Interview de M. Patrick Devedjian, ministre chargé de la mise en oeuvre du plan de relance, à Canal Plus le 5 janvier 2009, sur les investissements du plan de relance, l'augmentation du déficit et les mesures prises en faveur du pouvoir d'achat.

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Texte intégral

C. Roux et M. Biraben.- M. Biraben : Le ministre en charge de la mise en oeuvre de la relance, P. Devedjian est notre invité.
 
C. Roux : Avec son portefeuille rattaché à Matignon, il a autorité sur quinze ministères, il est l'ordonnateur d'un budget de 26 milliards d'euros, budget débattu à l'Assemblée dans deux jours. Mais déjà, certains estiment que le compte n'y est pas, et face à des chiffres du chômage alarmants, réclament déjà un nouveau plan de relance. 2009, "ce sera rude", c'est N. Sarkozy qui le dit. Alors, ce matin, 63 millions de français attendent le ministre de la relance au tournant. C'est beaucoup, 63 millions de Français.
 
M. Biraben : Vous avez le pas tranquille, vraiment, vous arrivez tranquillement.
 
On m'attend au tournant, si j'ai cru comprendre. Je me méfie.
 
M. Biraben : Est-ce que pour souhaiter une très belle année au ministre de la relance, que vous êtes, il faut oublier le pire...
 
C'est très gentil...
 
M. Biraben : À savoir : le montant du déficit 2009, 79 milliards d'euros, c'est une préoccupation pour vous ?
 
C'est une préoccupation, mais ce n'est pas la première. La première préoccupation, c'est le chômage, c'est de retrouver de la croissance, et donc il ne faut pas avoir peur de faire du déficit au moment où, justement, on a besoin de relancer l'activité.
 
C. Roux : Cela veut dire que vous revendiquez votre statut de ministre de la dépense, en fait ?
 
De l'investissement, je préfère.
 
C. Roux : C'est pareil, quand on est à Bercy, non ?
 
Oui, bien sûr, mais l'investissement, cela produit des résultats, cela amène de l'emploi, et cela amène de l'argent.
 
C. Roux : Mais est-ce qu'il y a des limites qui sont fixées, notamment à cette dépense, ou est-ce que vous avez un chèque en blanc ?
 
Non, non, bien sûr que non, ce serait trop beau. Mais bien sûr, d'abord, c'est 26 milliards qui s'articulent après tout ce qui a déjà été fait précédemment, il ne faut l'oublier ; il y a eu les 360 milliards - 320 et 40 - mis à la disposition du secteur financier...
 
M. Biraben : Pas investis ?
 
Oui et non, oui, pour restaurer l'économie, par exemple, les 320 milliards, ce sont des garanties. Donc il faut faire appel à ces garanties, c'est comme une caution pour un loyer par exemple, c'est exactement le même principe. Ensuite, il y a eu les 46 milliards mis à disposition des entreprises, notamment 22 sur les PME, très important, 20 sur le Fonds d'investissement stratégique, et puis, maintenant, il y a les 26 milliards du plan de relance.
 
C. Roux : Vous dites que les déficits, ce n'est pas la priorité. J.-F. Copé dit qu'il va falloir surveiller la comptabilité de la relance pour gérer la crise et la réduction de la dette. Pour certains, ça reste une préoccupation, ces déficits ?
 
Bien sûr qu'il faut faire attention, mais ce qu'il faut, c'est que l'argent consacré à la relance produise des effets, c'est-à-dire fasse des petits et amène des recettes nouvelles qui donneront justement de quoi renflouer en partie les déficits.
 
C. Roux : Le Parti socialiste dit que ce n'est pas suffisant, et c'est une critique qu'on entend...
 
Oui, ça, c'est ce que disent toujours les oppositions : ce n'est jamais assez, il faut toujours plus...
 
C. Roux : Ce n'est pas votre avis ? 26 milliards, c'est suffisant ? Vous relancerez l'économie avec 26 milliards ?
 
D'abord, je vais vous expliquer plusieurs choses. Premièrement, donc je le disais tout à l'heure, 360 milliards ont été mis à disposition du secteur financier, 46 à la disposition des entreprises, 26, avec un effet de levier de trois, c'est-à-dire un impact de 100 milliards avec le plan de relance. Puis, les plans européens, l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, l'Union européenne, 200 milliards, l'Union européenne, qui vont être injectés dans les circuits...
 
C. Roux : C'est-à-dire qu'on peut compter sur le financement de la relance ?
 
Le plan Obama qui aura un effet, qui est sans doute pour le mois de février, qui est prévu aujourd'hui à environ 800 milliards. Donc, si vous mettez tout ça ensemble, toutes ces charrues qui tirent dans le même sens, ça va produire de l'effet, oui.
 
