Interview de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, à "France Info" le 30 décembre 2008, sur les capacités d'hébergement des sans domicile en cette période de grand froid.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Ebenstein.- La Question du jour, on la pose à C. Boutin. Vague de froid sur la France, de nouveaux décès de SDF hier en région parisienne. Y a-t-il assez de places d'hébergement et les centres d'hébergement sont-ils réellement adaptés aux besoins, selon vous ?
En termes mathématiques, arithmétiques, oui, il y a suffisamment de places, de façon pérenne, et puis avec le "Grand froid" qui est maintenant décidé par chaque préfet, en fonction de la température du département dont il a la charge, il y a des places qui sont ouvertes dans les gymnases et dans différentes structures pour permettre aux gens d'être au chaud au moins. Donc, on peut dire que oui. Mais la grande question c'est de savoir si on peut arriver à toucher toutes les personnes, et si ces personnes acceptent de venir dans ces centres, bien sûr.
Si je ne m'abuse, vous vous trouvez à Nantes, où vous avez inauguré une "Halte de nuit" pour les sans-abri. En quoi ce genre de structure est-elle différente des autres traditionnels ?
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que les personnes sans domicile fixe ce ne sont pas les clochards tels qu'on se les représente il y a 20 ans ou 30 ans. Les sans domicile fixe, ils sont très variés maintenant. Il y a naturellement l'homme seul avec un chien, il y a la femme battue avec ses enfants qu'on retrouve à 3 heures du matin, il y a le malade psychique, et il y a le travailleur pauvre. Donc, il faut arriver à trouver des structures qui soient adaptées à chacun de ces cas. Hier soir, j'ai donc inauguré un centre expérimental, qui a déjà été mis en place à Toulouse et Bordeaux, et qui a été ouvert à Nantes, et qui est une structure qui est très simple si vous voulez, et qui permet à des personnes de pouvoir simplement souffler, venir avec leur chien, on ne leur demande rien, on leur propose simplement un fauteuil, un café, un peu de paroles encourageantes, de façon à retisser un lien avec cette personne extrêmement désocialisée.
Vous parliez justement des chiens qui sont tolérés, ce qui n'est pas le cas...
Partout, bien sûr.
...des foyers traditionnels d'accueil. Faut-il développer ce genre de structure comme celle de Nantes ?
Dans de nombreuses communes, il y a une ou deux ou trois places pour des personnes avec un chien, mais c'est vrai que ça pose des problèmes. Or ces personnes désocialisées n'ont plus qu'un animal comme lien avec l'extérieur, donc, on ne peut pas et ils ne veulent pas se séparer de leur chien. Alors, effectivement il faut essayer de multiplier, on ne va pas faire que des hébergements pour des personnes avec des chiens. Mais là, en l'occurrence, c'est dix places qui va passer à 30 places, à Nantes, et on va voir si expérimentalement c'est intéressant. Là, on n'oblige pas les gens à prendre une douche, on les prend tels qu'ils sont, là où ils en sont, avec leurs codes, et on leur propose simplement un accueil et de la chaleur.
Je le disais tout à l'heure, encore, hélas, deux nouveaux décès de SDF hier en région parisienne. Vous aviez fait en novembre une proposition qui a suscité la polémique, en l'occurrence, l'hébergement obligatoire des SDF en cas de grand froid. Êtes-vous toujours favorable à une telle idée ?
C'est une question, une vraie question, très difficile qui a été posée par le président de la République, et que je me dois naturellement de poser aussi. Je n'ai pas encore la réponse, bien sûr, et il ne s'agit pas d'imposer quoi que ce soit. Nous sommes là à la croisée de deux principes fondamentaux : la liberté individuelle des personnes désocialisées, et l'assistance à personne en danger. Vous savez que la non assistance à personne en danger relève du Code pénal. Donc, voir tous les jours des personnes qui meurent dans la rue alors que pour la plupart d'entre elles, je ne sais pas pour les deux dernières d'hier, mais toutes les autres depuis, étaient des personnes qui avaient été contactées par des travailleurs sociaux, qui étaient connues par les travailleurs sociaux, par les maraudes, à qui on avait proposé un hébergement, et qui l'avaient refusé. Ils l'avaient refusé, et le lendemain matin, on les trouve morts dans la rue ! Enfin, on ne peut pas rester les bras ballants, ce n'est pas possible ! Il faut au moins poser la question. Le problème est de savoir où mettre le curseur. Les travailleurs sociaux disent, à juste titre : il faut faire très attention parce que si on oblige les gens à aller dans des centres, ils vont se cacher et on aura encore moins de possibilité pour les retrouver. Ce que j'entends parfaitement. L'objectif n'est pas celui-là, l'objectif c'est de rétablir la confiance. Pour l'instant, il y a déjà mon cabinet, celui de Monsieur Fillon, et les associations qui se réunissent pour essayer de voir comment on peut aborder une réponse à cette question. Mais ce que je peux vous dire, c'est que les Français qui ont été interrogés par sondages, 83 % disent : nous sommes favorables à ce que l'on mette les personnes dans des endroits chauffés. Ce qu'ils disent les Français : "nous ne voulons de personnes qui meurent dans la rue, c'est insupportable !", et c'est à l'honneur de la France de le dire. Maintenant, où met-on le curseur, entre la liberté personnelle, individuelle de ces personnes, qui sont quand même très fragilisées, on peut se poser la question quand elles sont sous alcool, sous drogue, ou très fragiles physiquement, si elles ont la capacité de dire oui ou non par rapport à un hébergement.
Très rapidement, ces derniers jours, vous avez été la cible de critiques assez vives de la part d'associations. Par exemple, A. Legrand, le fondateur des Enfants de Don Quichotte, il a dénoncé "des mesurettes", selon lui, du Gouvernement en matière de logement. Il entend installer des milliers de tentes à travers la France. Que lui répondez-vous ?
Je pense, il y a question de bon sens : quand il faut froid comme ça, proposer de mettre les gens sous une tente, franchement, ça me semble irréaliste total, et peut-être même irresponsable ! Il est bien certain que mettre des gens sous une tente quand il faut froid comme ça ce n'es pas possible, enfin je ne pense même pas qu'il puisse l'envisager. D'autant plus que, tout de même, la plupart des gens sont heureusement au chaud. Ce que je dis simplement aux Français : écoutez, si vous voyez une personne qui semble en déshérence dans les rues et qui n'est pas suivie, appelez le 115 ; il faut que ce soit des professionnels, et moi je tiens à saluer tous les gens, les maraudes, le SAMU social, etc., et les associations, qui, au quotidien d'abord font un travail magnifique, et deuxièmement, en ont un peu assez qu'on ne parle de ce problème que l'hiver alors que malheureusement le problème de l'errance existe toute l'année, et vous savez qu'il y a davantage de morts en été qu'en hiver. Donc, il faut que l'attention des Français soit permanente, pas uniquement pendant l'hiver, quand nous nous prenons conscience qu'il fait froid dehors.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 janvier 2008