguer avant un mandat national. Etre mieux armée, en somme, pour être plus à même un jour peut-être de défendre leurs intérêts au niveau européen.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 décembre 2008