C. Roux : Il n'y aura pas de second plan de relance ?
 
Il n'y a pas de raison qu'il y en ait, parce que nous croyons en cette politique, et que la relance va venir sans qu'il y ait besoin d'un second plan de relance, j'ai envie de dire d'ailleurs : si on disait oui au second plan de relance, il y aurait immédiatement des gens pour demander un troisième, et puis, un quatrième, parce que ça n'a pas de fin...
 
C. Roux : Mais à partir de quel moment est-ce qu'on saura vraiment si c'est suffisant ?
 
On saura que cette politique a réussi, et encore une fois, ce n'est pas seulement la politique de la France, même si le président de la République, N. Sarkozy, a été à l'origine de cette réaction internationale contre la crise, on le saura dès lors qu'on aura retrouvé de la croissance. Déjà, regardez pour la France, par rapport à d'autres pays européens, notre taux de croissance n'est pas tombé en dessous de zéro ; ça ne va pas durer peut-être très longtemps, mais en tous les cas, on s'est maintenu un petit peu mieux que les autres, on va au royaume des aveugles, mais ça a donné quand même des résultats.
 
C. Roux : Mais vous n'avez pas de calendrier en tête précis, disant : au printemps, si ce plan de relance n'a pas donné d'effets, on corrigera le tir, on remettra de l'argent dans la machine ?
 
Mais d'abord, c'est un plan de 26 milliards dont 75% vont être dépensés sur l'année 2009, donc sur toute l'année 2009, donc le plan de relance, ce que vous appelez la dépense, et que moi, j'appelle l'investissement, va se dérouler toute l'année, et encore même dans l'année 2010 pour 20, 25% qui resteront.
 
C. Roux : La priorité, c'est quoi ? C'est d'aller vite pour le ministre de la relance ?
 
La priorité, c'est d'aller vite, oui, c'est-à-dire de donner confiance, de stimuler l'attitude des entrepreneurs, que les entreprises reprennent confiance, que leurs carnets de commandes se garnissent, qu'il y ait un optimisme, c'est de créer l'optimisme.
 
C. Roux : Est-ce que c'est aussi un message que vous adressez aux administrations : aller vite...
 
Bien sûr...
 
C. Roux : Ou est-ce que vous n'avez aucune crainte sur le fait que tout le monde joue le jeu ?
 
Alors, on a pris des dispositions pour cela, et je dois dire que ça marche bien. Premièrement, on a pris des mesures de simplification, sept décrets ont été publiés le 19 décembre pour simplifier toutes les procédures administratives. Le président de la République a voulu qu'il y ait un ministère spécial, nous sommes les seuls au monde à faire ça.
 
C. Roux : Vous êtes le seul ministre de la relance au monde ?
 
Enfin, spécialisé...Les autres font aussi de la relance. Non, mais c'est un grand risque aussi. Mais je veux dire que la France a pris les moyens, le président de la République a voulu justement qu'il n'y ait pas de dilution dans les circuits administratifs, qu'il n'y ait pas d'immobilité. Et donc moi, je n'ai que cela à faire, c'est mon boulot de tous les jours, c'est de vérifier que l'argent est bien parti et arrive dans les caisses où il doit arriver...
 
C. Roux : Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que vous avez déjà un retour par rapport à ça ?
 
Eh bien oui, par exemple, la prime à la casse qui a été lancée sur l'automobile, on voit déjà des effets, c'est-à-dire que ça a stimulé un certain nombre de ventes, ce n'est pas toujours simple, mais les professionnels estiment - je vais aller le voir demain, d'ailleurs, en faisant la tournée de concessionnaires dans le Val d'Oise, avec L. Chatel, on va faire ça ensemble -que ça peut produire 100.000 voitures de plus sur une année...
 
C. Roux : Vous étiez contre la prime à la casse, vous nous l'aviez dit sur ce plateau...
 
J'étais réservé...
 
M. Biraben : Vous vous êtes trompé ?
 
Naturellement, je suis humble...
 
C. Roux : Ce ne serait pas grave...
 
Mais je suis humble devant l'effet économique, on dit que ça... on a aussi bien surveillé la manière dont ça se passe, ça a aussi quelques effets pervers, par exemple, les voitures d'occasion de moins de trois ans ont beaucoup plus de mal à se vendre.
 
C. Roux : Est-ce que vous avez d'autres solutions pour l'automobile ?
 
Bien sûr, et c'est pour ça qu'il y a un plan qui est spécifique à l'automobile et qui est en cours d'élaboration, d'abord, il y a les contrats de transition professionnelle, qui sont également en cours, c'est-à-dire que les secteurs automobiles, qui sont fortement touchés par le chômage, bénéficient d'une sorte de Sécurité sociale professionnelle, et pendant un an, les chômeurs de ces bassins d'emplois, pas seulement ceux de l'industrie automobile, mais ça touche beaucoup l'industrie automobile, bénéficient de la plénitude de leurs salaires et de la préparation à un nouvel emploi.
 
M. Biraben : Une question spectateur tout de suite : c'est aujourd'hui, première journée du service public sans publicité, donc c'est une réforme qui démarre, il faut trouver 450 millions. En tant que ministre de la relance, ne pensez-vous pas qu'il aurait été plus judicieux de consacrer ces 450 millions à une réforme plus urgente et plus immédiatement utile aux Français.
 
Non, mais je pense que c'est une réforme urgente, d'abord, ça va changer complètement la télévision, je crois que c'est comme quand on arrête de fumer, on va arrêter d'avoir de la publicité à la télévision, vous allez voir, c'est une sorte de désintoxication. Dès ce soir, les horaires vont changer, et vous allez ne pas être obligé de zapper quand vous êtes sur une chaîne. Je crois que c'est utile aux gens de pouvoir consacrer son temps à regarder les émissions en tant que telles, de mieux les apprécier, plutôt que de se diluer dans des spots publicitaires qu'on est obligé d'ingurgiter les uns après les autres en attendant vivement que l'émission reprenne.
 
L. Mercadet : Publiphobe, tiens, tiens !
 
Ce n'est pas [être] publiphobe. Je pense que, par exemple, la presse écrite sera ravie de retrouver de la disponibilité, je pense, par exemple sur certaines radios, les radios d'Etat, France Inter, il n'y a pas de publicité, tout le monde trouve ça très bien.
 
C. Roux : Le pouvoir d'achat, on a appris hier dans une enquête du JDD que 69% des Français allaient réduire leurs dépenses. Comment vous allez faire ? Il n'y a pas de mesures de soutien au pouvoir d'achat dans le plan de relance...
 
Si, il y a des mesures de soutien au pouvoir d'achat, mais si...
 
C. Roux : Bon, il y en a, d'accord. Donc vous trouvez que c'est suffisant, ce qu'il y a ?
 
Premièrement, la prime à la casse, c'est une mesure sur le pouvoir d'achat et sur la consommation. Deuxièmement, la prime sur le RMI et les 760 millions qui seront mis en distribution dès le mois d'avril, c'est évidemment de la consommation. Et puis, quand vous créez du travail, quand vous créez de l'investissement, vous créez des salaires, et là aussi, vous créez du pouvoir d'achat.
 
M. Biraben : On va passer au "J'aime/J'aime pas", et on continue dans la même veine, et vous nous dites si vous aimez ou si vous n'aimez pas, les banques qui ne répercutent pas la baisse des taux d'intérêt.
 
Je n'aime pas, mais ce n'est pas nécessairement de leur faute.
 
M. Biraben : C'est-à-dire ?
 
Eh bien parce que c'est le marché monétaire, c'est un truc complexe qu'on n'explique jamais, mais en réalité, les banques, elles ont besoin de se refinancer, c'est-à-dire d'emprunter sur le marché. Et aujourd'hui, vous avez un très gros écart entre le taux au jour le jour, le taux du marché monétaire au jour le jour, qui répercute la baisse des taux, et le taux à trois mois qui ne la répercute pas. Et donc elles sont obligées d'emprunter cher pour pouvoir prêter cher.
 
M. Biraben : Mais elles empruntent moins cher qu'elles ne prêtent néanmoins...
 
Eh bien, oui, il y a un petit écart, mais le taux à trois mois est un taux très élevé, beaucoup trop élevé, et c'est cela qui crée un obstacle aujourd'hui.
 
M. Biraben : D'accord. Caroline ?
 
C. Roux : "J'aime/J'aime pas" ne pas donner le permis de conduire aux incendiaires de voitures ?
 
J'aime...
 
C. Roux : C'est la bonne idée ?
 
En tous les cas, c'est une idée morale, puisqu'ils brûlent les voitures, on ne va pas les autoriser à en conduire.
 
M. Biraben : Et pour conclure, E. Besson à l'UMP ?
 
J'aime. C'est un garçon intelligent qui va apporter, à mon avis, un autre regard et développer une autre sensibilité dont nous avons besoin.
 
C. Roux : C'est bien que le président de la République se rende lui-même au Conseil national de l'UMP le 24 janvier ?
 
Il l'a déjà fait plusieurs fois, et c'est un grand avantage pour l'UMP, une chance pour l'UMP.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 janvier 2009